L’anti-Dühring d’Engels : l’idéalisme généralise le concept de capital

L’une des caractéristiques de l’anticapitalisme romantique est de généraliser le principe de « capital ». Puisqu’en effet l’esclavagisme passé serait encore présent, alors ce qu’on appelle capitalisme aujourd’hui et qui relèverait donc de l’esclavagisme existant déjà dans le passé, nécessairement, aurait existé dans le passé aussi.

C’est pour cela, par exemple pour la France, que les « nationaux-révolutionnaires » parlent de « capitalisme » lorsqu’ils présentent en fait des batailles passées relevant en réalité du féodalisme et ayant amené l’intégration historique à la France de la Bretagne ou l’Occitanie.

On est là dans une fiction où un capitalisme éternel affronte un peuple « naturellement » socialiste. C’est le principe même du national-socialisme, en fait.

Voici comment Friedrich Engels rappelle un point très important: la bourgeoisie n’a pas inventé le vol du travail, elle a par contre systématisé sa réalité par l’existence des marchandises. L’idéalisme « oublie » ce second aspect.

« En quoi se distingue donc l’idée du capital chez Dühring et chez Marx ?

Le capital, dit Marx, n’a point inventé le surtravail. Partout où une partie de la société possède le monopole des moyens de production, l’ouvrier, libre ou non, est forcé d’ajouter au temps de travail nécessaire à son propre entretien un surplus destiné à produire la subsistance du possesseur des moyens de production.”

Le surtravail, le travail au-delà du temps nécessaire à la conservation de l’ouvrier et l’appropriation du produit de ce surtravail par d’autres, l’exploitation du travail sont donc communs à toutes les formes sociales passées, dans la mesure où celles-ci ont évolué dans des contradictions de classes.

Mais c’est seulement le jour où le produit de ce surtravail prend la forme de la plus-value, où le propriétaire des moyens de production trouve en face de lui l’ouvrier libre, – libre de liens sociaux et libre de toute chose qui pourrait lui appartenir, – comme objet d’exploitation et où il l’exploite dans le but de produire des marchandises, c’est alors seulement que, selon Marx, le moyen de production prend le caractère spécifique de capital.

Et cela ne s’est opéré à grande échelle que depuis la fin du XV° et le début du XVI° siècle.

M. Dühring, par contre, proclame capital toute somme de moyens de production qui “constitue des participations aux fruits de la force de travail générale”, donc, qui procure du surtravail sous n’importe quelle forme. En d’autres termes, M. Dühring s’annexe le surtravail découvert par Marx afin de s’en servir pour tuer la plus-value également découverte par Marx et qui, momentanément, ne lui convient pas.

D’après M. Dühring donc, non seulement la richesse mobilière et immobilière des citoyens de Corinthe et d’Athènes qui exploitaient leurs biens avec des esclaves, mais encore celle des grands propriétaires fonciers romains de l’Empire et tout autant celle des barons féodaux du moyen âge dans la mesure où elle servait de quelque manière à la production, tout cela serait, sans distinction, du capital.

Ainsi, M. Dühring lui-même n’a pas “du capital le concept courant selon lequel il est un moyen de production qui a été produit”, mais au contraire un concept tout opposé, qui englobe même les moyens de production non produits, la terre et ses ressources naturelles.

Or l’idée que le capital soit tout bonnement “ un moyen de production qui a été produit” n’a cours, derechef, que dans l’économie vulgaire. En dehors de cette économie vulgaire si chère à M. Dühring, le “moyen de production qui a été produit” ou une somme de valeur en général ne se transforme en capital que parce qu’ils procurent du profit ou de l’intérêt, c’est-à-dire approprient le surproduit du travail impayé sous la forme de plus-value, et cela, derechef, sous ces deux variétés déterminées de la plus-value.

Il reste avec cela parfaitement indifférent que toute l’économie bourgeoise soit prisonnière de l’idée que la propriété de procurer du profit ou de l’intérêt échoit tout naturellement à n’importe quelle somme de valeur qui est employée dans des conditions normales dans la production ou dans l’échange.

Dans l’économie classique, capital et profit, ou bien capital et intérêt sont également inséparables, ils sont dans la même relation réciproque l’un avec l’autre que la cause et l’effet, le père et le fils, hier et aujourd’hui.

Mais le terme de capital avec sa signification économique moderne n’apparaît qu’a la date où la chose elle-même apparaît, où la richesse mobilière prend de plus en plus une fonction de capital en exploitant le surtravail d’ouvriers libres pour produire des marchandises : de fait, ce mot est introduit par la première nation de capitalistes que l’histoire connaisse, les Italiens des XV° et XVI° siècles.

Et s’il est vrai que Marx a le premier analysé jusqu’en son fond le mode d’appropriation particulier au capital moderne, si c’est lui qui a mis le concept de capital en harmonie avec les faits historiques dont il avait été abstrait en dernier ressort et auxquels il devait l’existence; s’il est vrai que Marx, ce faisant, a libéré ce concept économique des représentations confuses et vagues dont il était encore infecté même dans l’économie bourgeoise classique et chez les socialistes antérieurs, c’est donc bien Marx qui a procédé avec le “dernier mot de l’esprit scientifique le plus rigoureux” que M. Dühring a toujours à la bouche et qui manque si douloureusement chez lui. »

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