26 juin 2009

Bergson, le vitalisme et l’intuition: une conception "française"

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Connaître la figure de Bergson est impérative quand on s’intéresse à la pensée bourgeoise en France. Le culte de l’intuition et de l’élan vital est au cœur de la culture française bourgeoise, et l’on peut les retrouver partout, de l’appareil d’Etat ( « en France on a pas de pétrole mais on a des idées ») à l’extrême-gauche (anarcho-syndicalisme, spontanéisme, etc.), sans oublier bien entendu les fascistes (culte idéaliste de soi-même, du dépassement mystique, etc.).

Grand-croix de la Légion d’honneur, Prix Nobel en 1927, statistiquement l’auteur le plus donné au baccalauréat, Bergson est la figure de proue de l’idéalisme français. Procéder à la liquidation de sa pensée, de son influence, est une tâche impérative des communistes en France!

Si le philosophe allemand Dilthey est inconnu en France, tel n’est pas le cas de son équivalent français. Henri Bergson (1849-1941) est une figure absolument incontournable de la pensée bourgeoise française, et c’est tout un symbole que l’on trouve son nom sur l’un des piliers du Panthéon à Paris.

Ses oeuvres complètes ont également été republiées en 2008 ; grand-croix de la Légion d’honneur, Prix Nobel en 1927, il est statistiquement l’auteur le plus donné au baccalauréat!

Cette figure est inconnue des vastes masses, et pourtant Bergson est le philosophe par excellence de la pensée bourgeoise française, du « génie français », dont les piliers sont l’intuition et l’élan vital.

En France, on considère que la nation française a une dimension particulière, parce que les Français seraient « à part », ils sentiraient « mieux » les choses, par opposition le plus souvent aux Américains présentés comme « idiots », « bourrins », et aux Allemands présentés comme « brutaux », « mécaniques », etc. Tout ce fatras chauvin, Bergson l’a théorisé.

Bergson est au coeur du processus de modernisation impérialiste du matérialisme bourgeois de Descartes, en transformant l’aspect scientifique – mathématique de Descartes en pseudo science de type « biologique. »

En ce sens, la pensée de Bergson correspond parfaitement au développement de l’irrationalisme bourgeois. Proust appelait d’ailleurs Bergson « le métaphysicien de l’époque ».

Charles Péguy (1873-1914), le principal penseur national-catholique critique de la modernité (« Aujourd’hui, dans le désarroi des consciences, nous sommes malheureusement en mesure de dire que le monde moderne s’est trouvé, et qu’il s’est trouvé mauvais. ») expliquait ce lien étroit entre Descartes et Bergson:

« La méthode bergsonienne revient essentiellement à remonter vivement une pente, et à la faire remonter vivement à l’homme et à l’esprit. Dans le sens où le cartésianisme a consisté à remonter la pente du désordre, dans le même sens le bergsonisme a consisté à remonter la pente du tout fait… Il y a certainement dans le bergsonisme comme un acharnement qu’il n’y a pas dans le cartésianisme… » (Note sur M. Bergson et la philosophie bergsonienne).

Bergson est en fait l’équivalent français de Freud. Lui aussi s’intéresse à la conscience, seulement ses réponses à lui sont adaptées, non pas à la déchéance de l’Autriche et à la culture viennoise décadente apocalyptique, mais à la France bourgeoise, celle qui a su écraser la Commune et maintenir bien haut le drapeau de la propriété privée.

Bergson s’intéresse donc à des questions philosophiques vitales pour la bourgeoisie, mais d’aucune utilité pour le prolétariat: où se conservent les souvenirs et comment se forment-ils? L’âme survit-elle au corps? La télépathie fonctionne-t-elle? Quel est le mécanisme du rêve? Quelle est la valeur philosophique du mysticisme? Quelles sont nos habitudes mentales?

La bourgeoisie française a mis en avant, avec Bergson, sa version « nationale » de l’irrationnel, qui pour des raisons historiques est très différent de l’irrationalisme allemand.

Il est à ce titre essentiel de voir que le seul véritable penseur communiste en France, Georges Politzer, d’origine hongroise, est le principal critique du bergsonisme. Politzer, dans « L’obscurantisme au 20ème siècle », où il critique le théoricien nazi Rosenberg, rattache même ce dernier à Bergson:

« Parlant à l’académie des sciences morales et politiques, le 21 janvier 1919, M. Bergson, le philosophe antirationaliste qui vient de mourir, disait à propos de la guerre de 1914-1918 : D’un côté, c’était la force étalée en surface, de l’autre la force en profondeur.

D’un côté, le mécanisme, la chose toute faite qui ne se répare pas elle-même ; de l’autre, la vie, puissance de création qui se fait et se refait à chaque instant.

Alors la force en profondeur, la vie, la puissance de création, c’était l’impérialisme français. M. Rosenberg (qui aime décidément les auteurs non aryens) accomplit une fois de plus « une révolution scientifique comme la découverte de Copernic il y a 400 ans » et recopie Bergson. »

Politzer a bien constaté que Descartes amène à Marx, si l’on abandonne pas le matérialisme et qu’on comprend la valeur de la pensée de philosophes comme Spinoza. Il a bien vu que Bergson est à l’opposé le théoricien par excellence de la France bourgeoise postérieure à la Commune de Paris, la France réactionnaire de la petite propriété et de la franc-maçonnerie, la France du positivisme, et que par conséquent il était logique que les idéologues fascistes puisent allègrement dans Bergson.

Bergson oppose en effet « intelligence » et « intuition »; l’une de ses grandes notions est la « force vitale créatrice profonde. » Bergson considère qu’« il y a déjà quelque chose de quasi divin dans l’effort, si humble soit-il, d’un esprit qui se réinsère dans l’élan vital, générateur des sociétés qui sont génératrices d’idées. »

L’intuition est au coeur de l’irrationnel. L’irrationnalisme de l’époque impérialiste a besoin de liquider la réalité; en France, Bergson en est le principal artisan, la figure métaphysique – catholique, l’inventeur de la « philosophie de la vie » à la française.

Il affirme que le temps tel qu’il est défini par la science est insuffisant et qu’il faut valoriser la « durée » tel qu’elle est comprise par la conscience. Tous les idéalistes disent la même chose, y compris la variante d’extrême-gauche, totalement subjectiviste jusqu’au délire.

Ce qui compte n’est donc pour les idéalistes pas seulement la réalité, mais aussi et surtout « autre chose ». Selon Bergson, « Il y a des choses que l’intelligence seule est capable de chercher, mais que, par elle-même, elle ne trouvera jamais. Ces choses, l’instinct seul les trouverait; mais il ne les cherchera jamais. »

C’est la base de l’irrationalisme de l’époque impérialiste: d’un côté, le sens pratique pour la réalité matérielle (ce que Bergson appelle « intelligence »), de l’autre l’irrationalisme pour la conscience (ce qu’il appelle « intuition »). Pour Bergson « L’intelligence, dans ce qu’elle a d’inné, est la connaissance d’une forme, l’instinct implique celle d’une matière. »

On a ici un vitalisme à la française; Bergson est le Nietzsche français. Le point culminant de cet irrationalisme est alors logiquement l’« élan vital », que Bergson définit comme « force créant de façon imprévisible des formes toujours plus complexes » – ce qui est exactement la prétention de l’impérialisme, car celui-ci prétend être « génial », être porté par les « génies. »

Bergson explique cela très clairement:

« Quant à l’invention proprement dite, qui est pourtant le point de départ de l’industrie elle-même, notre intelligence n’arrive pas à la saisir dans son jaillissement, c’est-à-dire dans ce qu’elle a d’indivisible, ni dans sa génialité, c’est-à-dire dans ce qu’elle a de créateur.

L’expliquer consiste toujours à la résoudre, elle imprévisible et neuve, en éléments connus ou anciens, arrangés dans un ordre différent. L’intelligence n’admet pas plus la nouveauté complète que le devenir radical. C’est dire qu’ici encore elle laisse échapper un aspect essentiel de la vie, comme si elle n’était point faite pour penser un tel objet. »

Le fascisme ne dit pas autre chose. Le romantisme de l’époque impérialiste consiste précisément en cet irrationalisme consistant que le « devenir radical » n’est pas saisissable par la pensée – c’est-à-dire par la théorie, c’est-à-dire par le Parti Communiste.

Pour Bergson, la réalité est à la fois matière et esprit, nous apparaissant comme « perpétuel devenir. » Il n’y a pas de matière éternelle, pas de dialectique, pas d’histoire à comprendre d’un point de vue matérialiste, dialectique.

Bergson est en fait à l’origine d’une métaphysique moderne, séparant l’âme et le corps: « L’intelligence est caractérisée par une incompréhension naturelle de la vie. C’est sur la forme même de la vie, au contraire, qu’est moulé l’instinct. Tandis que l’intelligence traite toutes choses mécaniquement, l’instinct procède, si l’on peut parler ainsi, organiquement. Si la conscience qui sommeille en lui se réveillait, s’il s’intériorisait en connaissance au lieu de s’extérioriser en action, si nous savions l’interroge et s’il pouvait répondre, il nous livrerait les secrets les plus intimes de la vie. »

Bergson est le théoricien de la « philosophie de la vie », forme idéaliste de l’époque impérialiste, dans le cadre du capitalisme en France. Voilà pourquoi Politzer lui a consacré un document fameux en son époque, « la fin d’une parade philosophique: le bergsonisme. »

Politzer critique évidemment l’idéalisme de Bergson, mais à l’époque il était clair de ce que représentait Bergson. Lorsque Politzer dit: « La philosophie de M. Bergson a toujours été l’alliée zélée de l’Etat et de la classe dont il est l’instrument », il répond directement à ce qu’est Bergson politiquement, comme lorsque ce favori de la bourgeoisie dit de manière chauvine:

« Le rôle de la France dans l’évolution de la philosophie moderne est bien net: la France a été la grande initiatrice, et elle est restée perpétuellement inventive, semeuse d’idées nouvelles. Ailleurs, sans doute, ont surgi également des philosophes de génie; mais nulle part, il n’y a eu, comme en France, continuité ininterrompue de création philosophique originale. Ailleurs, on a pu aller plus loin dans le développement de telle ou telle idée, construire plus systématiquement avec tels matériaux, donner plus d’extension à telle ou telle méthode; mais bien souvent les matériaux, les idées, la méthode étaient venus de France, peut-être sans que l’on gardât la mémoire de leur authentique origine. »

Politzer a, avec son analyse, mené l’étude de Bergson d’un point de vue communiste, suivant les principes léninistes de la polémique contre les ennemis du peuple. Il critique Bergson non pas simplement théoriquement, mais pour ce qu’il est politiquement, pour ce à quoi il sert.

Bergson a été le théoricien du « droit » français contre la « force » allemande, et c’est en ce sens qu’il devait être critique, non pas abstraitement, mais concrètement. L’oeuvre de Bergson est un mélange de métaphysique et de psychologie, sa fonction est anti-matérialiste à l’époque du matérialisme historique et dialectique, et voilà pourquoi Politzer ne s’est pas contenté de critiquer le bergsonisme, il l’a replacé dans son époque et il l’a évalué comme étant exactement la philosophie des classes dominantes avant qu’elles ne passent dans le camp du fascisme.

Avec la montée des masses révolutionnaires, avec la crise générale du capitalisme, les exigences bourgeoises changent.

Politzer constate qu’

« Il faut maintenant à la bourgeoisie des poètes et des penseurs qui organisent directement ses mots d’ordre, qui soufflent directement la flamme de sa rage. La langue des intellectuels devra lécher directement les fusils, les mitrailleuses, les canons. Les « intellectuels » eux-mêmes devront cracher des obus, expirer des gaz et, qui sait, accoucher d’avions, ou de sous-marins. Ils devront être aux côtés de la jeunesse bourgeoise que le fascisme organise pour la dictature blanche. Ils devront promener devant ses yeux toutes les traditions et toutes les valeurs inhumaines et sanguinaires. »

Comprendre Bergson, c’est comprendre la France qu’il faut abattre.

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