Karl Kautsky et le refus de la révolution allemande

Le centrisme de Karl Kautsky se prolongea y compris en pleine effervescence révolutionnaire en Allemagne.

Lors d’un conférence générale de l’opposition en avril 1917, Karl Kautsky s’opposa ainsi tant à la présence des spartakistes qu’à la formation d’une nouvelle organisation, le Unabhängige Sozialdemokratische Partei Deutschlands – USPD (Parti social-démocrate indépendant d’Allemagne).

L’USPD eut pourtant un succès immédiat, obtenant 120 000 adhérents en quelques mois, alors que le vieux parti social-démocrate n’en avait alors plus que 240 000. Karl Kautsky et Eduard Bernstein prirent dans ce cadre une position tellement réformiste qu’ils devinrent les chefs de file de son aile droite.

Lors de la révolution de 1918, alors que le régime s’était effondré, Karl Kautsky chercha alors à tout prix à réunifier l’USPD avec le vieux parti social-démocrate. C’était la ligne exactement contraire des communistes et cela donna la situation paradoxale que la petite aile droite de l’USPD soutenait donc le gouvernement en place, alors que son aile gauche cherchait à le renverser. Hugo Haase, dirigeant de l’USPD depuis sa fondation, cherchait quant à lui à temporiser, afin d’unifier toute la gauche.

Le vieux parti social-démocrate s’appuya cependant sur l’Armée et les factions nationalistes armées pour écraser la révolution dans le sang. En août 1920, bien après l’échec de la révolution et la mort de Rosa Luxembourg et Karl Liebknecht sous les balles des corps-francs appuyés par la social-démocratie anti-communiste, Karl Kautsky expliquait encore qu’il y avait une révolution sociale en cours en Allemagne, qu’elle allait durer plusieurs décennies, qu’elle était une partie de la révolution mondiale.

Rosa Luxembourg, assassinée en 1919.

Il justifiait cela en disant qu’il faut distinguer la prise du pouvoir politique et les modifications sociales, que la social-démocratie, en raison de sa scission, n’est pas en mesure de porter réellement la force de la classe ouvrière, etc. Les communistes se voyaient ainsi attribuer l’origine de la faiblesse du processus révolutionnaire qui serait déjà en cours.

C’était intenable et Karl Kautsky abandonna alors l’UPSD, qui basculait dans le bolchevisme et qu’il finit par rejoindre dans sa grande majorité. Lui-même ne se voyait pas encore rejoindre le vieux parti social-démocrate. Il alla alors en Géorgie, d’août 1920 à mai 1921, avec l’intention ensuite d’aller s’installer en Autriche.

Karl Kautsky avec des sociaux-démocrates de Géorgie, à Tiflis en 1920.

Il fit une description idyllique de ce voyage, en 1921, dans La Géorgie, une république social-démocrate de la paysannerie. Il est significatif que les deux derniers chapitres s’intitulent « L’agression bolchevique » et « Le bonapartisme moscovite »

Version anglaise, en 1921, de l’ouvrage
de Karl Kautsky sur la Géorgie.

Son écrit consistait, en réalité à part ces deux chapitres, en une présentation du pays permettant à chaque fois une brutale critique du bolchevisme : sa végétation, son agriculture, son industrie, son histoire, sa « révolution » c’est-à-dire la prise du pouvoir par les menchéviks.

Le régime menchévik est présenté comme « le plus solide au monde », un « paradis » comparé à « l’enfer » de la Russie soviétique. C’était alors son leitmotiv : selon Karl Kautsky, il fallait suivre les modèles unitaires, rassemblant « réformistes » et « révolutionnaires », au sens de « révolutionnaires » non liés à la Russie. Il mentionnait alors les exemples autrichiens, suisse, français, italiens, saluant l’unité d’Otto Bauer, Fritz Adler et Karl Renner, Wilhelm Ellenbogen, Robert Grimm et Herman Greulich, Jean Longuet et Pierre Renaudel, Filippo Turati et Giacinto Serrati.

Le bolchevisme ne lui apparut – tout comme la Première Guerre mondiale, que comme un phénomène tout à fait secondaire, qui ne durerait pas. En 1921, dans De la démocratie à l’esclavage étatique, il explique ainsi que :

« Une classe dominante n’est également jamais identique avec le gouvernement et ses autorités. Elle aussi a besoin de la liberté de critique par rapport au gouvernement et de la possibilité d’une information autonome, indépendante du gouvernement (…).

Il n’y a, aujourd’hui en Russie, uniquement une presse gouvernementale, que des éditions fondés ou tolérées par le gouvernement ; le gouvernement dispose de toutes les imprimeries et de tout le papier, au point qu’une presse illégale comme au temps du tsarisme n’est même pas possible.

Il tient au bon plaisir du gouvernement de savoir quels partis il veut tolérer, les syndicats et les coopératives sont soumis au paternalisme administratif.

C’est une situation qui non seulement ne promeut pas le développement spirituel des masses, mais le paralyse au maximum, les rend toujours plus incapables de mener leur libération et le développement d’institutions socialistes, qui ne peuvent être que l’oeuvre de la classe ouvrière et pas d’une bureaucratie ou d’une dictature d’un parti (…).

Lorsque le parti socialiste a la majorité au parlement d’une république démocratique, le prolétariat gouverne seul, sans être dépendant des autres classes (…).

Un gouvernement est dictatorial quand il domine de manière illimitée. De plus,il appartient à l’essence de la dictature qu’elle ne soit comprise que comme régime temporaire. Un gouvernement sans limites, qui est instauré sur le long terme, est qualifié de despotique (…).

Une chose est sûre : le bolchevisme a dépassé son apogée et se trouve sur la pente descendante, dont le rythme s’accélère naturellement. »

Au nom de la révolution comme évolution, Karl Kautsky refusa le bolchevisme, et il condamna autant qu’il put la révolution russe… Au nom de la révolution russe.

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