Seconde thèse de Karl Marx sur Feuerbach

Traduction classique

La question de savoir s’il y a lieu de reconnaître à la pensée humaine une vérité objective n’est pas une question théorique, mais une question pratique.

C’est dans la pratique qu’il faut que l’homme prouve la vérité, c’est-à-dire la réalité, et la puissance de sa pensée, dans ce monde et pour notre temps.

La discussion sur la réalité ou l’irréalité d’une pensée qui s’isole de la pratique, est purement scolastique.

Traduction corrigée

La question de savoir s’il revient à la pensée humaine la vérité objective n’est pas une question de la théorie, mais une question pratique.

Dans la pratique, l’être humain doit prouver la vérité, c’est-à-dire la réalité et le pouvoir, la présence de ce côté-ci de sa pensée.

Le débat sur la réalité ou la non-réalité d’une pensée, qui s’isole de la pratique, est une question entièrement scolastique.

Le raisonnement de Karl Marx est simple : si la pensée correspond à une intervention dans le réel, alors elle a une dignité et existe au sens strict, à travers l’action. Toute pensée isolée n’a de toutes façon pas de valeur.

On pourrait donc abandonner toute étude de cette question qui de toutes façons n’aboutirait à rien. Karl Marx dit que cela relève de la scolastique justement en raison du débat sans fin qui a existé dans la scolastique à ce sujet.

La traduction est encore bien fautive, car elle parle de discussion et non pas de débat, alors qu’il est évidemment fait allusion à la polémique intense concernant la question de savoir si « l’homme pense », dans le cadre de la fin du moyen-âge en Europe.

Karl Marx ne connaissait malheureusement pas la valeur de ce débat, qui opposait le matérialisme représenté par l’averroïsme latin et le catholicisme. Ce dernier a interdit la thèse selon laquelle l’homme ne pensait pas, thèse défendue inversement par l’averroïsme latin issu de la falsafa arabo-persane, elle-même issue d’Aristote.

Il est vrai que la question de savoir dans quelle mesure la pensée individuelle ne fait de toutes façons que refléter la réalité ne pouvait pas attirer Karl Marx, dans la mesure où Luwig Feuerbach disait la même chose en quelque sorte, et que de la même manière que chez Ludwig Feuerbach, l’averroïsme latin ne voyait pas la pratique.

Chez Aristote, chez Avicenne et averroès, chez Spinoza, la juste compréhension de la réalité est déjà en soi un bonheur intellectuel et donc existentiel. Saisir le monde de manière adéquate est l’aboutissement ultime.

Comme le monde est considéré comme statique, alors le seul but de chaque être devrait être d’être authentiquement matérialiste, réaliste. Y arriver soi-même, aider les autres à faire de même autant que possible (dans des contextes peu propices à cela et donc exigeant la prudence la plus grande), voilà ce qui était possible.

Or, c’est la dignité du réel qui interpellait Karl Marx, dans le sens par contre d’un monde en changement, en transformation interne, en mouvement. C’est là la particularité du matérialisme dialectique, qui reconnaît comme Aristote et Spinoza le caractère éternel de la matière, mais qui apporte un élément de plus : le mouvement.

Le dépassement de Ludwig Feuerbach signifie en fait, également, le dépassement d’Aristote, d’Averroès et de Spinoza, ces trois titans du matérialisme avec Karl Marx.

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