27 nov 1936

Le complot fasciste en France, Lucien Sampaix (novembre 1936)

Submitted by Anonyme (non vérifié)

Quelques inculpations ont été lancées récemment contre différents chefs des organisations fascistes.

Nous avons vu Dorgères, chef des « chemises vertes », l'un des plus dangereux agitateurs fascistes à la campagne, inculpé de « provocation à attroupement » à la suite de sa tentative d'empêcher le ravitaillement de Paris, en faisant bloquer les Halles centrales par les maraîchers en grève.

Nous avons vu le colonel de La Rocque et quelquesuns de ses amis inculpés, eux aussi, de provocation à l'attroupement, à la suite de la contremanifestation organisée lors du meeting de notre Parti au Parc des Princes.Puis ce fut le tour du commandant Jean Renaud, chef de la Solidarité Française, inculpé de « reconstitution de ligue dissoute ». Et, de certains côtés, dans le Front populaire, on nous dit : « Voyez, le gouvernement Léon Blum tient ses promesses. Il a dissous les ligues, il traque les chefs factieux, il inculpe les requins de « l'Urbaine », le de Voguë des « Agriculteurs », le banquier des Croix de feu Lehideux. On poursuit Schneider le fraudeur, etc., etc. ». Nous nous félicitons de ces poursuites. La campagne vigoureuse menée par notre Parti communiste et son journal l'Humanité n'est d'ailleurs pas étrangère à cette action répressive contre les factieux. Mais nous ne marquerons pas ici la même joie que nos camarades du Populaire.

Car, enfin, si un chômeur coupable de voler un pain pour donner à manger à ses enfants est condamné sans délai, par contre, le banquier Lehideux et son complice le comte de Voguë, coupables d'avoir frustré la petite épargne de plusieurs dizaines de millions, ne sont pas encore arrêtés, malgré toutes les preuves de leur gigantesque escroquerie.

Schneider, accusé de fournir du matériel défectueux aux organismes de défense nationale, Schneider, accusé d'avoir utilisé des faux poinçons, est toujours en liberté, tout comme le provocateur au meurtre Maurras, qui, malgré des condamnations RENDUES EXÉCUTOIRES par un jugement de la Cour d'appel, n'est pas encore en prison.

Aussi, si nous nous réjouissons de voir inculper à leur tour les chefs factieux, nous devons, malgré tout, constater que ces poursuites n'empêchent nullement La Rocque, Dorgères et Jean Renaud depoursuivre, avec une grande activité, leurs préparatifs de guerre civile.

Or, le programme adopté par le Rassemblement populaire prévoit comme premier point :

a) Désarmement et dissolution effectifs des formations paramilitaires, conformément à la loi.

b) Mise en vigueur des dispositions légales en cas de provocation au meurtre ou d'attentat à la sûreté de l'Etat.

Le gouvernement Léon Blum, nous diraton, a appliqué ces clauses du programme. C'est vrai ! Un décret du camarade Salengro, ministre de l'Intérieur, a « dissous » les ligues fascistes, conformément à la loi votée le 7 décembre dernier par le Parlement, visant les formations paramilitaires.

Ce décret visait nommément le Mouvement Croix de feu, les Jeunesses patriotes, les ligues d'Action française, le « Francisme » et la « Solidarité française ». C'est vrai encore que Maurras a été condamné pour provocation au meurtre. Mais il est non moins vrai que le chef royaliste peut continuer impunément à insulter grossièrement le camarade Blum, qu'il traite de « chamelle », de « pédéraste » et de « faussaire », et que Gringoire mène une scandaleuse campagne contre le camarade Salengro, qu'il accuse d'avoir déserté pendant la guerre.

Ce ne serait rien si, derrière ces campagnes de presse, les ligues fascistes ne faisaient preuve d'une intense activité, comme au plus beau temps du gouvernement Laval.Il est indéniable que la loi sur la dissolution des ligues est restée inopérante. A maintes reprises, nous avons montré dans l'Humanité que les ligues n'avaient fait que changer d'appellation, sans aucunement changer leurs méthodes et leur forme d'organisation paramilitaire.

Les « Jeunesses patriotes » se sont appelées « Parti national populaire », mais les groupes mobiles de combat de rues ont subsisté, ainsi que les groupes régimentaires de Taittinger. La « Solidarité française » s'est appelée Parti de la Solidarité française, mais les « milices » et les « groupes d'assaut » de Jean Renaud fleurissent comme par le passé.

Le « Francisme » s'est appelé Parti franciste, mais les « légions » de Bucard sont restées intactes.

Quant au Mouvement Croix de feu, qui constitue l'armature du mouvement fasciste, il s'est transformé en Parti social français. Le colonel de La Rocque a même élaboré de nouveaux statuts calqués sur les statuts du Parti radical et du Parti socialiste. Camouflage encore !

Le Parti social français, successeur du mouvement croix de feu Un simple coup d'oeil sur le « Parti social français ». On sait que les Croix de feu et les Volontaires Nationaux étaient organisés sur une base très souple, très maniable, de groupes très mobiles, hiérarchisés et militarisés, permettant une mobilisation très rapide pouvant s'effectuer presque secrètement en quelques heures. Le système était assez simple. Des régions divisées en secteurs, avecun chef de secteur. Ces secteurs divisés en quartiers, avec un chef par quartier.

Les adhérents de chaque quartier étaient répartis en « centaines », avec un chef de centaines. Les centaines divisées en « trentaines », les « trentaines » divisées en « dizaines », chaque « dizaine » étant divisée en deux « mains », composées de cinq adhérents, habitant la même maison ou la même rue.

Les ordres de mobilisation, lancés du Comité directeur par le colonel de La Rocque, arrivaient à la base avec une extrême rapidité. Le chef de secteur transmettait aux chefs de quartier, qui transmettaient aux chefs de « centaines ». Les chefs de « trentaines », de a dizaines » et de « mains » étaient aussitôt touchés par les ordres. Et le chef de main n'avait qu'à mobiliser ses cinq hommes.

On peut affirmer qu'en deux heures, à Paris, La Rocque pouvait sans un tract, sans une convocation écrite mobiliser une très grande partie de ses Croix de feu et Volontaires Nationaux et jeter ainsi ses groupes de combat dans la rue.

G'est cette organisation militarisée et hiérarchisée qu'avait voulu viser la loi du 7 décembre et que visait le décret Salengro. Qu'estil advenu ? En transformant son Mouvement Croix de feu en Parti social français, La Rocque atil abandonné ses bases d'organisation ?

A cela, les documents répondent.

Voici une convocation adressée le 2 octobre 1936 au Croix de feu Gaultier, à Montreuil :

Parti social français E.V.P. Laissez passer de service 2 octobre 19 heures Palais des Sports Porte boulevard de Grenelle

Le chef de SECTEUR (Signé) : SERDEAU.

Donc, les SECTEURS subsistent toujours.

Voici une autre convocation, de juillet 1936 :

« Cher camarade,

Vous êtes prié d'assister à la réunion de la TRENTAINE qui aura lieu mardi 23 courant, Maison du Café, quai des Brotteaux, au premier étage, à 20 h. 30.

Objet : RÉORGANISATION DE LA TRENTAINE, questions diverses.

« Le moment n'est plus à l'indolence. Il est indispensable que l'on sache si l'on peut compter sur vous. Il existe deux façons d'aider le mouvement : soit pécuniairement, soit activement, C'ESTADIRE EN PAYANT DE SA PERSONNE.

Il vous appartiendra de me faire connaître ce que vous préférez, soit à la réunion de mardi, soit auparavant, par une lettre que vous voudrez bien déposer dans la boîte de M. R. Michel, 53, rue Molière.« (Signé) : R. BRUNAND. Donc, avec les secteurs, les « trentaines » subsistent ! Et les « dizaines »? Alors, voici encore un document :

Deuxième trentaine : chef, Audiger, 5, rue du Marché SaintHonoré. Opéra 8154.

Liste de la dizaine :

1.Boyer, 5, rue du MarchéSaintHonoré.

2.Audiger, 5, rue du MarchéSaintHonoré.

3.Walfrey, 6, rue du MarchéSaintHonoré.

4.Potron, 6, rue du MarchéSaintHonoré.

5.Pignet, 11, rue du MarchéSaintHonoré.

6.Chedeville, 15, rue du MarchéSaintHonoré.

7.Jamet, 15, place du MarchéSaintHonoré.

8.Richardson, 26, place du MarchéSaintHonoré.

9.Beaujour, 24, place du MarchéSaintHonoré.

10. ...............................Et ce document ajoute :

« Nota : Il faut considérer la dizaine comme une cellule d'organisation. Chacun doit aller voir son chef de dizaine dés cette semaine. »

Ajoutons que, sur cette pièce, existe une petite note manuscrit indiquant que le « dizainier » Potorn est détenteur de six fusils anglais.

Ainsi, par les trois pièces cidessus citées, nous apportons la preuve formelle que le Parti social français est constitué exactement sur les mêmes bases que le Mouvement Croix de feu.

Les organisations paramilitaires subsistent : SECTEURS, TRENTAINES, DIZAINES.

Le Populaire du 20 octobre, de son côté, pouvait écrire : « LE PARTI SOCIAL FRANÇAIS : C'EST LES CROIX DE FEU. Tous les cadres de ce pseudo « parti » sont ceux de l'armée de la tête de mort. »

Cette constatation, faite par le journal du chef du gouvernement, est absolument exacte.

La Rocque a reconstitué sa ligue de guerre civile. Or, la loi du 7 décembre 1935 indique :

« Sera condamné à un EMPRISONNEMENT DE SIX MOIS A DEUX ANS tous ceux qui, directement ou indirectement, auront participé à la reconstitution d'une ligue dissoute. »Logiquement, La Rocque devrait méditer dans une cellule de la Centrale de Clairvaux sur les inconvénients qu'il y a à bafouer les lois de la République. Or, il est seulement inculpé « de provocation à attroupement » et non de « reconstitution de ligue dissoute ». Nous sommes donc loin de l'application de la loi et du programme du Front populaire. Malgré les apparences et les cris de joie de nos camarades du Populaire, les ligues fascistes ne sont pas RÉELLEMENT dissoutes.

Sontelles au moins désarmées ? Là non plus, la loi n'a pas joué contre les factieux. Certes, il y a eu récemment des perquisitions dans les locaux de diverses organisations fascistes. Mais le gouvernement sait, tout aussi bien que nous, que ces perquisitions à retardement ne pouvaient avoir aucun résultat.

L'Action française ellemême a pu écrire que le colonel de La Rocque avait été averti, huit jours à l'avance, de ces perquisitions. Et nous avons vu, de nos propres yeux, des camions emporter, du siège des Croix de feu, des tonnes de documents et de matériel deux jours avant la perquisition prévue. Comment, dans ces conditions, les recherches pourraientelles aboutir à un résultat ? Comment la police pourraitelle découvrir les dépôts d'armes ?

Les ligues sont armées

Cependant, les ligues sont armées et bien armées.

Au cours du mois de juillet, des distributions d'armes automatiques ont été faites à diverses sections, notamment dans le 9è arrondissement de Paris. Fin septembre, d'une automobile arrêtée au16, rue de Commines, des fusils étaient déchargés et montés au deuxième étage, chez le Croix de feu Vignon.

Les renseignements de police euxmêmes confirment nos propres données. Des achats d'armes massifs sont opérés chez les armuriers. A Metz, par exemple, une enquête a permis de constater une recrudescence d'achats de revolvers. Des chiffres ? Du 1er janvier à fin août, les armuriers de Metz avaient une vente moyenne de quatorze armes par mois. Or, pour le seul mois de septembre, cent quarante et une armes furent achetées, en particulier par des ecclésiastiques, des industriels, des officiers de réserve, c'estàdire par tous les éléments factieux.

A Haguenau, pour le seul mois de septembre, les commandes étaient telles qu'un armurier avait dû demander 50.000 cartouches Mauser à une maison allemande.

Le camarade Salengro n'ignore pas cela

Le Populaire du 15 octobre notait, de son côté :

« Rien qu'à Mulhouse PLUS DE SEPT CENTS FUSILS DE CHASSE ont été achetés ces derniers temps par des personnes plus qu'équivoques. »

On sait qu'une bonne carabine de gros calibre vaut un Lebel pour la guerre de rue.

En Algérie, on signalait que les armuriers ont vendu, ces temps derniers, TRENTEDEUX MILLE ARMES A FEU.Il en est ainsi dans toutes les régions. Mais ce n'est là que l'armement « légal », si l'on peut ainsi s'exprimer.

Car la contrebande bat son plein, en particulier sur la frontière francosuisse, où les factieux avaient organisé un véritable trafic de mitraillettes, mitrailleuses, parabellums et munitions ; ainsi que l'ont prouvé les découvertes faites à Annecy, découvertes suivies de l'arrestation de deux militants royalistes... remis par la suite en liberté.

Enfin, quelques dépôts d'armes, découverts par hasard, à Cambrai, à Nancy, à Lyon et à Paris, chez des adhérents des ligues dissoutes, prouvent que l'armement fasciste n'est pas un mythe. Une autre forme « légale » de l'armement fasciste est la suivante. On sait qu'existent de nombreuses sociétés de perfectionnement de sousofficiers de réserve et de sociétés de tir pour la préparation militaire. L'autorité militaire donne à ces sociétés les armes et les munitions nécessaires pour leur entraînement. Nécessité de la défense nationale ! Diraton.

Oui, mais La Rocque a compris tout l'intérêt qu'il y avait à prendre en mains ces sociétés dans lesquelles il a poussé ses Croix de feu et ses Volontaires Nationaux.

Dans la région parisienne, par exemple, des exercices de tir ont lieu tous les dimanches dans les forts (Montrouge, Bagnolet, SaintDenis, etc.), où les jeunes « dissous » se font la main. Non seulement ils se font la main, mais encore ils accumulent habilement les munitions. Citons un exemple :Au 140, rue de Vanves, à Paris, existe la société de tir «L'Ex», composée entièrement de Croix de feu et Volontaires Nationaux. Cette société dispose en permanence de quarante fusils de guerre. Quoiqu'elle ne compte que quarante membres, elle en déclare cent cinquante et, à chaque séance de tir, reçoit ainsi les cartouches pour 150 tireurs. Or, 40 seulement utilisent les munitions. A ce petit jeu, qui dure depuis des années, les fascistes ont pu constituer un stock important de munitions, car ce qui se passe à la société « L'Ex » se passe dans bien d'autres sociétés du même genre.

Cela est si vrai qu'un camarade de Fuveau, petite localité dans les BouchesduRhône, m'a adressé la lettre suivante :

« Lisant dans l'Humanité votre article du samedi 10 courant : « En prison La Rocque », « Société de tir », il m'est très agréable de vous informer que, dans notre village (2.300 habitants), les armes et les munitions pour la société de tir sont fournies, ainsi que vous le dites, à un groupement dit « Pierre Joubert », dont le président d'honneur est le curé de notre paroisse et dont les membres sont tous fascistes, sans exception.

A un tel point que si un groupement de gauche veut organiser un concours de tir à la cible à l'occasion de la fête locale ou tout autre, elle ne le peut, étant donné que la société en question y met opposition.

Vous conviendrez, j'en suis sûr, qu'il est un peu extraordinaire que l'on fournisse des armes et munitions à un groupement fasciste sous un gouvernement de Front populaire. »Combien est juste la remarque de ce camarade ! Et combien il serait intéressant que, dans chaque région, nos camarades effectuent des recherches à ce sujet et nous transmettent leurs observations.

L'activité fasciste dans l'armée

Mais si dangereux que soient les dépôts d'armes et l'armement individuel des fascistes, il est certain que l'activité des factieux dans l'armée représente un danger non moins grand.

A plusieurs reprises, nous avons dénoncé dans l'Humanité la pénétration des ligues fascistes dans les casernes et l'organisation des « groupes régimentaires » constitués par le chef des « Jeunesses patriotes », le député Taittinger.

Le travail réalisé dans ce domaine par le colonel de La Rocque apparaît plus sérieux encore. Et cela pour deux raisons. La première, c'est que les « Volontaires Nationaux » groupent un nombre beaucoup plus important de jeunes que les « J. P. » et, de ce fait, ont de plus nombreux propagandistes à la caserne.

La seconde raison, c'est que La Rocque a beaucoup plus d'adhérents et de sympathisants dans les cadres moyens : lieutenants, capitaines, etc.

Nous avons publié déjà la lettre du Volontaire National Cruchet, soldat au ler génie, à Strasbourg, adressée à un de ses amis du même régiment. Remettonsla sous les yeux de nos camarades :

« Cher camarade, Voici longtemps que je ne t'ai donné de mes nouvelles. Mais, tu sais, excusemoi. Ici, je cours toujours, je suis en permission de détente et je suis en contact avec le COMITÉ DIRECTEUR DU PARTI SOCIAL FRANÇAIS. Ainsi, je n'ai pas une minute de libre. JE SUIS NOMMÉ DÉLÉGUÉ MILITAIRE POUR L'ALSACE, Car, maintenant, j'agis EN RELATION ET SOUS LA COUVERTURE DU SIÈGE et de l'étatmajor. Aussi j'ai besoin que TOUS LES RÉGIMENTS SOIENT ORGANISÉS, et particulièrement le 18è génie, surtout à l'époque des libérations et incorporations. Et, comme j'ai besoin de trois adjoints, je vous ai nommés : toi, Henitz André et Var. Je compte absolument sur vous trois. Car, maintenant, la chose est très importante : le P.S.F. Et le P.P.F. doivent fusionner et ENTRER EN ACTIVITÉ EN OCTOBRE. Et, par suite, nous aussi, nous devons COORDONNER LE MOUVEMENT CIVIL AVEC LE MOUVEMENT OFFICIERS ET MILITAIRES et enrayer la poussée révolutionnaire, par suite former nos cadres nationaux.

Mon vieux, j'attends une réponse de toi. Si tu acceptes cette mission, répondsmoi immédiatement. Je dois donner la liste des délégués au siège avant lundi et je te ferai parvenir LES ORDRES DU SIÈGE immédiatement après.

Je rentrerai de permission le 8 septembre. Elle passe très vite, j'avais pris vingt jours. Et toi, mon vieux, l'astu déjà prise ? Quand tu m'enverras la réponse, donnemoi en même temps laproportion approximative de révolutionnaires dans la nouvelle incorporation.

Donc, mon vieux Dubart, tout en attendant d'urgence ta réponse, reçois de ton ami Pierre une cordiale et amicale poignée de mains de V. N.

Bonjour aux amis.

P. S. Si tu n'es, pas encore inscrit au P.S.F., c'est 2 fr. Va à la nouvelle permanence de Strasbourg. Adresse : 3, rue Mercière, à Strasbourg.

Dans ta réponse, donnemoi ton n° carte V. N, et ton nouveau n° carte provisoire P.S.F. (car on te la donne tout de suite). Adresse personnelle : Pierre Cruchet, 10, rue des BonsEnfants, Paris (ler).

P. S. Communique cette même lettre à Var et à Henitz André, c'est très urgent et je ne puis l'écrire à tout le monde, AYANT VINGT CINQ RÉGIMENTS A M'OCCUPER. »

Cette lettre montre que La Rocque organise des groupes fascistes dans les garnisons... Des « DÉLÉGUÉS MILITAIRES », en contact direct avec le « COMITÉ DIRECTEUR DU PARTI SOCIAL FRANÇAIS », agissant « EN RELATION ET SOUS LA COUVERTURE DU SIÈGE ET DE L'ÉTATMAJOR », afin de créer des groupements clandestins « DANS TOUS LES RÉGIMENTS ».

Le Volontaire National Cruchet, qui a « VINGT CINQ RÉGIMENTSA S'OCCUPER », indiquait au surplus que ces groupements illégaux devaient se préparer « A ENTRER EN ACTION EN OCTOBRE » et qu'il importait de « COORDONNER LE MOUVEMENT CIVIL AVEC LE MOUVEMENT OFFICIERS ET MILITAIRES » selon « LES ORDRES DU SIÈGE », c'estàdire du colonel de La Rocque. En somme, il y a toutes les précisions, toutes les preuves d'une organisation illégale dans l'armée, sous la direction du « siège du Parti social français », dont le président est le colonel de La Rocque. Nous avons offert de verser l'original de cette lettre aux mains d'une commission d'enquête. Personne, soit au ministère de la Guerre, soit au ministère de l'Intérieur ou au ministère de la Justice, ne s'est soucié de ce document écrasant, qui constitue à lui seul la preuve du complot tramé par La Rocque contre la sûreté intérieure et extérieure de l'Etat.

Il est évident que les fascistes visent à entraîner une partie de l'armée contre le peuple. Leur système de propagande est simple : 1° Des colis de brochures et de journaux sont envoyés aux soldats appartenant à ces groupes, et diffusés dans les casernes. 2° Les officiers fascistes mettent à profit toutes les duretés du service militaire pour dire aux soldats : «C'est la faute au Front populaire». Il est à craindre que cettepropagande ne trouve un terrain excellent parmi les soldats, privés de la presse du Front populaire, qui reste interdite dans les casernes, et qui n'ont pas vu leur sort s'améliorer beaucoup depuis l'avènement du gouvernement Léon Blum. Ajoutons que ces groupes fascistes ont aussi pour tâche de repérer leséléments révolutionnaires afin, soit de les moucharder, soit de les « neutraliser » en cas de coup de force fasciste.

Nous n'insisterons pas davantage sur ce point. Mais notre Parti Communiste, tous nos militants, doivent insister partout sur la nécessité d'épurer l'armée, de prendre des mesures contre les officiers factieux, d'interdire la presse fasciste dans les casernes, et d'obtenir enfin pour les soldats le droit de lire la presse républicaine. L'exemple de Franco en Espagne souligne encore davantage cette nécessité.

Les fascistes, danger pour les institutions républicaines Un autre point sur lequel il nous semble utile d'attirer l'attention des militants de notre Parti et du Front populaire est le suivant : Dans différents endroits, à Paris, en banlieue, et sans doute en province, les Croix de feu ont établi des permanences centrales, avec salle de réunion, permettant de grouper des centaines d'adhérents, à proximité des centrales électriques, des centraux téléphoniques et télégraphiques, des services importants des eaux ou des moyens de communication. Ils ont également introduit leurs hommes dans ces points stratégiques essentiels, en particulier dans le personnel de maîtrise.

Ce n'est pas par hasard que ces dispositions ont été prises. Et, en cas de coup de force brusqué, la prise rapide de ces points stratégiques pourrait être effectuée en peu de temps par des groupes de choc des ligues fascistes, réunis au préalable et presque en secret dans les permanences voisines.

Electricité, eau, gaz, services téléphoniques et télégraphiques, têtesde ponts, etc... pourraient tomber en peu de temps aux mains des factieux.

Il serait très utile que, dans chaque quartier de Paris, dans chaque ville de banlieue ou de province, nos militants, examinent cela et nous fassent parvenir leurs observations.

Il faut dissoudre et désarmer effectivement les ligues Nous n'épiloguerons pas sur tous ces faits : Nous aurions pu multiplier les exemples. Tous ne feraient que renforcer cette opinion : les lignes fascistes ne sont pas dissoutes ; elles ne sont pas désarmées. Au contraire, elles mettent à profit les regrettables reculades, les tergiversations et l'indulgence trop grande dont fait preuve le gouvernement pour renforcer encore leur organisation et leur armement.

Déjà, les fascistes sont passés aux actes terroristes : bombe à Vienne dans un bal populaire, bombe contre le domicile du professeur radical Cerf, bombe contre le consulat d'Espagne à Oran... Et, toujours, on retrouve la main des « dissous »; qui appliquent à la lettre les directives du colonel de La Rocque. Ces directives furent données par le colonel au cours d'une assemblée des délégués régionaux Croix de feu, tenue le 6 septembre dernier à Paris : « Il faut, déclara La Rocque, nous préparer à prendre le pouvoir par la force. Dès maintenant ; dans toutes les villes de province, des instructions doivent être données à chaque groupement Croix de feu pour la constitution de TROUPES DE CHOC. »Dans quel but ces troupes de choc ? Voici la déclaration même du colonel :

« Ces troupes auront pour mission de CASSER LA FIGURE aux militants les plus en vue du Front populaire, surtout aux militants communistes dont l'influence pourrait entraver notre action. » Et le colonel donna aussi quelques conseils de prudence. Tel celuici, par exemple : ces troupes de choc ne devront pas opérer dans leur propre localité, mais faire des « expéditions punitives » dans les villes voisines où il sera plus difficile de les identifier. Ces directives furent données le 6 septembre par le colonel de La Rocque. Treize jours après, le 19 septembre, c'était la bombe de Vienne et l'assassinat de notre jeune camarade Llacer. Nos lecteurs tireront d'euxmêmes la conclusion ; il faut appliquer le programme du Front populaire.

Désarmement et dissolution effectifs des ligues fascistes. Arrestation des chefs factieux qui organisent méthodiquement la guerre civile.

P. S. Par ailleurs, signalons les différentes méthodes employées par les fascistes pour effrayer les paysans et les classes moyennes en montrant le Parti communiste comme un Parti composé de sanguinaires.

Le 9 octobre, le Matin publiait un court article indiquant en titre que « le bruit avait couru que les communistes avaient l'intention de s'emparer de FontenayleComte », dans la Vendée. Et le Matinrelatait en particulier ceci : « Le bruit courut même avec tant d'insistance que, le 28 septembre, le souspréfet de cette ville était avisé que la Banque de France, la souspréfecture, la mairie, etc... devaient être occupées par les éléments locaux d'extrême gauche. La caserne, qui doit recevoir bientôt le 24° R.T. Tunisiens, devait aussi être occupée, et les fusils, destinés aux soldats, saisis. Le souspréfet alerta le commandant de la place, la police et la gendarmerie et décida même d'aviser M. Moreau, préfet de la Vendée. »

« Hier soir, jour où devait avoir lieu la prétendue attaque, les étrangers de passage à FontenayleComte ne furent pas peu surpris de voir la plupart des maisons fermées, tandis que des pelotons de gendarmes patrouillaient aux endroits susceptibles d'être attaqués. Mais on eut beau attendre, il ne se produisit rien. » Mais, ce que ne dit pas le Matin, c'est cette petite histoire que nous écrit un de nos correspondants :

« Dans la journée du 30 septembre et dans la nuit qui suivit, la population de la petite ville de FonfenayleComte, terrorisée, attendait la « révolution communiste »(SIC). TOUTES LES ARMES DISPONIBLES FURENT ACHETÉES CIIEZ LES ARMURIERS DE LA VILLE ; des Fontenaisiens allèrent, dans des localités voisines, chercher des FUSILS DE CHASSE ; des provisions de vivres furent faites par les ménagères en prévision d'une guerre civile. Le capitaine de gendarmerie (fasciste) mobilisa ses hommes ; le commandant d'armes aligna ostensiblement des mitrailleuses. Le souspréfet (fasciste, le bras droit de l'ancien maire de Sens,Dupêchez), le préfet furent alertés : « les communistes de Niort, de Nantes, de la Rochelle devaient marcher sur Fontenay pour s'emparer d'an dépôt d'armes.»

Il y a là un véritable complot contre la sûreté de l'Etat et contre la liberté de paisibles citoyens, qui inquiète avec raison les républicains de ce petit coin de Vendée, et nous souhaitons qu'enquête sérieuse soit menée et que mesures énergiques soient prises contre les responsables de ce petit coup d'Etat. De tels faits, venant après les mobilisations fascistes de Cholet, Bressuire, Challans, La Roche, organisées par tous les dissous vendéens, sous le haut patronage de Taittinger, sont un signe de l'armement des factieux dans l'Ouest. (La section Croix de feu de Fontenay, responsable de cet affolement, en a certainement profité pour acheter des revolvers, se disant en légitime défense.) Les journaux régionaux (la Vendée entre autres, autrefois organe de Baudry d'Asson, aujourd'hui feuille à Taittinger), passent très régulièrement des rappels pour la levée des fourches. » Voilà, n'estil pas vrai, un exemple typique de la façon dont s'y prennent les fascistes pour tenter de dresser contre nous les populations des campagnes.

D'autres moyens sont aussi employés ; en particulier, dans de nombreuses localités, les fascistes font courir le bruit que les communistes ont dressé des listes noires, contenant les noms des personnes à fusiller le « grand soir ».

Ces affirmations sont surtout répandues chez les petits commerçantset dans la petite bourgeoisie. Souvent, nos militants ne prennent pas ces bruits au sérieux, et ne se donnent pas la peine de les démentir. Or, voici une lettre adressée à un certain M. R... de G..., à Paris, lettre qui nous est tombée par hasard entre les mains, et dans laquelle il est question d'un certain Louis.

Ce Louis paraît beaucoup effrayé par les menaces des « terroristes communistes ». Voici un passage de cette lettre :

« Notre retour d'Evian, qui a eu lieu le 19 septembre, ainsi que ta mère te l'avait écrit, ne nous a procuré aucun enthousiasme, car nous étions fort tranquilles au bord du lac, et surtout délivrés des raseurs dijonnais. Le lendemain, coup de téléphone du grand Louis, désireux de me voir. Il est arrivé maigre, la figure changée, le regard inquiet, l'air très préoccupé, et, durantune bonne heure, nous a dévidé TOUTES SORTES D'HISTOIRES AVEC LESQUELLES ON L'AVAIT AFFOLÉ.

En bref, et «c'est ce qui dominait dans sa conversation, IL A UNE PEUR BLEUE D'ÊTRE EXÉCUTÉ UNE BELLE NUIT PAR LES COMMUNISTES, ayant été tout spécialement renseigné sur leurs projets. C'est une véritable loque humaine, ne dormant plus, ne mangeant pas et ayant perdu le contrôle de ses nerfs. Je n'ai pu que lui conseiller de s'enfuir, ce qu'il avait bien l'intention de faire ; il devait partir pour la Suisse et de là en Italie, dimanche ou lundi. Mais quand il s'est présenté à la banque lundi pour retirer un nombre respectable de devises, on l'a prié d'attendre que le marché des changes soit rétabli. Au lieu de patienter jusque là, il est parti hier à D..., chez sa tante, d'où il reviendra aussitôt qu'on pourra luichanger ses malheureux francs. « C'est un bel exemple de courage civique. »

C'est aussi un exemple de la portée de tous ces faux bruits, répandus par les fascistes, faux bruits contre lesquels nos camarades, aussi bien dans les villes que dans les campagnes, doivent opposer des démentis sérieux, en expliquant encore mieux la politique de notre Parti.