14 oct 2009

Aperçu général de la question posée à Poitiers

Submitted by Anonyme (non vérifié)

1.L’anarchisme et la question de la violence

L’action coup de poing menée à Poitiers a été un électrochoc. Un symbole de cela est l’attitude de Jean Pierre Raffarin, né à Poitiers et sénateur de la Vienne, qui en vrai représentant de la bourgeoisie traditionnelle est offusqué de l’insulte qu’on fait à son régime: « L’extrémisme et la violence ont frappé brutalement au coeur de la capitale régionale (…). La stratégie du renseignement reste la meilleure façon de lutter contre ces bouffées insurrectionnelles. Je rencontrerai dès demain le ministre de l’Intérieur pour tirer, avec lui, les conclusions de ces tristes et innaceptables [sic] événements. »

Mais l’action a suscité un grand nombre de réactions au sein du mouvement anarchiste, et cela pour une raison très simple: le mouvement anarchiste n’a pas de conception précise de la violence révolutionnaire, et surtout n’est pas prêt à l’assumer.

L’anarchisme est une conception de la révolte individuelle, qui ne se conçoit pas comme une stratégie avec des méthodes précises. Les rares phases d’utilisation de la violence révolutionnaire sont marquées par une application purement individuelle (ou de quelques individus), une absence de définitions claires ainsi que de continuité.

En France, ces phases ont consisté en la période des « propagandistes par le fait » de la fin du 19ème siècle, et le milieu des années 1970 où certains groupes ont organisé des attentats et sabotages.

Cette dernière expérience a persisté jusqu’au début des années 1980 en empruntant énormément à l’idéologie d’ultra-gauche, (notamment avec les Hooligans internationalistes et Os Cangaceiros), un phénomène ayant également relativement existé dans certains autres pays (principalement Action Révolutionnaire en Italie et le MIL dans l’Etat espagnol).

La ligne est celle de la lutte contre le travail salarié, la marchandise et l’Etat. Il ne s’agit donc pas au sens strict d’une tradition anarchiste, celle-ci n’ayant jamais considéré comme centrale la question de la violence, et ayant justement élaboré, comme stratégie adaptée à ses conceptions, l’anarcho-syndicalisme.

2.Une particularité française: « les totos »

Dans l’extrême-gauche française, il existe un mot argotique pour désigner les partisans de ce courant politique s’opposant « au travail salarié, à la marchandise et l’Etat »: les « totos. » Le mot est en fait initialement utilisé pour les « autonomes », mais le mouvement autonome n’a pas duré longtemps en France.

De la même manière qu’il y a eu pendant un temps au milieu des années 1970 les « ex-maos » (qui se définissaient tel quel), il y a eu comme un serpent de mer des ex totos, des posts totos, etc. bien qu’eux ne se définissaient et ne se définissent pas ainsi.

Ce courant s’est constamment renforcé ces dix dernières années (le « Comité Invisible » étant l’une de ses apparitions les plus connues), largement aidé en cela par les impulsions depuis la Grèce, l’Italie, le Chili, ou encore l’Etat espagnol.

Les valeurs traversant les « totos » sont, l’accent étant mis sur tel ou tel point, selon:

a)refus des partis et des organisations, refus des idéologies (influence ultra-gauche);

b)rejet complet de la société qui n’est que mort et spectacle (influence situationniste);

c)affirmation de l’individualité et de la libération de ses désirs (influence de l’école de Francfort, du « freudo-marxisme »);

d)affirmation de la propagande par le fait (influence de l’anarchisme qualifié désormais d’anarchisme insurrectionaliste dans cette variante).

3.Critique des « totos »

Concentrons les critiques sur la réalité quotidienne vécue par les « totos ». Ces derniers sont bien connus pour un défaut fondamental: leur individualisme. Les « totos » ne cherchent pas à se définir et ne se considèrent pas comme liés ni dépendants d’un mouvement. Il y a donc beaucoup d’allers et venues, peu ou pas de continuité, beaucoup de répétitions de mêmes erreurs et de mêmes discours, etc.

A cela s’ajoute la question du nihilisme, extrêmement présent, notamment sous la forme de drogues. Refusant d’admettre les principes de la dialectique, les « totos » se focalisent seulement sur les aspects négatifs du monde. Leur style de travail s’en ressent très profondément, jusqu’au malsain voire le glauque.

Pour autant, si les aspects négatifs sont censés êtres vus, les « totos » nient globalement la crise écologique et refusent (par égoïsme) la défense des animaux, la libération animale. Lorsque ces questions sont assumées (ce qui est rare et surtout valable au Chili), alors la ligne bascule dans le courant « anti-civilisationnel », prônant simplement de manière nihiliste la destruction de la civilisation.

Cette fascination pour le côté négatif joue énormément en France, qui est le pays de Sorel, dont la théorie de la violence comme en quelque sorte « l’hygiène du monde » (pour reprendre le mot des futuristes italiens qui adhéreront au fascisme) parasite clairement la fascination morbide pour la destruction de la part des « totos. »

Cette fascination fait finalement que les « totos » portent une culture décadente, très souvent fascinée par le « crime » et les « criminels » (notamment Mesrine et son « instinct de mort »), amenant socialement bien souvent une sorte de rencontre hasardeuse entre des grands bourgeois décadents et des couches sociales marginalisées (la fameuse culture « squatt » à la française, qui est de type ghetto voire défonce, et se situe à l’opposé de la culture historique des centres sociaux en Italie et des squatts sociaux et culturels en Allemagne).

4.Pour un mouvement autonome!

Il y a eu jusqu’à présent dans la France d’après 1968 deux tentatives de fonder un mouvement autonome par rapport aux institutions:

-la tentative des « maos spontex. » Dès 1969 Vive la Révolution, qui publie « Ce que nous voulons: Tout! », parle de l’autonomie ouvrière, et la Gauche Prolétarienne aura la même stratégie.

-la tentative des autonomes. Ceux-ci ont existé réellement de 1977 à 1979, mais leur mouvement s’est vite autodétruit justement parce qu’il avait déjà les mêmes caractéristiques que les « totos » de France aujourd’hui.

A l’opposé le mouvement autonome a en tant que tel existé en Italie dans les années 1970 et en Allemagne dans les années 1980-1990, de manière organisée, coordonnée, structurée. Il y avait dans ses rangs de multiples courants idéologiques et culturels, qui ont su se fédérer dans une sorte de grand conglomérat, de large mouvement décentralisé, capable d’être antagoniste, en conflit avec les institutions.

C’est de cela dont nous avons besoin ! Et aujourd’hui, la crise générale du capitalisme a mis à mal la social-démocratie. La question est donc de savoir: est-ce que c’est le fascisme qui en profitera le plus, pour se renforcer et se structurer, avec l’aide tacite de la social-démocratie (P « C » F, NPA, PG, PS…)? Ou bien y aura-t-il un mouvement autonome et c’est le camp révolutionnaire qui se renforcera le plus?

Car il n’y a rien entre les deux. Et ce qu’on sait déjà, c’est que la défaite à court/moyen terme est assuré si ce mouvement autonome à naître n’assume pas une identité claire – comme le refus de la triple oppression (racisme, sexisme, capitalisme), ainsi que l’ouverture à l’écologie et à la libération animale – et une compréhension juste de l’importance centrale de l’antifascisme.   

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