8 juil 2006

La Russie de Poutine est-elle un pays socialiste, comme le dit Lutte Ouvrière?

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La Russie de Poutine est-elle un pays socialiste, comme le dit Lutte Ouvrière? Est-elle un pays capitaliste?
Les différences entre le trotskysme et le maoïsme concernant la Russie et l'URSS et ses conséquences politiques. 

La question de la nature de la Russie et de l'URSS a toujours joué un grand rôle dans les polémiques au sein du mouvement révolutionnaire.

Prenons Lutte Ouvrière. Pour cette organisation, la Russie, celle de Poutine, est socialiste. Naturellement, Lutte ouvrière ne considère pas Poutine comme socialiste ou comme un lointain descendant de Lénine.

Mais Lutte Ouvrière considère qu'au fond, la Russie est encore un Etat ouvrier, même très dégénéré, donc finalement encore socialiste. Pour rejoindre cette organisation, avoir ce raisonnement est essentiel et cette position est rappelée à chaque congrès.

Quelles sont ses critères pour affirmer cela?

D'habitude, les trotskystes en utilisent deux : le maintien officiel de la planification et la propriété étatique des moyens de production. Mais comme Lutte Ouvrière n'a jamais reconnu que l'URSS comme socialiste et a toujours rejeté la Chine populaire, Cuba, le Vietnam etc., elle a dû trouver un autre critère, afin de différencier la Russie des autres pays.

Elle n'a pas pu utiliser le fait qu'au départ la planification et la propriété étatique aient été fait par des révolutionnaires authentiques, puisque c'est... Staline qui a été le dirigeant de ce processus. Elle a donc argué du principe qu'il n'y avait jamais eu en Russie de contre-révolution violente. Voilà pourquoi au fond il y une continuité dans la nature de la Russie, de Lénine à... Poutine.

Lutte Ouvrière considère donc comme toujours valable la thèse de Trotsky exprimé dans « L'état ouvrier, Thermidor et bonapartisme » (1935) :

« En fin de compte, la démocratie soviétique a explosé sous la pression des contradictions sociales. Les exploitant, la bureaucratie a arraché le pouvoir des mains des organisations de masse. C'est dans ce sens qu'on peut parler de dictature de la bureaucratie et même de dictature personnelle de Staline.

Mais cette usurpation n'a été possible et n'a pu se maintenir que parce que le contenu social de la dictature de la bureaucratie est déterminé par les rapports de production que la révolution prolétarienne a établis. Dans ce sens on a plein droit de dire que la dictature du prolétariat a trouvée son expression, défigurée mais incontestable, dans la dictature de la bureaucratie. »

Dans le raisonnement trotskyste, Staline est une étoile parallèle à Hitler, mais l'URSS serait socialiste dans son fond. Il s'agit donc de virer la bureaucratie, qui a pris la place des authentiques révolutionnaires, et de rétablir la démocratie socialiste.

Voilà pourquoi les trotskystes défendent l'URSS: « Staline renversé par les travailleurs : c'est un grand pas en avant vers le socialisme, Staline éliminé par les impérialistes : c'est la contre-révolution qui triomphe. Tel est le sens précis de notre défense de l'U.R.S.S. à l'échelle mondiale » (Trotsky, Défense du marxisme, une fois de plus : l'Union soviétique et sa défense, 1937),

« Défendre l'U.R.S.S. c'est non seulement lutter sans réserve contre l'impérialisme mais préparer le renversement de la bureaucratie bonapartiste. » (Trotsky, Défense du marxisme, un État non ouvrier et non bourgeois?, 1937)

Le problème de Lutte Ouvrière est que Trotsky considérait cette situation comme exceptionnelle et ne pouvant pas durer. La Russie devait basculer soit dans le capitalisme, soit dans le socialisme.

Il l'a formulé explicitement : « Le régime totalitaire, de type stalinien ou fasciste, ne peut être, de par sa nature, qu'un régime temporaire, transitoire (...) La guerre accélère les divers processus politiques. Elle peut accélérer le processus de la renaissance révolutionnaire de l'U.R.S.S. Mais elle peut aussi accélérer le processus de sa dégénérescence définitive. » (Trotsky, Défense du marxisme, l'URSS dans la guerre, 1937)

« Ainsi, le régime de URSS renferme en soi des contradictions menaçantes. Mais il continue à rester un ÉTAT OUVRIER DÉGÉNÉRÉ. Tel est le diagnostic social. Le pronostic politique a un caractère alternatif : ou la bureaucratie, devenant de plus en plus l'organe de la bourgeoisie mondiale dans l'État ouvrier, renversera les nouvelles formes de propriété et rejettera le pays dans le capitalisme; ou la classe ouvrière écrasera la bureaucratie et ouvrira une issue vers le socialisme. » (Programme de transition, 1938)

Trotsky a même explicitement affirmé que si la Russie se maintenait tel quel, alors un nouveau totalitarisme serait apparu :

« La question de l'U.R.S.S. ne peut être traitée comme un cas unique, isolé du processus historique global de notre époque. Ou bien l'État stalinien est une formation transitoire, la déformation de l'État ouvrier d'un pays arriéré et isolé, ou bien le "collectivisme bureaucratique" est une formation sociale nouvelle qui est en train de remplacer le capitalisme partout dans le monde (stalinisme, fascisme, New Deal, etc.).

Les essais terminologiques (État ouvrier, État non-ouvrier ; classe, pas classe ; etc.) ne trouvent un sens que dans cette perspective historique.

Quiconque choisit le second terme de l'alternative admet, ouvertement ou tacitement que tout le potentiel révolutionnaire du prolétariat mondial est épuisé, que le mouvement socialiste a fait faillite et que le vieux capitalisme est en train de se transformer en "collectivisme bureaucratique" avec une nouvelle classe exploiteuse. » (Trotsky, Défense du marxisme, lettres, 1939-40)

Ainsi, après la seconde guerre mondiale, il y a ainsi eu trois perspectives pour les trotskystes :

-considérer l'URSS comme un nouveau totalitarisme : c'est la théorie du « capitalisme d'État » élaboré par Tony Cliff (SWP anglais, Socialisme International / Socialisme par en bas en France)

-continuer à considérer l'URSS comme socialiste (ce que fait Lutte Ouvrière)

-considérer que la thèse de Trotsky est vouée à durer longtemps et qu'il faut ainsi intégrer les staliniens clandestinement (c'est la thèse de Pablo) parce que pour les gens les communistes et la révolution ce sont les « staliniens. » La LCR est issue du « pablisme » (soutien à Che Guevara, Ho Chi Minh, etc.) mais a décidé, à la suite de leur leader Frank d'être une organisation indépendante des « staliniens. »

A la chute du mur de Berlin en 1989 il a bien fallu choisir ; la Russie était-elle alors encore socialiste?

La LCR a choisi la fuite en avant : remise en cause du dogme trotskyste et pas de questionnement ouvert à ce sujet.

Lutte Ouvrière a décidé de conserver sa position et considère la Russie comme encore et toujours socialiste, en raison des acquis industriels, sanitaires sociaux et éducatifs.

La revue « Lutte de classe » de Lutte Ouvrière affirme ainsi en avril 2006 au sujet de la Russie : « Que la soif d'enrichissement ait été le moteur de la ruée d'une nuée de bureaucrates-affairistes-gangsters sur la propriété étatisée soviétique, c'est une évidence. Cette soif est aussi ancienne que la bureaucratie elle-même.

Dans le passé, elle n'avait été contenue que par la crainte du prolétariat dont la bureaucratie usurpait le pouvoir et parasitait les conquêtes; puis -ce qui était encore une expression lointaine de cette crainte- par la dictature des sommets politiques de la bureaucratie, y compris sur sa base sociale de bureaucrates petits et grands. »

La Russie serait donc seulement en train de devenir capitaliste, et tant qu'il n'y a ne serait-ce que 1% des acquis de conservé, alors le fond est encore socialiste.

Les « oligarques » , les nouveaux milliardaires russes, sont des bandits, volant ce qui a été construit par les masses travailleuses de Russie et qui avait été dirigé par les bureaucrates « staliniens » : « Berezovski, lui, n'est en rien le produit d'un tel processus de maturation sociale impliquant des centaines de grands bourgeois, des milliers de capitalistes d'envergure moyenne et des centaines de milliers d'autres de toute petite taille, qui non seulement préexistaient à l'émergence outre-Atlantique des Rockefeller, Morgan et autres Du Pont de Nemours, mais dont toute l'activité avait été nécessaire à leur surgissement.

En URSS, les grandes entreprises, les trusts contrôlant tel ou tel secteur de l'économie, ne résultaient pas de l'évolution organique de l'économie capitaliste. Ils résultaient au contraire d'une politique volontariste de l'État soviétique, sur les bases sociales établies par l'expropriation radicale de la classe capitaliste par la révolution prolétarienne.

Après la disparition de l'URSS, Berezovski et ses pareils se contentèrent de rafler des entreprises, des secteurs de l'économie d'État. Cela ne fut possible que parce qu'ils avaient des complices au plus haut niveau, mais surtout parce qu'ils n'étaient que la partie émergée d'énormes icebergs bureaucratiques qu'ils représentaient. »

Lutte Ouvrière explique donc que les bureaucrates sont devenus des capitalistes s'appropriant à qui mieux mieux les richesses de la Russie.

Mais est-ce exact? Selon nous, non.

Selon nous, Lutte Ouvrière ne connaît rien de l'évolution de l'URSS des années 1960, années où un journal aussi officiel que la Pravda pouvait affirmer : « Le temps est venu de mettre au rebut les formes économiques de la gestion de l'économie sur la base de normes directives » (Pour une gestion flexible des entreprises, La Pravda du 17 août 1964, article de Trapeznikov)

Le principal théoricien économique de l'URSS de cette époque, Liberman, expliquait ainsi que : « Ces imperfections dans la gestion économique devraient être éliminées non pas en rendant la planification plus complexe, plus détaillée et plus centralisée, mais en développant l'initiative économique et l'indépendance des entreprises. Les entreprises doivent avoir une possibilité d'initiative plus large; elles ne doivent plus être reliées à la tutelle complète et les méthodes bureaucratiques de la planification par le centre. » (« Voprosy Ekonomiki » , Problèmes d'économie, No 6, 1955)

« L'entreprise va rentrer en concurrence pour les ordres; la concurrence se fondera sur les comparaisons entre les garanties concernant la qualité, les délais et les prix. » (Liberman, Le Plan, les liens directs et la profitabilité, La Pravda, 21 Novembre 1965)

Les documents officiels du PC d'URSS de septembre 1965 soulignent très clairement cette ligne.

Ainsi, les entreprises soviétiques pouvaient s'absorber les unes les autres, elles se confrontaient sur le marché; elles étaient indépendantes vis-à-vis du plan : en fait elles décidaient elles-mêmes des ordres des ministères concernant l'approvisionnement, la production et la vente. En 1961 il n'existait que deux entreprises appelées « sociétés conjointes » , en 1971 il y en avait 1400, détenant et dirigeant hiérarchiquement 14.000 entreprises soit plus de 7 millions d'ouvriers et d'employés.

Officiellement ces entreprises appartenaient à l'État; en pratique elles n'ont pas d'obligations, elles étaient indépendantes et dirigées par leur directeur à qui revenait l'ensemble de la responsabilité.

C'est cette tendance qui, allant jusqu'à son point le plus extrême, a abouti à la modification formelle de la forme du régime.

De cela, Lutte Ouvrière ne parle pas; pour elle la planification est similaire de 1917 à 1991.

C'est une erreur grave, car cela signifie que Lutte Ouvrière n'a pas constaté les modifications en URSS, elle n'a pas constaté le changement de ligne et les modifications économiques qui s'en sont suivis.

C'est ce que nous marxistes-léninistes-maoïstes appelons la lutte entre le nouveau et l'ancien, entre les partisans du monde nouveau et ceux qui s'accrochent à l'ancien.

C'est la bataille entre ceux qui veulent restaurer le capitalisme et les masses dirigées par les communistes; la nature même de la lutte dans le socialisme c'est le conflit entre restauration et contre-restauration.

Lutte Ouvrière n'a jamais attaqué Kroutchtchev pour affirmer en 1961 au 22ème congrès du PC d'URSS que « Nous devons élever l'importance du profit et de la profitabilité » ni Brejnev pour avoir continué cette ligne (« Considérons le profit comme un instrument économique du socialisme. Renforcer son rôle dans l'économie socialiste est une condition indispensable pour la comptabilité des coûts. » La Pravda du 14 janvier 1966).

A l'opposé, le PC de Chine a critiqué cette orientation capitaliste et avait affirmé que l'URSS s'effondrerait, dès 1970 : « A présent la clique des renégats révisionnistes soviétiques connaît des jours fort difficiles. Emboîtant le pas à Kroutchtchev, Brejnev et consorts approchent du seuil de leur ruine. Celui qui en doute n'aura qu'à attendre pour voir. » (Une révélation d'une sincérité exceptionnelle, PCC, 1970)

Les marxistes-léninistes-maoïstes ont toujours souligné que le régime soviétique allait s'effondrer.

Lutte Ouvrière elle n'a jamais vu de différences entre Staline et Brejnev, Brejnev et Gorbatchev; comme elle ne l'a jamais vu elle est obligée de dire que rien n'a changé, jusqu'à aujourd'hui.

Lutte Ouvrière affirme ainsi que les thèses de Trotsky se vérifient parce que : « une quinzaine d'années après ce nouveau tournant de la bureaucratie, force est de constater que bien des aspects de la vie économique, politique, sociale du pays resteraient incompréhensibles si l'on méconnaissait son passé et ce que l'évolution de cette société a de particulier, d'unique en son genre.

Et l'on ne comprendrait rien à ce qu'elle est devenue, si on ne se souvenait pas que cet État ouvrier dégénéré, qui renoue aujourd'hui avec le capitalisme, conserve, malgré tous les changements récents, des traits, des caractéristiques hérités de son passé, qui n'ont pas tous, loin de là, été éliminés et qui s'expriment notamment dans les difficultés rencontrées par une Russie désormais ouverte au capitalisme pour fonctionner sur la base de ce même capitalisme. »

Le 33ème congrès de Lutte Ouvrière (6-7 décembre 2003) dit pareillement que « certains traits de la société ex-soviétique ne s'expliquent pas sans un raisonnement basé sur les analyses trotskystes et, surtout, parce que l'évolution vers la domination sociale et économique totale de la bourgeoisie est loin d'être encore accomplie. »

Cette thèse n'est très clairement pas marxiste, car si on suit le raisonnement de Lutte Ouvrière, alors Lénine ne serait pas marxiste.

Lénine affirmait en effet au sujet de la Russie que : « Le système économique de la Russie, à l'époque de la dictature du prolétariat, c'est la lutte que mène à ses premiers pas le travail uni selon le principe communiste, dans le cadre d'un immense État, contre la petite production marchande et contre le capitalisme qui se maintient et qui renaît sur la base de cette production. » (L'économie et la politique à l'époque de la dictature du prolétariat, 1919).

Comme on le voit on est très loin de l'explication trotskyste qui se fonde soit sur le rapport de propriété soit sur les rapports de production; Lénine a toujours souligné que la jeune Russie soviétique avait aboli la propriété privée des moyens de production a été abolie, mais que les conditions générales pour le socialisme n'avaient été réalisées que « partiellement. »

Il y a donc des étapes et le seul critère pour que l'État soit socialiste est que le Parti Communiste dirige la société.

Comment les trotskystes alors peuvent-ils expliquer que Lénine affirme au sujet de la Russie socialiste que « Les forces essentielles - et les formes essentielles de l'économie sociale - en Russie sont les mêmes que dans n'importe quel pays capitaliste » (L'économie et la politique à l'époque de la dictature du prolétariat, 1919)?

Ils ne le peuvent pas car ils s'en tiennent au critère de la propriété privée et la planification, pas à la question de la direction.

Partant de là on voit le dilemme auquel est confronté Lutte Ouvrière.

En se posant comme trotskyste orthodoxe, Lutte Ouvrière maintient la thèse de Trotsky concernant l'URSS: il s'agit d'un État ouvrier dégénéré, appelé à être renversé dans un sens ou dans l'autre.

Soit la bourgeoisie reprend le pouvoir par un soulèvement armé, soit le prolétariat russe détruit la bureaucratie.

Mais comme il n'y a pas eu de révolution en Russie, ni de contre-révolution, il n'est pas possible de dire que la nature de la Russie a changé, à moins de remettre en cause l'alignement sur la thèse de Trotsky.

Voilà la contradiction fondamentale de la position de Lutte Ouvrière et voilà ce qui paralyse son interprétation du socialisme, car en pratique Lutte Ouvrière n'explique toujours pas comment il y a eu restauration du capitalisme en Russie.

C'est la même contradiction que vit aujourd'hui ceux qui considèrent encore la révolution népalaise comme authentiquement socialiste. Prachanda a changé ses thèses et ne veut plus mener la révolution jusqu'au bout, mais cela ils n'y donnent qu'une importance secondaire car tout comme les trotskystes ils ne regardent que les rapports sociaux et les rapports de propriété.

Ils voient que les campagnes sont encore rouges et donc tout va bien - sauf que demain elles ne seront plus rouges et qu'il sera trop tard.

Pour les trotskystes, tant qu'il n'y a pas de révolution violente, il y a continuité; à cause de cela ils sont incapables de comprendre le révisionnisme, les « balles enrobées de sucre. »

Avant de revenir sur cette question du révisionnisme en URSS et de la question de l'État ouvrier dégénéré, et pour préciser notre réflexion, attachons-nous à la seconde interprétation trotskyste, qui elle prétend comprendre comment l'URSS s'est effondré.

Il s'agit de la thèse de l'URSS comme capitalisme d'État, dont le théoricien est Tony Cliff.

A l'opposé de la thèse trotskyste classique, qui se fonde sur l'aspect économique (les nationalisations et la planification), Cliff fait lui intervenir l'aspect politique. Il reprend à son compte la formule de Napoléon Bonaparte selon lequel : « Une armée au dehors c'est l'État qui voyage » et il affirme ainsi que les pays de l'est sont devenus après la guerre l'appendice de l'URSS.

Cliff affirme cela d'autant plus qu'il n'y a eu selon lui aucune révolution dans ces pays. De même, au sujet de l'URSS, il affirme que le programme trotskyste visait à « rétablir la démocratie dans les syndicats et dans les soviets » , mais que là, il n'y avait plus ni syndicats ni soviets.

Cliff accuse les partisans de la thèse de l'URSS comme « État ouvrier dégénéré » de séparer abstraitement les rapports de propriété des rapports de production.

Selon lui, ceux-ci concentrent leur attention sur la propriété (puisqu'elle n'est pas propriété de la bourgeoisie, la Russie n'est pas capitaliste) et non sur les rapports de production, qui montreraient bien au contraire qu'il s'agit d'un capitalisme d'État exploitant les masses laborieuses.

Cliff remet ainsi en cause la thèse trotskyste fondamentale qui veut que la planification et la croissance de l'URSS soient caractéristiques du socialisme : pour lui elles sont au contraire synonyme de capitalisme.

Il dit ainsi que « C'est pendant le Premier Plan Quinquennal que le mode de production de l'URSS devint capitaliste. C'est alors, pour la première fois, que la bureaucratie chercha à créer un prolétariat et à accumuler rapidement du capital. En d'autres termes, elle chercha à remplir la mission historique de la bourgeoisie aussi vite que possible. » (Le trotskysme après Trotsky)

Cette thèse a une telle conséquence qu'il est théoriquement impossible de qualifier Cliff de trotskyste, puisque historiquement les trotskystes ont toujours affirmé défendre l'URSS (et défendre vraiment l'URSS, à l'opposé de Staline et des « staliniens » , d'où le conflit avec eux.)

Trotsky lui-même se revendiquait de la croissance économique en URSS : « Le socialisme a démontré son droit à la victoire, non dans les pages du Capital, mais dans une arène économique qui couvre le sixième de la surface du globe ; non dans le langage de la dialectique, mais dans celui du fer, du ciment et de l'électricité » (La révolution trahie)

Mais les trotskystes considèrent Cliff comme un des leurs et ses partisans en France sont désormais à la LCR, après avoir été un groupe indépendant (socialisme international) qui a par la suite tenté un entrisme au Parti Socialiste puis une vie semi-autonome (socialisme par en bas).

Et Cliff lui-même revendique la filiation trotskyste : « C'est pendant le Premier Plan Quinquennal que le mode de production de l'URSS devint capitaliste. C'est alors, pour la première fois, que la bureaucratie chercha à créer un prolétariat et à accumuler rapidement du capital. En d'autres termes, elle chercha à remplir la mission historique de la bourgeoisie aussi vite que possible. » (Le trotskysme après Trotsky)

Considérons donc Cliff comme faisant partie de la tradition trotskyste, même si son influence va au-delà des trotskystes et va jusqu'aux communistes libertaires.

Selon Cliff donc, la « bureaucratie stalinienne » a aménagé sa domination et est devenue une classe sociale à part entière. Elle n'avait pas besoin de faire la révolution pour rétablir la propriété privée.

Mettons de côté les raisons (l'absence de révolution mondiale qui elle seule peut assurer la victoire) car elle relève d'un débat traditionnel à la source même de l'opposition entre communiste et trotskystes.

Constatons plutôt que nous retrouvons ici donc le fondement de l'analyse trotskyste, commun aux partisans de Cliff comme aux trotskystes orthodoxes : il peut exister un régime où la propriété privée n'existe pas et qui ne soit pas le socialisme (à part entière ou du tout).

Cette thèse, nous marxistes-léninistes-maoïstes nous la réfutons.

Selon cette thèse en effet, un État est ouvrier quand il y a l'étatisation (ou socialisation) des moyens de production, le monopole du commerce extérieur, la planification.

Cela signifie donc que ni la Commune ni la Russie de Lénine n'étaient des États ouvriers, puisque l'ensemble de l'économie n'étaient pas encore étatisé!

De la même manière, cette thèse a une conception « technique » de la planification, puisque celle-ci peut être gérée autant par le Parti Communiste, la bureaucratie (version trotskyste orthodoxe) ou une classe exploiteuse de type bourgeois (version de Cliff).

Or cela est faux : pour planifier il faut que le marché soit aboli, or qui dit capitalisme dit marché, et voilà pourquoi les trotskystes « oublient » systématiquement que la planification en Russie (à partir de 1953) et en Chine (à partir de 1978) deviennent de plus en plus uniquement indicatives et que les ministères responsables de l'économie sont eux-mêmes en concurrence !

Cet « oubli » est systématique : la planification à l'époque de Staline est mise sur le même plan que la planification à l'époque de Kroutchtchev ou Brejnev.

Pourquoi cela? Parce que les trotskystes ne comprennent pas la nature de la domination d'une classe sur une autre.

Il n'est ainsi pas étonnant de voir que Lénine s'était battu contre Trotsky précisément concernant ce point : « J'ai dû énumérer moi-même mes « désaccords » avec Trotsky, car, dans ce vaste sujet : rôle, tâche des syndicats, j'estime que Trotsky est tombé dans une série d'erreurs liées à l'essence même de la question de la dictature du prolétariat » (Lénine, Une fois de plus sur les syndicats, le moment présent et les fautes de Trotsky et Boukharine).

Selon Lénine l'État socialiste reposait sur l'alliance ouvrier et paysan (le symbole du marteau et la faucille viennent de là) alors que pour Trotsky, l'État devait être uniquement ouvrier. L'option de Trotsky aurait amené le refus de l'alliance avec les paysans et l'effondrement de l'État ouvrier « pur » en attendant la révolution en Allemagne.

On retrouve aujourd'hui cette erreur de Trotsky chez les trotskystes français. Le fait est qu'ils ne peuvent pas expliquer la nature de l'URSS et que de fait ils ne le font pas : ils n'ont jamais cessé de se quereller entre organisations ainsi que dans leurs organisations elles-mêmes au sujet de l'URSS.

Les trotskystes sont obligés d'admettre que leur théorie - qu'il y aurait une révolution ou une contre-révolution en URSS - a été fausse et que la fin de l'URSS ne s'est pas déroulée comme ils l'avaient prévu.

Ils devraient donc être obligés de reconnaître que le tournant, le moment où on est passé du socialisme au capitalisme, n'est pas là où ils pensent qu'il est.

Mais les trotskystes ne peuvent pas remettre cela en cause. Ils ne vont quand même pas considérer que leur ennemi Staline était un communiste authentique !

Pour cette raison, deux tendances se dégagent.

La première consiste à adopter les points de vue ouvertement réactionnaires concernant le totalitarisme; c'était le point de vue des relations de Trotsky comme le nord-américain Shachtman (1904-1972) devenu social-démocrate mais influençant les néoconservateurs, ou bien sûr Burnham, passé du trotskysme à la CIA et auteur de « l'ère des organisateurs » qui a été à la base de l'ouvrage d'Orwell « 1984 » où les communistes tyrannisent le monde.

Cette tendance est très présente dans le trotskysme; il y a un mouvement très net d'une partie du trotskysme ver l'anarchisme; Olivier Besancenot, porte-parole de la LCR, se revendique par exemple communiste libertaire.

Le courant des partisans de Cliff n'utilise aucun symbole communiste et revendique un « socialisme par en bas » ; son slogan « ni Washington ni Moscou mais le socialisme international » est exactement similaire dans l'idée aux conceptions socialistes anti-communistes de Castoriadis, Shachtman, Rubel, Munis, Bordiga, Sartre, Marcuse, etc.

La seconde tendance essaie d'en revenir aux fondamentaux. Elle est très minoritaire par rapport à la tendance générale du trotskysme à se diluer en tant qu'idéologie spécifique. Elle se caractérise également par une crispation complète sur l'URSS.

Lutte Ouvrière s'accroche ainsi à un statut spécifique qu'aurait encore la Russie aujourd'hui; la Ligue Trotskyste de France considère que l'effondrement de l'URSS a eu un rôle catastrophique dans l'histoire de l'humanité et est obligée d'attribuer une importance capitale à un événement historique sans importance comme l'arrivée d'Eltsine au pouvoir.

La Ligue Trotskyste de France disait à ce sujet que : « Mais si Eltsine et Cie ont maintenant le champ libre pour une réintroduction à coups de trique du capitalisme, l'issue finale n'est pas encore acquise [...]. L'opposition venue des usines aux ravages de l'offensive capitaliste peut enrayer le processus, et empêcher la consolidation rapide de la contre-révolution» (le Bolchévik n° 113, septembre 1991).

Naturellement c'était de la pure politique-fiction.

Ainsi, les trotskystes de cette variété, totalement surpris par la fin de l'URSS, finissent par avoir la même conception que les révisionnistes du « PCF » : le bilan de l'URSS était globalement positif, d'une manière ou d'une autre.

Cela montre que leur économie politique ne se distingue pas de celle des révisionnistes, et que la seule fonction des trotskystes est de dire que Staline est un criminel, Mao un assassin, etc.

Nous, marxistes-léninistes-maoïstes, savons que les maîtres de la Russie d'aujourd'hui sont les mêmes qui hier exploitaient la classe ouvrière russe par l'intermédiaire de l'État, qu'ils forment une oligarchie et que les privatisations ne datent pas de 1991 mais bien des années 1960.

Nous, marxistes-léninistes-maoïstes, considérons que la révolution mondiale se gagne pas à pas, elle ne se fera pas en une journée ou en un mois, mais pays par pays; voilà pourquoi il faut comprendre l'histoire de l'URSS par rapport à l'histoire du mouvement communiste, politiquement, et non pas par rapport à des critères économiques abstraits, incapable de voir les étapes nécessaires.

Voilà pourquoi les trotskystes considèrent la révolution comme impossible dans les pays d'Afrique, d'Asie et d'Amérique latine, alors que nous maoïstes pensons que l'ont doit mener là-bas la révolution de nouvelle démocratie, avec la classe ouvrière s'alliant à la paysannerie ainsi que les autres classes opprimées.

Voilà pourquoi les trotskystes considèrent la révolution seulement selon les pays capitalistes les plus riches, qui eux seuls permettraient de par leur base économique d'instaurer le socialisme, qui ne devient plus qu'une revendication : c'est l'essence du « programme de transition » de Trotsky.

Dans l'ouvrage du même nom, Trotsky dit d'ailleurs : « La prémisse économique de la révolution prolétarienne est arrivée depuis longtemps au point le plus élevé qui puisse être atteint sous le capitalisme. Les forces productives de l'humanité ont cessé de croître. Les nouvelles inventions et les nouveaux progrès techniques ne conduisent plus à un accroissement de la richesse matérielle. » (Programme de transition)

Ce qui amène aujourd'hui encore le Parti des Travailleurs à défendre cette thèse et à affirmer que les forces productives n'ont pas grandi depuis 1940 !

C'est dire à quel point les trotskystes se figent sur leur reste d'économie politique et que cette économie politique n'existe pas sans les « staliniens » tellement haïs.

Il suffit d'ailleurs de lire le programme de transition pour comprendre que toute la stratégie trotskyste se fonde sur le principe d'être à gauche de la social-démocratie et de refuser les « staliniens » : « Il faut aider les masses, dans le processus de leurs luttes quotidiennes, à trouver le pont entre leurs revendications actuelles et le programme de la révolution socialiste.

Ce pont doit consister en un système de REVENDICATIONS TRANSITOIRES, partant des conditions actuelles et de la conscience actuelle de larges couches de la classe ouvrière et conduisant invariablement à une seule et même conclusion : la conquête du pouvoir par le prolétariat. » (Programme de transition)

« La social-démocratie classique, qui développa son action à l'époque où le capitalisme était progressiste, divisait son programme en deux parties indépendantes l'une de l'autre : le programme minimum, qui se limitait à des réformes dans le cadre de la société bourgeoise, et le programme maximum, qui promettait pour un avenir indéterminé le remplacement du capitalisme par le socialisme.

Entre le programme minimum et le programme maximum, il n'y avait aucun pont. La social-démocratie n'a pas besoin de ce pont, car de socialisme, elle ne parle que les jours de fête. (...) Le vieux "programme minimum" est constamment dépassé par le PROGRAMME DE TRANSITION dont la tâche consiste en une mobilisation systématique des masses pour la révolution prolétarienne. » (Programme de transition)

On a ainsi cette contradiction fondamentale de trotskystes prônant l'attentisme, imbu de pessimisme quant aux forces révolutionnaires, mais se fondant sur un programme de transition urgentiste : « Les bavardages de toutes sortes selon lesquels les conditions historiques ne seraient pas encore "mûres" pour le socialisme ne sont que le produit de l'ignorance ou d'une tromperie consciente. Les prémisses objectives de la révolution prolétarienne ne sont pas seulement mûres ; elles ont même commencé à pourrir. » (Programme de transition)

Quand on voit ce positionnement stratégique et quand on connaît l'analyse faite de l'URSS, on voit que la nature du trotskysme consiste simplement à se positionner plus à gauche (que Chavez, que le Vietnam, que le PS, que la CGT etc.) et qu'il n'y a aucun objectif stratégique de prise du pouvoir par le Parti Communiste car au fond, le trotskysme n'est pas certain de ce qu'est le Parti et le socialisme.

Voilà pourquoi Lutte Ouvrière explique qu'elle n'est pas le Parti, qu'aucune organisation trotskyste ne prétend être le parti; voilà l'objectif - l'insurrection - a totalement disparu comme horizon au profit d'un soutien politique à un mouvement (social comme en décembre 1995, idéologique comme ATTAC et l'alter-mondialisme, Besancenot candidat « anticapitaliste » du mouvement social etc.)

Le trotskysme est incapable d'indépendance. Voilà pourquoi les militants trotskystes n'ont pas de point de vue idéologique autre que par rapport à d'autres; voilà pourquoi le trotskysme n'est pas l'idéologie de la classe ouvrière.

Lénine nous dit concernant le rôle du Parti Communiste :

«Le marxisme enseigne (et ici Lénine cite les confirmations des Congrès mondiaux) que seul le parti politique de la classe ouvrière, c'est à dire le parti communiste est en mesure de regrouper, d'éduquer et d'organiser l'avant-garde du prolétariat et de toutes les masses travailleuses, la seule capable de résister aux oscillations petites-bourgeoises de ces masses, aux traditions et aux retours inévitables de l'étroitesse de catégorie et des préjugés professionnels que l'on rencontre dans le prolétariat.»

Les trotskystes ont abandonné cette tâche de la construction du Parti Communiste, car leur interprétation de l'URSS les arrimait à la remorque du mouvement de masse et de la social-démocratie; aujourd'hui où le prolétariat a besoin d'initiatives, le trotskysme est incapable de se révéler utile.

A l'heure de son triomphe, au moment où les « staliniens » ont disparu, les trotskystes ne savent et ne peuvent rien faire, à part qualifier Buffet de « stalinienne » et d'accuser le Parti Socialiste de trahison.

Il suffit de constater la politique de la LCR autant en novembre 2005 qu'en mars 2006 en pleine répression du mouvement anti-CPE (« La jeunesse mobilisée contre le CPE a besoin de soutien et de la solidarité de l'ensemble des forces de gauche, notamment contre l'arbitraire et l'intransigeance du gouvernement.
Nous vous proposons une réunion dans les plus brefs délais pour envisager une riposte unitaire à ces nouvelles attaques gouvernementales. »)

Cela montre que les trotskystes utilisent le trotskysme comme méthode, mais pas comme idéologie; ils ne croient pas au marxisme, ils croient en une démarche, une technique, mais pas en la théorie révolutionnaire.

Voilà pourquoi les trotskystes tergiversent, ne savent pas mener de politique autonome : ils sont bloqués par la question relevant de l'économie politique : pourquoi les ouvriers ne se sont-ils pas révoltés lorsqu'on a détruit l'URSS?

Qu'est-ce que le socialisme?

Voilà pourquoi ils sont fascinés par le Venezuela de Chavez, l'altermondialisme; voilà pourquoi la LCR et la Quatrième Internationale dont elle fait partie se raccroche à de nouveaux thèmes « modernes » pour développer une « autre idée du socialisme » , pourquoi les trotskystes ont constamment des scissions droitières de gens voulant s'ouvrir à tout prix pour fonder le « parti des travailleurs » , quitte à s'allier avec des sociaux-démocrates...

Quant à Lutte Ouvrière, voilà pourquoi elle ne met jamais l'idéologie communiste en avant, pourquoi elle ne met en avant que des réformes radicales (un « plan d'urgence pour les travailleurs ») au lieu d'assumer d'être théoriquement la seule organisation voulant authentiquement la révolution.

Et voilà pourquoi les organisations trotskystes existent depuis 50 ans sans jamais s'affronter à l'État. Ils n'osent jamais affronter la question du Parti et du pouvoir.

Les trotskystes ne sont pas des communistes pour l'insurrection, mais l'aile gauche de la social-démocratie.     

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