24 avr 2011

Trois dates en mai, et trois menaces

Submitted by Anonyme (non vérifié)

En mai, ce sont donc trois défis qui se posent aux progressistes, sur le plan militant et culturel. Tout d’abord, le 1er mai, qui amène deux questions, étroitement liées. Marine Le Pen arrivera-t-elle à mobiliser pour le défilé parisien annuel du Front National, par l’intermédiaire de sa ligne « sociale »? Les cortèges du 1er mai dans tout le pays seront-ils asphyxiés par une idéologie syndicale sans perspective ? Si Marine Le Pen arrive à faire prendre la sauce « sociale », alors que les cortèges du 1er mai passent pour fades, ennuyeux, sans radicalité, c’est une première catastrophe. L’extrême-droite apparaîtra comme « concrète » et « radicale », l’extrême-gauche comme des prétentieux travaillant finalement en sous-main pour la social- démocratie.

Tant que le 1er mai il n’y aura pas de cortège révolutionnaire autonome vis-à-vis des syndicats, culturellement la manifestation sera asphyxiée par la social-démocratie. Quant au fait qu’à Paris les anarchistes manifestent avant, pour rejoindre le cortège syndical, cela montre qu’ils ne se considèrent pas autrement que comme l’appendice de la social-démocratie.

Preuve de cela : chaque année, le cortège révolutionnaire de Berlin marque les esprits au niveau international, alors que jamais rien est à tirer du 1er mai en France.

Ensuite, il y a le 8 mai. Date parisienne du défilé de l’extrême-droite non liée au FN, elle intègre cette fois la culture du cortège du 9 mai (date de « commémoration » de la mort d’un fasciste à Paris), et se veut ouvertement « militant » et « révolutionnaire. »

Traditionnellement, l’extrême-gauche anarchiste et « antifasciste radical » propose une opposition au rassemblement du 9 mai. Mais comme elle est en faillite, aucune mobilisation de masse n’est réalisée, ce qui fait qu’il faut craindre une seconde catastrophe : le fait que le défilé du 8 mai soit à la fois fourni et « radical. »

En fait, la liquidation de l’antifascisme par les anarchistes fait que cela est même une évidence. Rappelons-nous que l’année dernière, les anarchistes ont carrément vendu au NPA leur contre-manifestation traditionnelle au 9 mai, afin d’être en mesure de pouvoir assumer leur « antifascisme radical. » Car « antifasciste » est utilisé par les anarchistes non plus en son sens réel – il s’agit d’un concept communiste proposant un front – mais comme synonyme de « anti-réactionnaires. » Sur le plan des idées, on en est ici à « Sarko facho » et à la critique de l’UMP comme quoi elle fait le jeu et le travail du Front National. Le résultat en est un « antifascisme radical » qui sert de maquillage à un discours anarchiste « radical », qui lui- même masque un apolitisme de fans de football célébrant la « geste » violente, l’individualisme « tel un pirate », un syndicalisme anti-intellectuel, anti-culturel et anti-moderne, un anti-communisme typiquement petit-bourgeois, considérant que le fascisme est une « gangrène » et qu’il suffit de dénoncer ou casser la tête à quelques fascistes, etc.

C’est cela qui nous mène à la faillite. Car dans ce genre de délire spontanéiste et brutal en pleine crise générale du capitalisme, il n’est pas difficile de deviner qu’à ce petit jeu de la brutalité, ce sont les fascistes qui gagnent, comme ils l’ont fait en Italie avec les chemises noires et en Allemagne avec les SA. L’antifascisme ne saurait être « bourrin », il doit être plein de valeur. Ainsi, entendons-nous bien : il ne s’agit certainement de proposer de briser par la force un tel défilé comme celui du 8 mai, qui sera bien organisé du côté fasciste et protégé par la police. Sans compter que l’escalade de la violence qui a lieu en ce moment en France ne se fait pas dans un sens favorable aux antifascistes. Ce dont on a besoin, c’est d’une mobilisation afin de renforcer l’antifascisme, son identité, sa culture. Ce dont on a besoin, c’est d’un antifascisme positif, se posant comme alternative culturelle. Mais quelle culture mettre en avant ? Eh bien justement, cela nous amène à la troisième menace. Car le 14 mai, l’extrême-droite organise une « marche des cochons. » Il s’agit d’une manifestation anti-halal, un anaprès l’occupation d’un Quick halal. Cette initiative « frontiste » des « identitaires » comprend même un « apéro rosette-beaujolais. »

Voici d’ailleurs un extrait de l’appel :

« Citoyens engagés, associations de consommateurs, bouchers et charcutiers, militants laïcs ou de la cause animale, éleveurs ou simple Lyonnais nous vous invitons à montrer votre opposition au halal et à l’islamisation en venant nombreux. »

L’idée de mixer des « militants de la cause animale » à des bouchers et charcutiers, voilà ce qui est bien baroque, tout comme ces mises en avant de cochons censés « joyeusement » vouloir terminer en saucisses. Mais justement, c’est là que l’extrême-gauche est lamentable. Car, de nature petite-bourgeoise, elle a la même culture que l’extrême-droite. Elle aussi célèbre l’esprit français d’une contestation individuelle sans idéologie, elle aussi valorise la « simplicité » d’un « apéro rosette-beaujolais. » Une initiative comme celle-ci, le 14 mai, consiste en une troisième menace de catastrophe. Comment conjurer cette catastrophe ? Quelles sont les valeurs à assumer ? Les réponses sont simples.

1. Assumer l’écologie. Les fascistes sont au service de la nation « qui tourne » ; par définition l’écologie ils s’en moquent ou bien la réduisent à des paysages de carte postale montrant d’imaginaires terroirs. Un fasciste critique la mondialisation, mais jamais il ne boycottera l’huile de palme cause de déforestation en Asie, assassinant les animaux (comme les grands singes), nocifs pour la santé humaine. 2.Balancer par la fenêtre la culture punk-rock. A une époque où il est facile d’avoir accès à toutes sortes de musique, celles-ci étant métissés au possible, la figure du rebelle anarchiste écoutant du street punk doit être considéré pour ce qu’elle est : comme un fantasme militant syndicaliste révolutionnaire des années 1990. Du hip hop au hardcore en passant par les musiques électroniques, depuis la disco jusqu’à la musique industrielle ou le métal, depuis le jazz jusqu’au classique, l’antifascisme ne peut qu’assumer une dimension multiculturelle, à la fois alternative et de masse.

3.Refuser toute identité « nationalitaire » car le temps des nations est terminé. Si assumer la culture populaire de là où on vit est logique et pleine de sens, les fantasmes petit-bourgeois idéalisant de manière « nationale » leur propre situation relèvent du pur fétichisme, tombant inévitablement dans la logique réactionnaire qui est de « diviser pour régner. »

L’antifascisme reconnaît les cultures différentes, mais ne peut assumer comme dénominateur commun que la révolution dans notre pays commun la France, et donc choisir uniquement le drapeau rouge ou bien le drapeau noir, tout autre drapeau contribuant à empêcher le dépassement internationaliste des barrières, des frontières, des clivages.

4.Refuser le social-darwinisme. A notre époque, le social-darwinisme prend le dessus. La société bourgeoise en pleine décadence compte traquer les « faibles » et toutes les personnes dont la culture a l’air, de près ou de loin, d’être « hippie. »

Assumer cette démarche hippie – au sens du refus d’une vie au service de la compétition capitaliste et ses brutalités est le b-a-BA d’une culture réellement progressiste. Culte de la hiérarchie, mépris de l’importance du féminisme, célébration de la brutalité... pas de cela chez nous ! Et du premier point au quatrième point, le dénominateur commun est facile à voir : que vive la communauté universelle !

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