10 mai 2013

Epicure, Lucrèce, Spinoza - 4e partie : Spinoza

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Épicure, Lucrèce, Spinoza - 4ème partie : Spinoza

Spinoza est un penseur très important ; s’il est très connu, sa pensée formulée de manière mathématique (avec des démonstrations, des axiomes, etc.) est cependant particulièrement rebutante et complexe.

En apparence, tout au moins : nous allons ici expliquer la pensée de Spinoza de manière parfaitement claire. La raison de ce pari est simple : en fait, Spinoza est un grand précurseur de la science marxiste-léniniste-maoïste.

Partant de là, saisir sa pensée à partir du maoïsme est une entreprise aisée. C’est justement ce que nous allons faire, étape par étape ; nous allons exposer les traits généraux de la science MLM et voir comment Spinoza expose sa conception à lui, afin de comparer.

1. La question de l’éternité et de l’infini

Pour la science MLM, rien n’est éternel à part l’espace et le temps. Par le big bang, l’énergie s’est transformée en matière, et cette matière a constitué l’univers tel que nous le connaissons. Mais tout processus a un début et une fin, et donc même l’univers n’est pas éternel.

Seuls sont éternels l’espace et le temps, qui sont les dimensions où a lieu ce mouvement. Voyons un schéma théorique du big bang pour bien comprendre cette conception.

Maintenant, si on regarde la conception de Spinoza, on doit y retrouver quelque chose de similaire, bien entendu dans les grandes lignes car Spinoza ne disposait pas des connaissances que nous avons aujourd’hui. Toutefois, sa conception doit être, si nous avons raison, relativement proche.

Que dit Spinoza ? Rapproche-t-il l’espace et le temps ? Les considère-t-il comme les seules choses éternelles ? Oui, il le fait ; il dit ainsi :

Ce qu’est l’éternité. – Ici nous dirons seulement qu’elle est l’attribut sous lequel nous concevons l’existence infinie de Dieu.

Nous avons ici l’éternité et l’infini pour définir Dieu. C’est le premier point : ce que nous appelons espace-temps, Spinoza l’appelle Dieu.

Seulement voilà, si cela est juste, alors cela voudrait dire que ce que Spinoza appelle Dieu est l’équivalent de la matière en mouvement. Cela ferait de Spinoza un matérialiste… Est-ce le cas ? Regardons donc comment il définit la matière.

2. La matière et son statut

Pour la science MLM, la matière n’existe pas de manière abstraite : elle existe parce qu’il est dans sa nature d’être en mouvement. Reconnaître la matière n’est pas suffisant pour être communiste, il faut également comprendre son mouvement dialectique.

Si la planète Terre existe, si nous existons individuellement, c’est parce que nous sommes composés d’atomes et que ces atomes sont en mouvement, un mouvement qui part du big bang.

La matière n’existe donc pas isolément, elle n’existe qu’en mouvement, dans le cadre de l’espace-temps ; la matière est dépendante en quelque sorte du mouvement, elle ne peut pas se mettre à l’écart du mouvement et atteindre un statut éternel, immuable.

Si nous avons raison, alors Spinoza devra dire pareillement que la réalité matérielle est portée par l’espace-temps (que lui appelle Dieu).

Théoriquement, cela est impossible car la pensée religieuse considère que le monde a été créé par Dieu, et que le monde vit donc de manière indépendante.

C’est la théorie du « grand horloger », où le monde est comme une horlogerie conçue par l’horloger (qui est Dieu) ; il y a également l’image du « grand architecte », mais on doit bien sûr penser à la Genèse : « Dieu dit : que la lumière soit, et la lumière fut », etc.

Dans la religion, Dieu a donné naissance à l’espace-temps, mais il n’est pas l’espace-temps ; Dieu a créé l’existence matérielle, mais il n’est pas cette existence matérielle, qui existe donc de manière indépendante.

Si par contre Spinoza est matérialiste, et nous avons vu déjà que Dieu se définit par l’espace-temps, alors logiquement : Dieu = espace-temps = existence matérielle.

Est-ce le cas ? Oui, c’est bien le cas :

Pour mieux faire entendre ce qu’est l’Éternité et comment on ne peut la concevoir sans l’essence divine, il faut considérer ce que nous avons déjà dit, à savoir que les choses créées, c’est-à-dire toutes choses sauf Dieu, existent toujours par la seule force ou essence de Dieu, non point par une force propre.

Dieu n’est pas seulement la cause qui fait que les choses commencent d’exister ; mais aussi celle qui fait qu’elles persévèrent dans l’existence.

Comme on le voit ici, la matière n’existe que parce qu’elle est portée par une force, par un mouvement. Cela est conforme à la science MLM.

Cependant, on pourrait arguer que cela n’est vrai qu’en apparence, qu’en fait Spinoza considère son Dieu comme Aristote, à la façon d’un « moteur ». Seulement voilà : Aristote préfigure la religion et considère son moteur comme hors du monde.

Si nous voyons juste et si Spinoza est matérialiste, alors à l’opposé d’Aristote, ce qu’il appelle Dieu est dans le monde. Étudions cette question.

3. Dieu et l’univers

Ici, logiquement, nous devrions nous retrouver coincés : si Spinoza dit que Dieu est présent dans notre monde, où alors est Dieu ? Pourquoi ne le verrait-on pas ? Il semble donc que Spinoza ne peut, logiquement, pas dire cela, à moins d’être ouvertement matérialiste et de dire : ce que j’appelle Dieu est, en fait, le monde.

Le dit-il ? Oui, Spinoza le dit. Il dit ainsi :

Par Dieu, j’entends un étant absolument infini, c’est-à-dire une substance consistant en une infinité d’attributs, dont chacun exprime une essence éternelle et infinie.

Les choses particulières ne sont rien si ce n’est des affections des attributs de Dieu, autrement dit des modes, par lesquels les attributs de Dieu sont exprimés d’une manière certaine et déterminée.

Ainsi donc, Dieu se confond littéralement avec l’univers. Ce que nous appelons l’univers, Spinoza l’appelle Dieu.

Car nous considérons que l’univers a une « infinité d’attributs », par l’intermédiaire des multiples dispositions atomiques et chimiques, et celles-ci dépendent du mouvement dialectique de la matière, depuis le big bang.

Spinoza a la même conception. Reste cependant un souci : la science MLM ne considère pas que l’univers soit déterminé par autre chose que par sa nature, par sa composition chimique et atomique.

Pour que Spinoza soit matérialiste, il faudrait que le Dieu qu’il met en avant fonctionne de manière pour ainsi dire « mécanique » : il ne pourrait pas choisir, il ne pourrait pas décider ; en effet, pour la science MLM, l’univers est en effet ce qu’il est, alors que logiquement un Dieu choisit.

Regardons donc quelle est la conception de Spinoza à ce niveau, pour voir s’il est matérialiste.

4. La disposition de l’univers

Si Spinoza est matérialiste, alors son Dieu est impuissant : il est un principe, tout puissant, mais il ne peut pas avoir une « personnalité » ni une conscience « individuelle » comme l’affirme la religion.

Que dit Spinoza ? En fait, il considère que l’agencement du monde est logique ; ce qui existe existe de cette manière et pas d’une autre parce que c’est dans la nature de Dieu.

Il justifie cela en disant que Dieu pouvant tout, s’il voulait faire les choses différemment il aurait pu ; s’il a fait que les choses soient de cette manière-là et pas d’une autre, alors c’est que c’était dans sa nature.

Ce n’est ni plus ni moins que réduire Dieu à un principe. C’est une preuve très claire que, pour Spinoza, Dieu consiste en l’univers. Regardons ce qu’il dit :

Il n’est rien donné de contingent dans la nature, mais tout y est déterminé par la nécessité de la nature divine à exister et à produire quelque effet d’une certaine manière.

Les choses n’ont pu être produites par Dieu d’aucune manière autre et dans aucun ordre autre, que de la manière et dans l’ordre où elles ont été produites.

Ainsi donc, Dieu n’a pas de liberté, et un Dieu qui n’a pas de liberté n’est pas un Dieu. Ce que Spinoza appelle Dieu, nous l’appelons univers, et nous avons vu que les caractéristiques de Dieu sont chez Spinoza celles de l’univers selon la science MLM.

Cependant, reste à parler non pas simplement de l’univers, mais de notre planète, car nous vivons certainement dans l’univers, mais plus directement sur notre planète.

Si Spinoza est matérialiste, alors sa conception du monde doit être proche d’Épicure et de Lucrèce, c’est-à-dire qu’il est censé considérer les humains comme n’étant pas étrangers au monde, à la nature. Voyons ce que dit Spinoza.

 

5. La place de l’être humain dans le monde

Pour la science MLM, mais également pour les précurseurs qu’ont été Épicure et Lucrèce, l’être humain fait partie du système global de la vie et a comme tâche d’être heureux.

Il ne doit ainsi « pas chercher midi à quatorze heures » mais se focaliser sur son épanouissement. C’est une philosophie très terre-à-terre… très concrète… c’est une philosophie matérialiste.

Seulement, il y a deux difficultés. Tout d’abord Spinoza devrait rejeter les rites de la religion comme étant des superstitions bloquant l’épanouissement, tout comme Épicure et Lucrèce.

Ensuite, il devrait dire ouvertement que l’être humain appartient à la nature, et donc dire que Dieu et la nature sont pratiquement la même chose.

Pensée explosive de son époque, du 17ème siècle : Spinoza assume ces deux points. Il affirme clairement que Dieu en tant que principe est en pratique la nature :

« Cet Être éternel et infini que nous appelons Dieu ou la Nature agit avec la même nécessité qu’il existe… N’existant pour aucune fin, il n’agit donc aussi pour aucune ; et comme son existence, son action n’a ni principe ni fin. »

On a donc bien un Dieu impersonnel – l’équivalent de ce que nous appelons l’univers – et un environnement matériel immédiat, le monde, que Spinoza appelle la nature.

C’est un point de vue matérialiste, conforme à la science MLM. Reste la question de la religion, du rapport de l’être humain au monde.

Rappelons que dans la religion, Dieu a donné le monde à l’être humain ; ce dernier vaut donc plus que le monde, il en est le maître. Si par contre Spinoza est matérialiste, alors il considère que l’être humain est naturel.

L’alternative est la suivante : soit l’être humain vit au-dessus de la nature, parce que c’est sa définition divine (c’est le point de vue religieux), soit l’être humain fait partie de la nature, étant simplement un animal avec un développement particulier (c’est le point de vue matérialiste).

Spinoza est explicite : il est dans le camp des matérialistes.

Il est impossible que l’homme ne soit pas une partie de la Nature et ne puisse éprouver d’autres changements que ceux qui se peuvent connaître par sa seule nature et dont il est cause adéquate. Il suit de là que l’homme est nécessairement toujours soumis aux passions, suit l’ordre commun de la Nature et lui obéit, et s’y adapte autant que la nature des choses l’exige.

L’être humain est humain, c’est-à-dire un être naturel. Il a une nature. Cela est tout à fait conforme à la science MLM, qui rejette la conception d’un être humain qui serait « au-dessus » de la nature, de la réalité matérielle, de l’univers.

Reste maintenant à savoir ce que dit Spinoza sur ce que l’être humain doit faire dans le monde, afin de vérifier qu’il dit la même chose qu’Épicure et Lucrèce.

6. La quête d’une vie paisible et heureuse

Pour la science MLM, mais également pour les précurseurs qu’ont été Épicure et Lucrèce, l’être humain peut être heureux : il est naturel et appartient au monde, et en tant que tel a sa place.

Reste à savoir laquelle ; c’est là toute la question de la philosophie matérialiste. Citons ici Pythagore pour souligner l’importance de cette reconnaissance de la dignité du réel :

Tant que l’homme continuera à être le destructeur impitoyable des êtres animés des plans inférieurs, il ne connaîtra ni la santé, ni la paix. Tant que les hommes massacreront les bêtes, ils s’entretueront. Celui qui sème le meurtre et la douleur, ne peut en effet récolter la joie et l’amour.

La joie et l’amour sont des préoccupations matérialistes par définition : si Spinoza est un matérialiste, alors ce sont ses objectifs, et il doit chercher à montrer quel est le chemin pour les atteindre.

Et nous pouvons voir justement que Spinoza est bien l’un des nôtres :

Seule assurément une farouche et triste superstition interdit de prendre des plaisirs. En quoi, en effet, convient-il mieux d’apaiser la faim et la soif que de chasser la mélancolie ?

Telle est ma règle, telle est ma conviction. Aucune divinité, nul autre qu’un envieux, ne prend plaisir à mon impuissance et à ma peine, nul autre ne tient pour vertu nos larmes, nos sanglots, notre crainte et autres marques d’impuissance intérieure ; au contraire, plus grande est la Joie dont nous sommes affectés, plus grande la perfection à laquelle nous passons, plus il est nécessaire que nous participions de la nature divine.

Il est donc d’un homme sage d’user des choses et d’y prendre plaisir autant qu’on le peut (sans aller jusqu’au dégoût, ce qui n’est plus prendre plaisir).

Il est d’un homme sage, dis-je, de faire servir à sa réfection et à la réparation de ses forces des aliments et des boissons agréables pris en quantité modérée, comme aussi les parfums, l’agrément des plantes verdoyantes, la parure, la musique, les jeux exerçant le Corps, les spectacles et d’autres choses de même sorte dont chacun peut user sans aucun dommage pour autrui.

Le Corps humain en effet est composé d’un très grand nombre de parties de nature différente qui ont continuellement besoin d’une alimentation nouvelle et variée ; pour que le Corps entier soit également apte à tout ce qui peut suivre sa nature et que l’Esprit soit également apte à comprendre à la fois plusieurs choses.

Cette façon d’ordonner la vie s’accorde ainsi très bien et avec nos principes et avec la pratique en usage ; nulle règle de vie donc n’est meilleure et plus recommandable.

Les choses sont on ne peut plus claires. L’esprit n’est pas coupé du corps, esprit et corps forment un tout. C’est un point de vue parfaitement matérialiste.

Voyons maintenant si Spinoza dit la même chose qu’Épicure et Lucrèce, à savoir que l’être humain doit focaliser sa conscience sur la nature, sur la connaissance de celle-ci et sa compréhension d’en être une partie.

7. L’être humain et son identité naturelle

Quand on est matérialiste, on reconnaît au monde sa dignité ; on n’admet que le réel. Si Spinoza est l’un des nôtres, et nous avons vu que c’est le cas, alors il doit accorder une grande attention à cette orientation.

Et cette orientation doit être comme celle d’Épicure et Lucrèce : elle doit explicitement rejeter la religion comme expression d’esprits incompétents cherchant à expliquer ce qu’ils ne comprennent pas de manière mystique, en raison du fait qu’ils ne comprennent pas la nature.

Est-ce le cas ? Oui, c’est le cas ; Spinoza nous dit :

Car, ayant considéré les choses comme des moyens, ils ne pouvaient pas croire qu’elles se fussent faites elles-mêmes ; mais, pensant aux moyens qu’ils ont l’habitude d’agencer pour eux-mêmes, ils ont dû conclure qu’il y a un ou plusieurs maîtres de la Nature, doués de la liberté humaine qui ont pris soin de tout pour eux et qui ont tout fait pour leur convenance.

Or, comme ils n’ont jamais eu aucun renseignement sur le naturel de ces êtres, ils ont dû en juger d’après le leur, et ils ont ainsi admis que les Dieux disposent tout à l’usage des hommes, pour se les attacher et être grandement honorés par eux.

D’où il résulta que chacun d’eux, suivant son naturel propre, inventa des moyens divers de rendre un culte à Dieu, afin que Dieu l’aimât plus que tous les autres et mît la Nature entière au service de son aveugle désir et de son insatiable avidité.

Ainsi, ce préjugé est devenu superstition et a plongé de profondes racines dans les esprits ; ce qui fut une raison pour chacun de chercher de toutes ses forces à comprendre les causes finales de toutes choses et à les expliquer. Mais en voulant montrer que la Nature ne fait rien en vain (c’est-à-dire qui ne soit à l’usage des hommes), ils semblent avoir uniquement montré que la Nature et les Dieux délirent aussi bien que les hommes.

Partant de là, pour comprendre l’être humain, il faut comprendre sa nature, ce qui est une démarche matérialiste :

La plupart de ceux qui ont écrit sur les affects et sur les principes de la conduite semblent traiter non de choses naturelles qui suivent des lois générales de la nature, mais de choses qui sont en dehors de cette Nature. Il semble même qu’ils conçoivent l’homme dans la Nature comme un empire dans un empire.

Ils croient en effet que, loin de le suivre, l’homme perturbe l’ordre de la Nature et que, dans ses propres actions, il exerce une puissance absolue et n’est déterminé que par lui-même.

Aussi attribuent-ils la cause de l’impuissance et de l’inconstance humaines non pas à la puissance générale de la Nature mais à je ne sais quel vice de la nature humaine sur laquelle, dès lors, ils pleurent, rient, exercent leur mépris ou, le plus souvent, leur haine. Et celui qui sait accabler l’impuissance de l’Esprit humain avec le plus d’éloquence ou le plus d’arguments passe pour divin. [...]

Mais voici mes raisons. Il ne se produit rien dans les choses qu’on puisse attribuer à un vice de la Nature ; car elle est toujours la même, et partout sa vertu, sa puissance d’agir est une et identique ; c’est-à-dire que les lois et les règles de la Nature selon lesquelles tout se produit et se transforme sont toujours et partout les mêmes, et c’est aussi pourquoi, quelle que soit la nature de l’objet à comprendre, on ne doit poser qu’un seul et même principe d’explication : par les lois et règles universelles de la Nature.

« Quelle que soit la nature de l’objet à comprendre, on ne doit poser qu’un seul et même principe d’explication : par les lois et règles universelles de la Nature » : Spinoza est bien un matérialiste, un précurseur de la science MLM. Il fait partie de la tradition d’Épicure et de Lucrèce.

Mais puisqu’il était un homme du 17ème siècle, il a forcément des limites : quelles sont-elles ? Pour une compréhension globale de Spinoza, il nous faut comprendre cela.

8. La limite de Spinoza

En fait, Spinoza n’est limité que sur un point, mais il est essentiel.

Spinoza est un matérialiste, c’est un fait ; il reconnaît la primauté de la matière et son Dieu n’est que l’univers portant la matière. L’être humain fait partie de la nature et peut donc être heureux :

L’homme libre ne pense à rien moins qu’à la mort, et sa sagesse est une méditation, non de la mort, mais de la vie.

Jusque-là, il fait partie de la science MLM. Seulement, Spinoza vit à une époque où la classe ouvrière n’existe pas encore. Le mode de pensée des êtres humains était donc incapable de saisir la dialectique.

On retrouve le même défaut chez Épicure et Lucrèce, et pour cause. Il y a bien eu des précurseurs de la dialectique, comme Anaxagore et Héraclite, mais globalement le courant dialectique ne pouvait pas se développer.

Le courant matérialiste pouvait grandir, mais limité et minoritaire jusqu’au développement du mode de production capitaliste, puis largement influencé par la bourgeoisie et sa vision mécaniste.

Spinoza n’est donc pas quelqu’un qui avait compris la dialectique ; en raison de son époque, il ne le pouvait pas. Voilà pourquoi les relations entre Dieu et le monde, entre le monde et lui-même, sont statiques.

Une fois que les choses sont, elles sont et ne changent plus ; elles ont une nature, qui ne se modifie pas, et ces natures ne peuvent en fait même pas se rencontrer.

Hegel, qui le premier a affirmé la dialectique de manière élaborée, même si imparfaitement, a justement fait une grande critique de Spinoza : Spinoza ne comprend pas ce qu’est la négation, il ne comprend pas ce qu’est le mouvement.

Cette critique est juste, et pour cause. La raison de cela est en effet très simple : Spinoza est totalement dans la tradition de la pensée d’Aristote, par l’intermédiaire des penseurs arabes juifs, et latins.

Or, nous avons vu qu’Aristote est le penseur anti-dialectique qui met en avant l’analogie. Spinoza procède donc par analogie, il n’arrive pas à voir les connexions.

Prenons deux exemples. Voici comment Spinoza comprend la nécessité dans le monde et son rapport avec la conscience :

Les hommes se trompent en ce qu’ils pensent être libres et cette opinion consiste en cela seul qu’ils sont conscients de leurs actions, et ignorants des causes par lesquelles ils sont déterminés.

La volonté ne peut être appelée cause libre, mais seulement cause nécessaire.

De manière matérialiste, cela semble correct, mais il y a une dimension mécaniste, car le mouvement dialectique n’est pas saisi et ainsi le rôle de la conscience est nié.

C’est une question d’époque : à celle de Spinoza, il n’y avait pas encore la classe la plus révolutionnaire de l’histoire, la classe ouvrière.

Inversement, nous communistes savons désormais justement que la révolution n’est pas un processus mécanique mais bien un processus conscient, posant donc la nécessité du Parti Communiste de type MLM.

Prenons un second exemple, lui aussi typique de l’analogie. Spinoza distingue ici les animaux des humains, sauf qu’il les oppose abstraitement et formellement.

Manque de dialectique oblige, Spinoza ne voit en effet pas le rapport existant entre les humains et les animaux, il ne peut pas concevoir une relation vivante, il ne peut concevoir qu’un mouvement statique et en un seul sens.

Voici ce que dit Spinoza :

La loi qui défend de tuer les animaux est fondée bien plus sur une vaine superstition et une pitié de femme que sur la saine raison ; la raison nous enseigne, en effet, que la nécessité de chercher ce qui nous est utile nous lie aux autres hommes, mais nullement aux animaux ou aux choses d’une autre nature que la nôtre. Le droit qu’elles ont contre nous, nous l’avons contre elles.

Ajoutez à cela que le droit de chacun se mesurant par sa vertu ou par sa puissance, le droit des hommes sur les animaux est bien supérieur à celui des animaux sur les hommes. Ce n’est pas que je refuse le sentiment aux bêtes.

Ce que je dis, c’est qu’il n’y a pas là de raison pour ne pas chercher ce qui nous est utile, et par conséquent pour ne pas en user avec les animaux comme il convient à nos intérêts, leur nature n’étant pas conforme à la nôtre, et leurs passions étant radicalement différentes de nos passions.

En raison de l’absence de dialectique, Spinoza voit ainsi les choses par analogie et par conséquent de manière unilatérale.

Telle est la limite de Spinoza, une limite imposée par son époque. Intéressons-nous pour finir aux considérations faites par les communistes sur Spinoza, en soulignant l’importance de la particularité française.

9. Spinoza et les interprétations du « marxisme français »

Comme on l’a vu, il faut partir de la science MLM pour comprendre Spinoza de manière claire.

Un besoin qui n’a pas été très important dans le passé : Marx et Engels avaient profité de la critique hégélienne de Spinoza, et n’ont pas fait de critique particulière puisqu’ils assumaient la dialectique.

Par la suite par contre, le marxiste russe Plekhanov, qui avait connu Engels, a le premier souligné que Spinoza faisait partie de notre tradition, que Spinoza avait influencé Feuerbach, et que par là il a été une grande contribution au marxisme.

Le marxisme-léninisme de l’époque de Staline a par la suite donc fort logiquement affirmé que Spinoza préfigure le matérialisme français des Lumières, qu’il était un précurseur de l’idéologie de la classe ouvrière.

Malheureusement, si cela a pu avoir une faible incidence dans d’autres pays, en France, il ne suffisait pas de reconnaître la valeur de Spinoza.

En effet, nous ne cessons de dire que le problème fondamental du marxisme en France a été la négation des enseignements d’Engels.

Cela a eu comme conséquence que le marxisme a été considéré uniquement comme une science sociale (et non donc comme la science en général, comprenant la société mais aussi la nature).

Et cette science sociale a été comprise de manière mécaniste, dans le prolongement du rationalisme bourgeois du type de Descartes.

Par conséquent, si nous avons raison, alors puisque Spinoza n’était pas dialectique, le « marxisme français » a dû l’apprécier particulièrement.

Est-ce le cas ? Oui, c’est le cas. Dans le « marxisme français » Spinoza est opposé à Hegel, ce qui est une totale aberration.

Tous les « intellectuels » du « marxisme français » de ces 60 dernières années se sont revendiqués CONTRE Hegel par l’intermédiaire de Spinoza :

– Louis Althusser, Alain Badiou, Pierre Macherey pour le courant « dogmatique » ;

– Michel Foucault, Gilles Deleuze, Toni Negri pour le courant « spontanéiste ».

Toute la pensée « marxiste française » des années 1960-1970 est dans l’orbite du structuralisme, c’est-à-dire d’une vision du monde en structures figées, et prend parti contre Hegel par l’intermédiaire de Spinoza.

Les « marxistes français » de cette époque affirment que Hegel n’a pas compris Spinoza, que le manque de dialectique dans Spinoza ne peut pas être résolu en appuyant l’importance de l’élément conscient (une position donc totalement opposée aux enseignements de la Grande Révolution Culturelle Prolétarienne en Chine à la même époque).

Cette position typiquement française a eu un énorme succès justement en France en raison de sa base « raisonnable », dans la puissante tradition française de rejet de la dialectique de la nature comme « mysticisme ».

L’esprit « français » se veut « raisonnable » et rejette les prétentions à pouvoir comprendre le tout, à pouvoir effectuer une synthèse.

Rejeter la dialectique, rejeter Engels, passait inévitablement par rejeter Hegel, et par chercher un « autre » marxisme qui expliquerait des « lames de fond » dans la société, tout cela se réalisant mécaniquement, la révolution arrivant « automatiquement ».

Il n’est pas difficile de voir qu’une telle conception est exactement celle de l’extrême-gauche française, sauf évidemment du PCMLM.

Cela souligne d’autant plus l’importance qu’il y a à comprendre la place de Spinoza dans l’histoire des idées.

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