27 déc 2016

George Michael, du réalisme populaire à la décadence et au star system

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« La première fois tu m'as fait beaucoup rire
Tu étais si mignon et tu jouais du piano
Maintenant, mon meilleur ami c'est l'argent
Au revoir, chéri
Au revoir, mon amour »

Telles sont les paroles laissées sur un répondeur téléphonique, en français, dans la chanson Battlestations du groupe Wham !, la première démarche musicale de George Michael, décédé hier.

La chanson traite, comme une partie significative des chansons de Wham !, des rapports sentimentaux et de leur dégradation, de leur corruption par l'argent. Car George Michael a été, avant de devenir une figure tourmentée et décadente, une très grande figure du réalisme.

Lorsque George Michael fonde en effet Wham ! en 1981 à Londres avec son ami Andrew Ridgeley, il joue tous les rôles : il compose la musique, il écrit les paroles, il produit les chansons.

Lorsque le premier album, Fantastic, sort en 1983, il est à l'origine de toutes les chansons, sauf Love Machine qui est la reprise d'une chanson de The Miracles, sorti sur le label Motown en 1975.

Wham ! fait partie de toute la tradition soul-rock du début des années 1980, engagé dans une analyse critique de la société, une attitude résolument positive, un métissage musical assumant ouvertement les musiques noires.

Nul hasard ici à ce que Dee C. Lee, membre des chœurs de Wham !, partit rejoindre le fameux groupe Style Council, se mariant par ailleurs par la suite à Paul Weller.

Nul hasard à ce qu'on retrouve à la fois Wham ! et Style Council réunis pour un grand concert de soutien aux mineurs en grève, à Londres en 1984.

Wham ! était alors un groupe déjà extrêmement célèbre et ce choix reflète véritablement l'ancrage prolétarien du groupe alors.

L'album Fantastic contient ainsi la chanson Bad boys, expression de la révolte de la jeunesse contre les parents l'empêchant de sortir le soir, la chanson Young guns le problème de se marier et d'avoir des enfants trop jeune.

La chanson Wham ! Rap (enjoy what you do) revendique le refus du travail aliénant (« Je n'ai peut-être pas de job, mais j'ai du bon temps / Est-ce que vous voulez travailler ? [le chœur:] NON Allez-vous avoir du fun ? [le chœur:] OUI ».

La chanson A Ray of sunshine raconte la joie de se lever du bon pied le matin avec un rayon de soleil et une « ligne de basse », la chanson Club Tropicana raconte un lieu utopique où la fête et l'amour sont célébrés et où « la seule admission est un visage sourient ».

La chanson Come on revendique le plaisir de faire la fête contre les mœurs compassées et conservatrices (« Je sais qu'ils n'en ont rien à faire de moi Je n'ai pas d'argent je ne suis pas un VIP Et je sais qu'ils n'en ont rien à faire de toi Peut-être que tu peux faire comme moi et apprécier ta vie comme je le fais ! »).

Enfin, la chanson Nothing Looks The Same In The Light aborde la question d'avoir des sentiments pour quelqu'un prisonnier d'une idéologie superficielle de la fête.

On a ici un tout d'un niveau musical très correct, dans un ensemble très dansant, avec au cœur du projet George Michael qui a porté cet album à l'âge de 19 ans.

La question historique était alors de savoir comment allait tourner les choses, alors que le succès médiatique était immense.

Pour cette raison, l'album réalisé l'année suivante, en 1984, Make It Big, le fut en France, dans le Var, afin d'éviter la presse. Le succès fut alors immense et dans les faits, il s'agissait d'une œuvre magistrale.

Il est tout à fait parlant que l'album contienne une reprise du groupe du label Motown, The Isley Brothers : If You Were There, une chanson sentimentale. Comme pour le premier album, c'est d'ailleurs Deon Estus qui s'occupe de la basse, son professeur ayant été l'immense bassiste historique du label Motown, James Jamerson.

La chanson Wake Me Up Before You Go-Go est un appel à la danse et aux sentiments, contre une personne ayant tendance à mettre l'amour à l'écart ; pour le clip, les deux membres de Wham ! portent des t-shirts avec l'inscription « CHOOSE LIFE » (choisir la vie), réalisés par Katharine Hamnett qui lançait alors son style de t-shirts engagés.

La chanson Like A baby est pareillement une complainte de l'amoureux délaissé, réduit à « pleurer comme un bébé », tout comme le narrateur de Credit Card Baby explique à une jeune femme qu'il n'est nullement dupe, qu'il sait qu'en fait elle ne l'aime pas et ne fait que profiter de lui.

La chanson Everything she wants est le point culminant de cette thématique qui dénonce la femme vénale, corrompue, happée par le capitalisme et brisant le sentimentalisme de l'amoureux :

« Quelqu'un m'a dit
Garçon, tout ce qu'elle veut c'est tout ce qu'elle voit
Je pense que j'ai dû t'aimer
Parce que j'ai dit que tu était la fille parfaite pour moi,
Peut-être…
Mais maintenant nous sommes six mois plus tard…
Et tout ce que tu veux et tout ce que tu vois
Est hors de portée… Pas assez bon…
Je ne sais pas à la fin ce que tu veux de moi (…)

Ne me diras-tu pas…
Pourquoi je travaille si dur pour toi ?
Juste pour te donner de l'argent
Juste pour te donner de l'argent…

Certaines personnes travaillent pour vivre
Certaines personnes travaillent pour le fun,
Fille, je travaille juste pour toi,

Ils m'ont dit que le mariage c'est donner et prendre,
Eh bien tu me montres que tu sais prendre tu as des dons à faire,
Et maintenant tu me dis que tu vas avoir un bébé,
Je vais te dire que je suis content si tu veux…
Un pas de plus et mon dos va se vriser,
Si mon meilleur n'est pas assez bon
Alors comment peut-il être bon pour deux ?
Je ne peux pas travailler plus dur que je ne le fais (…)

Comment as-tu pu t'installer avec un garçon comme moi,
Quand tout ce que je pouvais voir c'est la fin de la semaine…
Toutes ces choses que nous signons,
Toutes ces choses que nous achetons,
Ne vont pas nous garder ensemble…
C'est juste une question de temps »

On a ici une chanson d'un réalisme prolétarien complet. On a un haut niveau et il est intéressant de noter que George Michael, lors du passage en 1984 dans une émission pour la jeunesse, expliqua que son album préféré était Closer de Joy Division.

La chanson Careless whisper, qui fut un immense succès, présente la situation de manière inverse à Everything she wants : dans le clip, George Michael trompe sa petite amie, dans un grand acte de consumérisme grand bourgeois, connaissant ainsi une profonde désillusion.

« J'aurais dû mieux savoir plutôt que mentir à une amie
Et gâcher les chances qu'on m'a donné
Ainsi je ne danserai plus jamais
De la manière dont je dansais avec toi (…)

Ce soir la musique semble tellement forte
J'aimerais qu'on abandonne cette foule
Peut-être que c'est mieux ainsi
Nous nous blesserions avec les choses que nous aimerions dire
Nous aurions û être si bien ensemble
Nous aurions pu vivre cette danse pour toujours
Mais maintenant qui va danser avec moi
S'il te plaît reste

Maintenant que tu es partie
Ce que j'ai fait a-t-il été si mauvais, si mauvais,
Que tu ais dû me laisser seul »

La chanson Heartbeat parle du fait de tomber amoureux alors qu'on s'est malencontreusement déjà engagé dans une relation semblant seulement satisfaisante, tandis que Last Christmas, un immense succès populaire et la face B du single Everything she wants, aborde la question de se faire piéger par quelqu'un n'assumant pas ses sentiments, tout comme la chanson Freedom refusant les demi-relations, la fausse liberté d'une relation non définie.

Wham ! était alors devenu un des groupes majeurs de la pop music, devenant le premier groupe pop invité en Chine ayant basculé dans le capitalisme, mais recherchant encore quelque chose de social et de mesuré.

Cela se passait alors que ses membres dépassaient à peine la vingtaine. Et, inévitablement, sans fondement idéologique dans son identité, Wham ! participa résolument à l'idéologie du star system, lui donnant cette image de groupe à la musique sirupeuse visant des jeunes filles.

L'ensemble des journalistes, à la mort de George Michael, ont d'ailleurs présenté ainsi Wham !, en contradiction flagrante avec ce qu'a été le groupe.

D'ailleurs, sous la pression des contradictions entre un groupe soul-pop populaire et les exigences commerciales, le groupe explosa en 1986, avec un dernier album, The final, et un concert à Wembley devant 70 000 personnes.

The final compilait certaines chansons et en ajoutant d'autres : Battlestations qui décrit la crise profonde d'un couple dont les deux membres s'ignorent, entre non-dits et mots assassins, I'm your man proposant la fondation d'un couple, Blue raconte un effondrement sentimental, tout comme A Different Corner et The Edge Of Heaven.

On trouve également la reprise du groupe soul-disco-rock Was (Not Was), Where Did Your Heart Go?, une complainte sentimentale reprochant l'indifférence et racontant les velléités suicidaires.

Wham ! a été la preuve qu'il est possible d'allier réalisme de haut niveau, sur la base d'une ligne de masses entière, pleine, authentique, et un haut niveau d'exigence musical.

Cependant, conformément à la loi de la contradiction, il fallait pour George Michael choisir entre l'exigence commerciale et le réalisme. Il ne fut pas capable de choisir, précipitant sa vie dans la décadence.

La première étape, véritablement intéressante, fut le duo de 1987 avec l'immense chanteuse soul Aretha Franklin, I Knew You Were Waiting (For Me). C'était une chanson sentimentale et positive, d'orientation soul, dans la grande tradition de Wham !.

L'album Faith, sorti la même année, est par contre entièrement déséquilibré. George Michael est en effet parti du principe qu'il devait contrer les accusations faites contre Wham ! d'un groupe d'orientation commerciale et superficielle, ce qu'il n'était pourtant pas.

Il a par conséquent décidé de pratiquer une voie intimiste et sombre, tout en maintenant une base funk à sa démarche, l'influençant par le rythm'n blues.

Cependant, sa démarche étant une réaction, et non un choix réel fondé sur une dynamique réaliste et populaire.

Si Faith fut un succès commercial et critique, l'album est un véritable puzzle, les chansons étant très éloignées les unes des autres, avec un niveau culturel alliant le meilleur et le pire, oscillant entre réalisme et soumission au consumérisme.

La chanson Kissing a Fool est, dans ce cadre, le grand chef d'oeuvre de George Michael, sa complainte sentimentale la plus aboutie. Il est significatif qu'elle passe encore inaperçue aujourd'hui, alors que c'est un véritable diamant d'intimité jazz-soul.

On peut l'opposer à One more try, au tempo très long et relevant de la variété.

La chanson I Want Your Sex, qui est une ode à la monogamie, reste une chanson pop d'accès facile et formaté pour une provocation commerciale avec le titre, ce qui contraste avec Hard day, complainte sentimentale d'un funk très travaillé.

La chanson Faith reste d'un pop rock tout à fait conventionnel, avec des paroles sentimentales bas de gamme, ce qui contraste très fortement avec Hand to mouth, présentation, pop rock influencé par la soul, de la misère aux États-Unis d'Amérique, avec un ton très sombre.

Il en va de même pour la chanson Father figure, entraînante mais très faible sur tous les plans, si on la compare avec la chanson très élaborée Monkey, le terme désignant en argot la drogue (la chanson est un reproche fait à une personne incapable d'assumer son amour en raison de son addiction).

Il est significatif que les chansons d'orientation commerciale se soient retrouvées sur la face A de l'album, les autres sur la face B, à quoi il faut d'ailleurs ajouter Look at your hands, une chanson écrite à une femme ayant plaqué le narrateur pour un salaud alcoolique qui la bat, alors qu'elle se retrouve avec deux enfants gros.

C'en était, de là, fini avec George Michael, comme on peut aisément le voir avec l'échec en 1990 de Listen Without Prejudice, Vol. 1, c'est-à-dire « Ecouter sans préjugé, volume 1 ».

L'idée de George Michael était de refuser toute promotion, toute photographie, jusque sur la pochette, d'arriver à un haut niveau culturel. Le clip de Praying for Time ne contenait que les paroles d'une chanson qui est un chef d'œuvre d'engagement social et de construction musicale pop :

Voici le jour de la main ouverte
Ce ne sera pas le dernier
Regarde autour de toi maintenant
Voici le jour des mendiants et des tricheurs

Voici l'année de l'homme qui a faim
Dont la place est dans le passé
Main dans la main avec l'ignorance

Et avec de confortables excuses
Les riches se disent eux-mêmes pauvres
Et la plupart d'entre nous ne sait pas s'il possède trop
Mais nous assumerons tous le risque
Parce que Dieu a cessé de compter les points

J'imagine que quelque part sur le chemin
Il a du nous laissé sortir pour aller s'amuser
Qu'il a tourné le dos et que tous ses enfants
Ont fuit discrètement par la porte de derrière

Et il est dur d'aimer, quand tant de choses sont à haïr
De s'accrocher a un espoir
Quand on ne peut même plus parler d'espoir

Et les cieux blessés de là haut disent qu'il est beaucoup trop tard
Alors peut être devrions nous prier le temps

Voici le jour de la mains vide
Oh tu t'accroches à ce que tu peux
Et la charité est un manteau que tu portes deux fois l'an

Voici l'année de l'homme coupable
C'est ta televion prend position

Et tu penses que ce qui était fini là bas
L'est ici

Alors tu cries de derrière ta porte
dit : « ce qui est à moi est à moi et pas à toi »

Je possède peut être trop mais j'assume le risque
Parce que Dieu a cessé de compter les points
Tu t'accroches aux choses qu'ils t'ont vendu

As tu déjà fermer les yeux quand ils t'ont dit
Qu'il ne reviendrait pas
Parce qu'il n'a plus d'enfant à revoir

Il est dur d'aimer, quand tant de choses sont à haïr »

La dimension religieuse-idéaliste, désabusée, est toutefois présente et montre la faiblesse de fond.

Dans une même incohérence, George Michael refusa d'apparaître dans la chanson pop anti-MTV Freedom! ’90, mais ce fut pour être remplacé par des mannequins « supermodels » de l'époque.

L'album reprend la chanson très sombre de Stevie Wonder, They Won't Go When I Go, dans une grande référence donc à la soul.

Sauf que George Michael avait coupé tout lien avec la base historique de sa référence à la soul. Il était devenu un élément du star system ayant une très belle voix et se tournant vers une musique semi-soul ou semi-jazzy avec la complexité d'une musique d'ascenseur.

George Michael partit alors contre son label Sony, considérant que l'échec relatif de Listen Without Prejudice, Vol. 1, avec cinq millions d'exemplaires vendus contre quatorze pour Faith, provenait d'un manque de soutien publicitaire provoqué par son refus de participer au star system.

George Michael chercha à briser son contrat avec Sony, qui avait racheté CBS pour qui George Michael avait signé un contrat pour huit albums en 1984.

Ce fut l'échec et sa perspective artistique fut brisée, même si Sony vendit les droits à Virgin Records et DreamWorks Records, George Michael rejoignant même Sony par la suite.

George Michael, qui avait été le grand portraitiste des rapports sentimentaux hétérosexuels, se revendiqua alors homosexuel : était-ce là la conclusion d'une capitulation sentimentale devant la corruption dans le capitalisme, ou bien l'avait-il déjà été auparavant ce qui aurait aidé son regard critique ?

En tout cas, il fut arrêté en 1998 pour attentat à la pudeur dans des toilettes publiques de Beverly Hills, alors qu'il basculait en même temps dans les drogues. La déchéance était lancée et ne devait plus s'arrêter.

Il est alors une figure du star system médiatique de la musique pop, se cantonnant dans des chansons sirupeuses ou bien dance outrageusement commerciales avec des vidéos d'esprit MTV, tout en apparaissant comme toujours davantage malade et tourmenté, toujours plus fragile.

C'était le contraire de l'image positive de Wham !.

Nombreuses furent les tentatives de se relancer, toujours contradictoires, comme le montre la chanson anti-pornographie Freeek! de 2002, dont le clip est, dans une incohérence le caractérisant, totalement racoleuse.

George Michael pensa surtout s'en sortir avec de grands moments d'engagement, de très nombreuses et systématiques initiatives de charité, comme au tout début des années 1990 avec des campagnes contre le SIDA, notamment avec le groupe Queen.

Mais c'était vain et caricatural. Le clip de la chanson Shoot the Dog de 2002 est par exemple un dessin animé affreux se moquant du président américain Georges W. Bush et du premier ministre anglais Tony Blair ;  lors du concert parisien, un faux chien habillé du drapeau britannique était même mis en scène faisant une fellation au président américain George W. Bush sous la forme d'un ballon gonflable.

Il y eut également, en opposition à la guerre en Irak en 2003, la reprise de la chanson contre la guerre du Vietnam The Grave de Don McLean, ou encore l'affirmation en 2004 de vouloir cesser la production d'albums commerciaux et de ne plus produire que des albums en ligne, téléchargeables en l'échange de dons à des œuvres de charité.

Cependant, le mauvais virage avait été pris : la rupture avec Wham ! a été celle avec l'origine populaire, la base soul, au profit d'une approche mélo-dramatique de la vie, d'esprit post-moderne et dans une logique de charité. Il n'y avait plus de base pour la culture.

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