17 avr 2015

Grève à Radio France : un échec, mais une signification historique

Submitted by Anonyme (non vérifié)

Hier, la CGT a appelé à cesser la grève à Radio France, donnant un coup de poignard à celle-ci, dont le caractère a été historique.

Cette cessation répond directement à la demande fait par Fleur Pellerin la ministre de la culture et s'est déroulée pratiquement en même temps que la réhabilitation de Thierry Lepaon, ancien secrétaire général de la CGT tout récemment débarqué pour des frais faramineux pour son appartement. Il n'aurait pas été responsable de ce qui n'aurait été qu'une surfacturation de l'entreprise…

C'est là une capitulation dans un cadre très concret : celui de la défense du service public. En tant que communistes, nous considérons que les fonctionnaires du service public avaient tort d'imaginer que ce qu'ils faisaient dans leurs activités était neutre sur les plans culturel et idéologique.

Mais, dans un « esprit Charlie », ils pensaient sincèrement servir la population. Dans un esprit propre aux fonctionnaires sérieux de la « République française », il y avait ici l'idée de contribuer à l'épanouissement culturel des gens, au-delà des contingences, des aléas, etc. On trouve la même attitude dans les services sociaux, dans le système de santé, et même dans la police en partie.

Voici un communiqué exprimant la valeur très « Charlie » de la grève, pour ainsi dire :

Lettre ouverte aux auditeurs de Radio France,

Nous sommes les voix qui, chaque jour, s’adressent à vos oreilles. A travers nos émissions, nos interviews, chroniques, reportages, documentaires, nous tentons au mieux de faire vivre les missions de la radio publique : "informer, éduquer, divertir". Nous, équipes de production des émissions de Radio France (animateurs, reporters, collaborateurs, chroniqueurs…) partageons les inquiétudes de l’ensemble des personnels de Radio France mobilisés depuis le 19 mars.

Ce mouvement de grève a pour objet de défendre les radios de service public, et non des intérêts particuliers ou corporatistes. L’engagement budgétaire non tenu par l’Etat entraîne aujourd’hui un déficit grave qui menace l’existence de la radio telle que vous l’aimez et que vous la financez à travers la redevance audiovisuelle.

Nous sommes consternés de voir les travaux de rénovation de la Maison de la radio si mal encadrés et si mal gérés, occasionnant le surcoût exorbitant que vous connaissez. Vos impôts, vos programmes et vos oreilles, doivent-ils payer pour cette incompétence? Le service public n’a ni la vocation, ni la possibilité d’être rentable. Or, cela semble être aujourd’hui la logique insidieuse de la présidence de Radio France et, au-delà, celle de sa tutelle, le ministère de la Culture.

Conscients du contexte de crise économique et des efforts nécessaires, nous soulignons que de lourds sacrifices ont déjà été réalisés (en témoigne la baisse de 87,5 millions d’euros du budget entre 2010 et 2014).Une idée fausse voudrait que Radio France soit un lieu de gabegie, de privilèges et d’intérêts corporatistes. Savez-vous pourtant que la majorité des voix que vous entendez quotidiennement travaille dans le cadre de contrats saisonniers et précaires?

Comment continuer à produire de la radio de qualité quand les moyens matériels (studios, salles de montage, camions-régie…) sont constamment rognés? Comment faire entendre les réalités d’un pays quand la plupart des émissions ne peuvent plus, faute de budget, envoyer de reporters au-delà du périphérique parisien?

Comment conserver notre indépendance –celle à laquelle vous avez droit– quand se multiplient sur les antennes des partenariats ou des publicités plus ou moins déguisées? Si l’on suit la logique actuelle, la radio de demain ce sera: moins de reportages, moins de documentaires, moins de débats vraiment critiques, moins de concerts… Bref, une radio standardisée, calquée sur l’actualité ou sur les goûts majoritaires, une radio au rabais.

Nous aimons passionnément nos métiers et, au nom de la confiance que vous nous témoignez, nous nous efforçons de travailler avec le plus de sérieux et d’esprit de responsabilité. Toutefois, dans ce climat de travail en constante détérioration, nous estimons de notre devoir de vous informer des risques qui pèsent sur la radio publique française.

Radio France est un patrimoine à défendre, bien d'avantage que les boiseries d'un bureau présidentiel.

Les sociétés de producteurs de France Culture, France Inter et France Musique

C'est là la contradiction typique de l'esprit républicain, qui se dévoile lorsque le capitalisme révèle à ses fonctionnaires que leur identité n'est nullement de servir la population, mais d'être fonctionnels par rapport à l'idéologie dominante.

La culture défendue par Radio France n'est alors qu'une variable d'ajustement. Les sept radios publiques, les orchestres, les chœurs, tout cela passe à la trappe, car le capitalisme n'en a nul besoin. Tout est fait pour détruire Radio France en tant qu'entité.

Surtout qu'à une époque où l’État bourgeois s'effondre, la barbarie triomphe – seule la démocratie populaire peut défendre la culture. Voici à ce titre ce que la direction de Radio France il y a deux jours dans son « bilan » :

Le Conseil d’administration de Radio France arrête les comptes 2014

15 Avril 2015

Le Conseil d’administration de Radio France arrête les comptes 2014 en déficit de 2M€

Le Conseil d’administration de Radio France, présidé par Mathieu Gallet, a arrêté le 15 avril 2015 ses comptes annuels 2014.

Dans le contexte du plan de retour à l’équilibre des finances publiques, la société a vu en 2014 ses ressources publiques de fonctionnement stabilisées par rapport à l’année précédente (576 M€) ; ses ressources propres sont également restées globalement stables sous l’effet combiné d’une diminution des recettes locatives due au chantier de réhabilitation de la Maison de la radio et d’un accroissement des recettes de publicité et de diversification. Au total, le chiffre d’affaires s’élève à 645,5 M€, en progression de 0,7%.

Les charges d’exploitation de l’entreprise connaissent quant à elles une progression de 2,3% hors provisions et amortissements, en dépit d’un important effort sur les charges de fonctionnement (baisse des achats et des charges externes nets des partenariats).

S’agissant du programme de réhabilitation, l’année 2014 a été marquée par l’ouverture de la Maison de la radio au public et l’inauguration le 14 novembre de son Auditorium et du Studio 104 rénové, ce qui a permis le retour des formations musicales au sein de la Maison de la radio. Cette mise en service de la partie du bâtiment ouverte au public a induit une hausse des charges de fonctionnement, des charges fiscales et des amortissements de l’entreprise.

Dans ce contexte, sous l’effet combiné de la stabilité de ses ressources et de la hausse de ses charges d’exploitation et des charges liées à la réhabilitation, Radio France présente pour la première fois depuis 1999 des comptes en déficit à hauteur de 2 M€.

Radio France a par ailleurs maintenu en 2014 un niveau d’investissements élevé à 66,8 M€, dont 44,9 M€ liés à la réhabilitation de la Maison de la radio. Les autres investissements se sont élevés à 21,9 M€ portant sur les moyens de production et des projets techniques, sur les développements multimédia, et également sur l’ouverture de la Maison de la radio au public ainsi que sur des projets immobiliers dans le réseau France Bleu avec notamment la rénovation de France Bleu Béarn à Pau.

La trésorerie s’établit à la clôture à 8,4 M€, en baisse de 15,3 M€ par rapport à 2013 sous l’effet des décaissements liés à l’avancement du chantier.

Il est ici bien parlé d'entreprise – nullement de service public. Le choix est de saboter Radio France en tant que secteur public à coups d'appels à la sous-traitance, à coups de liquidation des structures locales, à coups de suppression de postes, de programmes, des formations musicales, etc.

En acceptant cela, le personnel de Radio France accepterait la même logique qu'a accepté le personnel de La Poste ou de France Télécom – avec les mêmes conséquences délétères. La grève est historique car elle est une tentative de refus.

Toutefois, le communiqué cité plus haut fait mine de découvrir qu'il y a une logique de privatisation, alors que c'est clair depuis au moins 20 ans… D'ailleurs, tout comme à La Poste, on voit que la précarisation massive à Radio France a été tout à fait acceptée sans mot dire dans les faits.

Les CDD sont légions, notamment pour le personnel d’antenne des radios locales, les techniciens, les journalistes pigistes, etc. La direction leur fait miroiter des CDI, et d'ailleurs cela a amené à la non-participation à la grève des précaires, pour des raisons « pratiques ».

Le problème est ici naturellement qu'il aurait fallu que ce personnel se mobilise au contraire et prenne la direction de la lutte... Mais sans organisation réellement conséquente et surtout sans idéologie communiste derrière, impossible d'être franc, rude, décisif avec une direction patronale.

On ne peut pas d'un côté dire qu'il faut un service public conséquent et de l'autre chercher à faire avancer sa carrière individuelle – c'était possible il y a vingt ans encore, maintenant c'est fini.

On ne peut pas d'un côté dire qu'il faut un service public conséquent et de l'autre accepter que la bourgeoisie ait l'hégémonie culturelle, idéologique et économique.

Seulement, étant donné qu'à Radio France l'hégémonie culturelle est entièrement dans les mains de la bourgeoisie...

Le style même du PDG Mathieu Gallet, propulsé historiquement par Frédéric Mitterrand, montre comment le capitalisme est anti-démocratique, jusque dans un État censé être « neutre » sur le plan du choix de société.

Mathieu Gallet refait les boiseries de son bureau pour 100 000 euros, a un communicant privé pour près de 90.000 euros par an (qu'il avait déjà au sein de l'INA dont il était président auparavant), dispose d'une nouvelle voiture car l'autre avait déjà cinq ans...

On est ici dans un système féodal, avec une direction gérant les postes comme au moyen-âge au moyen de fiefs : on n'est plus dans le capitalisme des années 1970, mais dans le style autoritaire propre aux monopoles.

C'est vrai pour Radio France, mais également pour tout le secteur public sans exception. On est dans le népotisme, la corruption, la décadence, la bureaucratisation. Comment s'étonner alors que les privatisations aient lieu si facilement ?

Les masses sont dégoûtées des fonctionnaires corrompus, les capitalistes en profitent donc pour sabrer le secteur public.

On ne peut donc pas défendre le service public sans s'intéresser à la morale et à la culture. Mais comme à Radio France on a entièrement repris les codes de la « morale » et de la « culture » bourgeoises, on ne peut pas triompher avec les masses.

Il y a deux classes antagoniques, le prolétariat et la bourgeoisie : en ne choisissant rien, on choisit la bourgeoisie. La programmation de Radio France a obéi aux exigences de la bourgeoisie sur le plan du contenu, Radio France en paie le prix.

Ceux et celles qui veulent un réel service public doivent par conséquent se poser la question du contenu, pour avoir la forme adéquate ; ici, hors du réalisme socialiste, point de salut possible.

Tout se joue ici, sur cette question culturelle de fond : élitisme, idéalisme, snobisme, ou bien réel contenu, réalisme, expression démocratique concrète ?

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En tant que communistes, nous considérons que les fonctionnaires du service public avaient tort d'imaginer que ce qu'ils faisaient dans leurs activités était neutre sur les plans culturel et idéologique...