17 juil 2016

La tentative de coup d’État en Turquie du 15 juillet 2016

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La tentative de coup d’État en Turquie est un épisode de plus dans le déroulement tourmenté de l'histoire de la Turquie moderne. Le pays est, rappelons le, né d'une « révolution » par en haut guidé par Mustafa Kemal, sur les ruines de l'Empire ottoman.

Toute la structure de l’État est particulièrement autoritaire, de fait comme dans tous les pays n'ayant pas connu de révolution démocratique et dont une partie de la base reste rigoureusement féodale. Car c'est de cela dont il s'agit surtout et qui explique pourquoi la Turquie « laïque » de Mustafa Kemal est devenue aussi aisément farouchement religieuse.

Il y a en Turquie 85 000 mosquées, soit le plus haut taux mondial (une pour 350 personnes), avec 90 000 imams qui sont directement payés par l’État.

La « laïcité » n'a été qu'un marqueur de la naissance d'un État brutalement anti-communiste et incroyablement violent envers les minorités nationales et religieuses. L’État turc moderne est né sur le terrain du génocide arménien et a toujours diffusé un nationalisme violemment agressif.

L'actuel président Recep Tayyip Erdoğan se situe dans cette tradition, avec néanmoins deux éléments modifiés. Tout d'abord, auparavant la Turquie était pratiquement sous commandement militaire dans le cadre de la participation à l'OTAN, avec un centre de décision très rigide.

Cela permettait une répression anti-communiste très organisée, mais au prix de nombreux coups d’État (1960, 1971, 1980).

Recep Tayyip Erdoğan a changé cela, considérant que dans le nouveau contexte il fallait suivre le modèle français de la Ve République, avec un exécutif fort élu sur une base populiste permettant de vastes mobilisations de masse.

Ensuite, la Turquie se plaçait auparavant sur un mode défensif, visant surtout l'ennemi intérieur, soutenant une politique de contre-guérilla contre les organisations révolutionnaires et les mouvements kurdes.

Désormais, la Turquie assume son expansionnisme, notamment en Irak en s'appuyant sur des secteurs kurdes, développant une stratégie pratiquement « ottomane ».

Le président Recep Tayyip Erdoğan s'est d'ailleurs fait construire un palais présidentiel à Ankara (qui a été bombardé lors du putsch) pour une valeur de pratiquement 500 millions d'euros, s'étalant sur 200 000 km² dans un style artistique pseudo néo-seljoukide, du nom d'une tribu turque du XIe siècle.

Recep Tayyip Erdoğan se veut ainsi l'homme de la « grandeur » turque, associant étroitement sa personne et le régime, doublant ainsi entre 2002 et 2012 le nombre d'universités, tout en donnant son nom à l'une d'entre elle.

C'est en cela que la tentative de coup d’État du 15 juillet ne peut laisser qu'un arrière-goût fort étrange, donnant vraiment l'impression qu'on a laissé faire une petite faction de l'Armée pour mieux renforcer le pouvoir en place.

En effet, la répression suivant le coup d’État est énorme et systèmatique, et contraste avec le profond amateurisme de la tentative de coup d’État, guère appuyée.

Le bilan de la tentative est de 265 morts, 1440 blessés et 2839 arrestations de militaires, mais surtout on peut voir que dès le lendemain 2745 magistrats ont été suspendus de leur fonction, tout comme cinq membres du Conseil supérieur des juges et des procureurs.

Ont été arrêtés pas moins de dix juges du Conseil d’État, ainsi que 38 magistrats de la juridiction et 140 juges de la Cour de cassation.

L'ampleur de la répression contraste avec la faiblesse du coup d’État, parti surtout du général Akin Öztürk – ancien commandant de l'aviation, membre du Conseil supérieur militaire (et s'occupant en particulier des promotions militaires), qui devait partir à la retraite à l'occasion de la réunion annuelle, à la fin août, du commandement militaire turc – et composé essentiellement de militaires de l'Armée de l'Air et de la Gendarmerie.

Ce qu'on voit, c'est que Recep Tayyip Erdoğan s'approprie encore plus l'appareil d’État, qu'il peut encore plus le verrouiller. Alors que depuis le début des années 2010, la contestation se développe, son parti l'AKP n'ayant fait que 40 % aux élections de juin 2015, perdant sa traditionnelle majorité.

Il avait tout intérêt à ce qu'un coup d’État soit « tenté » et échoue, pour renforcer sa légitimité. Mais ce n'est qu'une hypothèse et nul n'est besoin de voir ici une manœuvre, toujours dangereuse et nullement incontournable de Recep Tayyip Erdoğan.

Il a toujours existé, en effet, un État dans l’État en Turquie, appelé « État profond » et regroupant hauts fonctionnaires, responsables militaires, mafieux, services secrets.

Ces dernières décennies, l’État profond est passé notamment par le JİTEM, les services secrets de la Gendarmerie qui, officiellement, n'existaient pas et ont été au cœur des centaines de « disparitions » d'activistes de gauche durant les années 1990.

Ensuite, il s'est regroupé en Ergenekon, un projet prenant comme nom la fondation mythique de la « race turque », afin de mener une profonde instabilité pour faire échouer le projet de Recep Tayyip Erdoğan et de maintenir la ligne kémaliste traditionnelle.

C'est le même État profond qui avait fait échouer le Premier ministre islamiste Necmettin Erbakan à la fin des années 1990, pour échouer cette fois face à Recep Tayyip Erdoğan.

Puis, à la fin des années 2000, l’État profond fut lié à Fethullah Gülen, un prédicateur islamiste panturc lié historiquement aux soutiens de l'Islam radical par l'impérialisme américain et ayant diffusé tout un réseau d'écoles pour propager la religion.

Fethullah Gülen partit aux États-Unis en 1999 pour échapper à la répression kémaliste. Puis se lia ensuite à Recep Tayyip Erdoğan lors de la fondation de l'AKP et de la conquête du pouvoir par les conservateurs islamistes, avant de le concurrencer en défendant un rapprochement prononcé avec l'Union Européenne, à l'opposé d'une aventure expansionniste outrancière.

Et c'est précisément Fethullah Gülen qui a été dénoncé par Recep Tayyip Erdoğan comme à l'origine de la tentative de putsch de 15 juillet 2016.

C'est donc le dernier avatar de l’État profond que tente de liquider Recep Tayyip Erdoğan, au profit d'un État moderne, conservant toujours sa base semi-féodale semi-coloniale et avec l'Islam sunnite comme force d'encadrement et d'unification sociale, mais capable d'une perspective expansionniste unilatérale. C'est un pas en avant dans la guerre que réalise ainsi Recep Tayyip Erdoğan.

Quant à l'extrême-gauche turque, elle s'est faite laminer au cours de ce processus de « modernisation ». La quasi totalité des organisations révolutionnaires s'est entièrement mise à la remorque du PKK, qui comme on le sait pourtant ne suit que ses propres intérêts.

Un regroupement a même été fondé, le Halkların Birleşik Devrim Hareketi – Mouvement Révolutionnaire d'Unité Populaire, regroupant notamment des structures pro-albanaises (MLKP, TIKB et une de ses scissions le DKP), « léninistes » (THKP-C/MLSPB, TKEP-L, PDK), se revendiquant du maoïsme (TKP/ML, MKP) s'alliant en tant que tel au PKK.

C'est l'expression d'une capitulation de l'extrême-gauche à mener une politique autonome vis-à-vis du PKK, à part pour le DHKP/C qui a les moyens de son indépendance de par sa large base, mais qui se contente de considérer que l’État turc est dominé par une « oligarchie » au service unique de l'impérialisme américain.

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