Marine Le Pen agresse Baudelaire et le taxe de "drogué syphilitique"
Submitted by Anonyme (non vérifié)« Heureux celui qui peut d'une aile vigoureuse
S'élancer vers les champs lumineux et sereins ;
Celui dont les pensers, comme des alouettes,
Vers les cieux le matin prennent un libre essor,
- Qui plane sur la vie, et comprend sans effort
Le langage des fleurs et des choses muettes ! »Baudelaire, Elévation
Revenons ici sur un épisode marquant pour la culture française. Lors d'un meeting de Marine Le Pen à Lille à la mi-février 2012, Jean-Marie Le Pen a défendu sa fille en citant un poème du collabo Robert Brasillach, qui sera fusillé à la Libération.
Mais Jean-Marie Le Pen ne nous intéresse pas ici. Voici, de manière bien plus moderne, ce qu'a dit Marine Le Pen pour défendre les propos de son père.
« Je cite Marx, je ne suis pas marxiste. J'ai cité Robespierre au (discours du) 1er mai et je ne suis pas une révolutionnaire sanguinaire. »
« Je pense que dans notre civilisation éduquée, on a toujours su faire la différence entre l'homme et l'œuvre. »
La dernière phrase est révélatrice de la schizophrénie française, mais ce faisant elle agresse l'un des plus grands artistes de la culture française, Baudelaire, en expliquant :
« Le livre sur ma table de chevet, ce sont les 'Fleurs du mal' de Baudelaire et je ne suis pas une droguée syphilitique. »
Cette phrase est d'une barbarie sans nom ; elle est une insulte fondamentale à la culture française. Les romantiques étaient des idéalistes, mais ils avaient comme but de stopper la schizophrénie entre vie privée et vie sociale. Et si Baudelaire était un « dandy » ou voulait en être un, sa vie privée ne se résumait certainement pas à être un « drogué syphilitique. »
Oser parler de Baudelaire, de quelque manière que ce soit, comme d'un « drogué syphilitique », est insultant et la négation de la dignité humaine. On retrouve là d'ailleurs une posture traditionnelle du fascisme par rapport aux « malades », « déviants », etc.
Peut-on séparer les œuvres de Baudelaire de sa vie privée ? Non, on ne le peut pas. A moins de faire comme Marine Le Pen et de résumer Baudelaire aux « Fleurs du mal » et de nier le reste de ses œuvres, où l'on voit un Baudelaire journaliste, écrivain, critique d'art avisé, partant d'intuitions fulgurantes et brillantes.
Nous ne reviendrons pas sur la question des drogues, nous avons déjà expliqué que Baudelaire n'était pas du tout un individu consommant du haschisch et « planant. » (voir l'article: Le romantisme en France, quatrième partie: le vin et le haschisch). Baudelaire cherchait l'idéal, et rien que pour cela, même si sa quête était idéaliste, Marine Le Pen l'insulte.
Elle insulte la sensibilité, et voici bien plus comment il faut considérer Baudelaire, tel que lui-même se concevait dans ses journaux intimes :
« Tout enfant, j'ai senti dans mon cœur deux sentiments contradictoires, l'horreur de la vie et l'extase de la vie. C'est bien le fait d'un paresseux nerveux. »
Une contradiction ? Voilà qui nous intéresse, en tant que maoïstes. Et Baudelaire la voyait, même s'il n'a pu la dépasser, et arriver à cet objectif qui sera celui de la littérature dans le socialisme :
« Quel est celui d'entre nous qui n'a pas, dans ses jours d'ambition, rêvé le miracle d'une prose poétique, musicale sans rythme et sans rime, assez souple et assez heurtée pour s'adapter aux mouvements lyriques de l'âme, aux ondulations de la rêverie, aux soubresauts de la conscience ?
C'est surtout de la fréquentation des villes énormes, c'est du croisement de leurs innombrables rapports que naît cet idéal obsédant. »
Car ce que cherchait Baudelaire, c'était la nature ; or, il a effectué sa recherche au moment où les villes engloutissent les campagnes, toujours plus. Sans doute faut-il voir ici l'aspect positif de Baudelaire, Verlaine, Rimbaud. Leur dandysme est insupportable, leur individualisme absurde, mais leur sensibilité et leur quête de douce nature quelque chose qui est juste.
Comment oser, après, oser parler de « drogué syphilitique », sans être barbare ? Faut-il que Marine Le Pen ait décidé de donner raison à Baudelaire, lorsqu'il compare le poète à l'albatros : volant au plus haut, mais méprisé par la société ?
« Le poète est semblable au prince des nuées
Qui hante la tempête et se rit de l'archer;
Exilé sur le sol au milieu des huées,
Ses ailes de géant l'empêchent de marcher. »
Nous ne sommes pourtant plus au 19ème siècle, ou pourtant si nous y sommes de nouveau, car si l'école bourgeoise a fait pendant quelques décennies semblant de reconnaître de la valeur à la littérature, à la poésie, à la culture, elle est vite passé dans la reconnaissance de la décadence, du nihilisme, des Ionesco, Camus, Beckett.
Et même Baudelaire se voit interprété comme un simple type triste à mourir, empli de spleen et consommant des drogues. Marine Le Pen montre ici qu'elle est le fruit de cette idéologie décadente ; elle prétend défendre la France, mais c'est la France bourgeoise, conservatrice et décadente dans un paradoxe insupportable, et pas la France de la culture en mouvement, la France en voie vers le socialisme et par là vers la fusion avec les autres cultures en une culture planétaire où, de droit, Baudelaire aura sa place comme grande expression d'une époque et d'un moment historique.
Il y a de quoi se poser des questions quand on voit qu'une femme politique peut, au début du 20ème siècle, insulter de la sorte un poète capable d'une phrase simple et pourtant d'un grand lyrisme comme « Homme libre, toujours tu chériras la mer ! »
Ou plutôt, de comprendre que le personne politique français est en décadence totale, parallèlement à la société bourgeoise. On est loin de Pompidou et l'art moderne ou de Mitterrand et la littérature ; les deux étaient bourgeois et soutenaient des tendances bourgeoises, mais leur culture était réelle.
Alors que là, il n'y a plus rien, car on peut bien s'imaginer que Sarkozy, Hollande, Mélenchon ou Joly ne sont pas plus proches de la culture. Cela rappelle l'importance du mot d'ordre : socialisme ou retombée dans la barbarie.
La bourgeoisie décade, elle entend imposer la barbarie. C'est à la classe ouvrière d'assumer le sort de la culture !