15 sep 2012

New Order, Thiéfaine et Patti Smith à la fête de l'huma : c'est le clair de lune qu'on assassine

Submitted by Anonyme (non vérifié)

C'est une impression amère qui ne peut que ressortir de l'étrange panorama des têtes d'affiches de la fête de l'humanité, aujourd'hui et demain en banlieue parisienne. Car il s'agit d'artistes possédant une démarche totalement intimiste, non-commerciale jusqu'à une certaine forme de repli quasi absolu, que l'on pourrait appeler, de manière impropre et erroné, de « l'autisme. »

Tant New Order que Thiéfaine ou Patti Smith sont des grandes figures romantiques du début des années 1980, plongées corps et âmes dans leur démarche artistique et ne prêtant pas attention au reste.

Ni Thiéfaine ni New Order ne construisaient leurs œuvres sur des bases commerciales ; les interviews étaient pratiquement impossibles et de toutes manières, leur public se voulait impérativement en-dehors des circuits commerciaux.

Ce qui n'a jamais empêche Thiéfaine d'être porté par la jeunesse pour sa poésie rock déjantée dépressive et de remplir les salles sans souci, témoignage culturel du vide des années Mitterrand.

Quant à NewOrder, leur look passe-partout allait de pair avec une recherche esthétique musicale très avancée, combinée à des pochettes d'un grand design et anti-commerciales (pas de nom de groupe ni d'album sur la couverture, allusion par un code couleur à la composition chimique de l'ecstasy, etc.).

La chanson « confusion » a un clip montrant la réalité prolétarienne de la disco et la chanson « Blue Monday » est un moment clef de la musique électronique.

De plus, la poésie était un élément central : Thiéfaine met au centre sa sensibilité par l'intermédiaire d'un discours décadent post-Baudelaire, alors que New Order exprime en métaphores les souffrances psychologiques dues à des couples où un amour corrompu amène une personne à avaler, à accumuler l'autre, à la « subsumer. »

Ce qui nous amène à Patti Smith, poète intimiste, ce qui ne veut nullement dire qu'il n'y a pas de dimension populaire, comme le montre son magnifique « People have the power », chanson magistrale où il est dit que le peuple peut mettre de côté les menteurs et absolument tout faire.

Et là, nous rejoignons la fête de l'humanité, qui n'est plus qu'un rassemblement syndicaliste encadré par TF1 et les merguez, bien loin même du début des années 1980 où on ne pouvait pas faire littéralement un mètre et demi sans être alpagué par une personne proposant, exigeant l'adhésion au « Parti » ou bien aux JC, acte militant et utopiste portant de la valeur, malgré les carences complètes, déjà bien sûr, du parti « communiste » français.

Qu'est-ce que cela nous dit ? Déjà, mais on le savait, que New Order et Thiéfaine ont totalement décadés et se sont vendus, afin d'être « enfin » reconnus et de faire que leur musique initialement froide réchauffe tout de même leur portefeuille.

Thiéfaine est ravi d'avoir reçu un « victoire de la musique » et propose même une version collector de son live sortant en octobre 2012.

Que la jeunesse n'a pas de tonus et va s'extasier devant Patti Smith, dont l'album « Horses » date de 1975 ! Ce qui ramène à l'article Pourquoi la jeunesse, tournée vers le passé, n'a-t-elle pas trouvé le magnifique Nick Drake ?

Mais surtout, que la grande contradiction entre intimisme et révolution n'a pas été comblé. Il faut relire Stello d'Alfred de Vigny pour comprendre le problème de fond, la question de la contradiction entre l'ordre social et l'individu.

En proposant Patti Smith, New Order et Thiéfaine, la fête de l'huma prône le conformisme, ou plutôt un anti-conformisme conformiste, sans tourments, sans complications, sans contradictions. C'est le clair de lune qu'on assassine !

Mais sans contradictions il n'y a pas de vie, et des artistes qui n'explosent pas dans leur vie ne nous exposent rien. Il n'y a pas de feu, il n'y a pas d'utopie, il n'y a pas de reproches assez brûlants pour affronter la société toute entière. Alors que nous vivons une époque de feu !

Et le fameux Pete Doherty, présent également à la fête de l'huma, aura donc échoué dans sa quête poétique : il n'est plus qu'un bobo amusant la galerie commerciale à jouer les faux Rimbaud !

« Or, il faut le dire hautement, depuis ce matin j’ai le spleen, et un tel spleen, que tout ce que je vois, depuis qu’on m’a laissé seul, m’est en dégoût profond.

J’ai le soleil en haine et la pluie en horreur. Le soleil est si pompeux, aux yeux fatigués d’un malade, qu’il semble un insolent parvenu ; et la pluie ! ah ! de tous les fléaux qui tombent du ciel, c’est le pire à mon sens.

Je crois que je vais aujourd’hui l’accuser de ce que j’éprouve. Quelle forme symbolique pourrais-je donner jamais à cette incroyable souffrance ?

Ah ! j’y entrevois quelque possibilité, grâce à un savant. Honneur soit rendu au bon docteur Gall (pauvre crâne que j’ai connu) !

Il a si bien numéroté toutes les formes de la tête humaine, que l’on peut se reconnaître sur cette carte comme sur celle des départements, et que nous ne recevrons pas un coup sur le crâne sans savoir avec précision quelle faculté est menacée dans notre intelligence.

« Eh bien, mon ami, sachez donc qu’à cette heure où une affliction secrète a tourmenté cruellement mon âme, je sens autour de mes cheveux tous les Diables de la migraine qui sont à l’ouvrage sur mon crâne pour le fendre ; ils y font l’œuvre d’Annibal aux Alpes.

Vous ne les pouvez voir, vous : plût aux docteurs que je fusse de même !

Il y a un Farfadet, grand comme un moucheron, tout frêle et tout noir, qui tient une scie d’une longueur démesurée et l’a enfoncée plus d’à moitié sur mon front ;

il suit une ligne oblique qui va de la protubérance de l’Idéalité, n° 19, jusqu’à celle de la Mélodie, au-devant de l’œil gauche, n° 32 ;

et là, dans l’angle du sourcil, près de la bosse de l’Ordre, sont blottis cinq Diablotins, entassés l’un sur l’autre comme de petites sangsues, et suspendus à l’extrémité de la scie pour qu’elle s’enfonce plus avant dans ma tête ;

deux d’entre eux sont chargés de verser, dans la raie imperceptible qu’y fait leur lame dentelée, une huile bouillante qui flambe comme du punch et qui n’est pas merveilleusement douce à sentir.

Je sens un autre petit Démon enragé qui me ferait crier, si ce n’était la continuelle et insupportable habitude de politesse que vous me savez.

Celui-ci a élu son domicile, en roi absolu, sur la bosse énorme de la Bienveillance, tout au sommet du crâne ; il s’est assis, sachant devoir travailler longtemps ; il a une vrille entre ses petits bras, et la fait tourner avec une agilité si surprenante que vous me la verrez tout à l’heure sortir par le menton.

Il y a deux Gnomes d’une petitesse imperceptible à tous les yeux, même au microscope que vous pourriez supposer tenu par un ciron ; et ces deux-là sont mes plus acharnés et mes plus rudes ennemis ; ils ont établi un coin de fer tout au beau milieu de la protubérance dite du Merveilleux : l’un tient le coin en attitude perpendiculaire, et s’emploie à l’enfoncer de l’épaule, de la tête et des bras ;

l’autre, armé d’un marteau gigantesque, frappe dessus, comme sur une enclume, à tour de bras, à grands efforts de reins, à grand écartèlement des deux jambes, se renversant pour éclater de rire à chaque coup qu’il donne sur le coin impitoyable ;

chacun de ces coups fait dans ma cervelle le bruit de cinq cent quatre-vingt-quatorze canons en batterie tirant à la fois sur cinq cent quatre-vingt-quatorze mille hommes qui les attaquent au pas de charge et au bruit des fusils, des tambours et des tam-tams.

 

A chaque coup mes yeux se ferment, mes oreilles tremblent, et la plante de mes pieds frémit. — Hélas ! hélas ! mon Dieu, pourquoi avez-vous permis à ces petits monstres de s’attaquer à cette bosse du Merveilleux ?

C’était la plus grosse sur toute ma tête, et celle qui me fit faire quelques poèmes qui m’élevaient l’âme vers le ciel inconnu, comme aussi toutes mes plus chères et secrètes folies.

S’ils la détruisent, que me restera-t-il en ce monde ténébreux ? Cette protubérance toute divine me donna toujours d’ineffables consolations.

Elle est comme un petit dôme sous lequel va se blottir mon âme pour se contempler et se connaître, s’il se peut, pour gémir et pour prier, pour s’éblouir intérieurement avec des tableaux purs comme ceux de Raphaël au nom d’ange, colorés comme ceux de Rubens au nom rougissant (miraculeuse rencontre !).

C’était là que mon âme apaisée trouvait mille poétiques illusions dont je traçais de mon mieux le souvenir sur du papier, et voilà que cet asile est encore attaqué par ces infernales et invisibles puissances !

Redoutables enfants du chagrin, que vous ai-je fait ? — Laissez-moi, Démons glacés et agiles, qui courez sur chacun de mes nerfs en le refroidissant et glissez sur cette corde comme d’habiles danseurs !

Ah ! mon ami, si vous pouviez voir sur ma tête ces impitoyables Farfadets, vous concevriez à peine qu’il me soit possible de supporter la vie.

Tenez, les voilà tous à présent réunis, amoncelés, accumulés sur la bosse de l’Espérance. Qu’il y a longtemps qu’ils travaillent et labourent cette montagne, jetant au vent ce qu’ils en arrachent !

Hélas ! mon ami, ils en ont fait une vallée si creuse, que vous y logeriez la main tout entière. »

En prononçant ces dernières paroles, Stello baissa la tête et la mit dans ses deux mains. Il se tut, et soupira profondément.

Le Docteur demeura aussi froid que peut l’être la statue du Czar en hiver, à Saint-Pétersbourg, et dit :

« Vous avez les Diables bleus, maladie qui s’appelle en anglais Blue devils. »

Alfred de Vigny, Stello, II Symptômes

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