12 mai 2013

L'âge roman - 3ème partie : naissance de l'art roman comme nouveau christianisme

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L'art roman est donc l'idéologie propre à une époque, époque caractérisée par l'intégration de l'appareil du clergé dans le nouvel État fondé sur l'aristocratie.

Cependant, le clergé avait déjà une existence en tant que telle, et une idéologie, consistant en le « monachisme » (du terme « moine ») ; dans les siècles précédents la formation d'un État véritable, le clergé vivait à l'écart du monde. Il était à l'écart du monde, cherchant un appui dans la population, sans se mêler véritablement du cours des choses.

Il existait des monastères, mais ils étaient composés de laïcs et formaient une sorte d'intermédiaire ermite entre les laïcs et le clergé, qui entendait se préserver le plus possible de la société.

Le monde était divisé, pour le christianisme, entre les laïcs dans le monde matériel d'un côté et, de l'autre, le clergé « purement » tourné vers la spiritualité.

Par conséquent, l'idéologie de ce qu'on peut appeler « l'âge roman » renverse cette culture et combat le monachisme. Une grande figure idéologique est ici Adalbéron de Laon (mort en 1030 ou 1031).

Adalbéron de Laon a en effet théorisé dans son Poème au roi Robert la conception d'une société divisée en trois corporations intimement liées.

Cette théorie des « ordines » considère qu'il existe des « oratores » (ceux qui prient), des pugnatores (ceux qui combattent) et des laboratores (ceux qui travaillent).

C'est une conception qui est le fruit direct de la formation du nouvel Etat, par les conquérants Francs récupérant le clergé et entendant « sacraliser » la domination sur les paysans, réduits au servage.

Il ne s'agit par conséquent pas du tout d'un « schéma mental » propre aux « Indo-européens » comme l'a imaginé le théoricien d'extrême-droite Georges Dumézil (le concept est connu comme les « fonctions tripartites indo-européennes »).

Il fallait donc, par conséquent, que les monastères soient arrachés au repli social et soient directement mis en liaison avec l'aristocratie. C'est cette réorganisation qui va impulser l'art roman.

L'étape significative va être l'établissement de monastères soutenus par le régime et disposant de lopins de terre. La vie monacale ne va ainsi plus être un prolongement ermite des débuts du christianisme, comme elle l'était jusqu'au 9ème siècle, mais un moyen de participer à la société, de diffuser l'idéologie.

C'est cela qui a nécessité l'art roman, et qui va faire que l'époque de la « renaissance carolingienne » est marquée par la construction de 400 monastères, 27 cathédrales, 100 palais.

Les monastères vont donc être de véritables « bases » culturelles-idéologiques du régime.

Les futurs moines d'ailleurs, pour les rejoindre, doivent offrir des terres, ce qui présupposait la possession de terres et ainsi une appartenance à l'aristocratie. Les nouveaux monastères sont l'expression même de l'assimilation du clergé par l'aristocratie.

Ce n'est pas tout : il fallait bien entendu assimiler les anciens monastères. Cela a été permis par une autonomie relative, puis pratiquement complète, du clergé par rapport à l'aristocratie.

Là est le paradoxe : l'aristocratie a infiltré la direction du clergé, mais pour que tout le clergé soit assimilé, il fallait que la nouvelle direction ait les mains libres. Une fois qu'elle les avait, et disposant en plus de terres, sans compter l'origine aristocratique des nouveaux dirigeants, alors il n'y avait plus de raison de se soumettre.

Adalbéron de Laon avait ainsi théorisé une conception des trois ordres fonctionnant « par le haut » ; en réalité, cette vision idéaliste et corporatiste ne pouvait exister en raison des contradictions existantes, tant entre les serfs et les classes dominantes, qu'au sein des classes dominantes elles-mêmes.

Ainsi, l’ordre de Cluny est formé par Guillaume Ier, duc d'Aquitaine et profite d'une protection papale le mettant à l'abri de toute intervention extérieure. Le monastère de Cluny a sa propre monnaie, possède des écoles, et commence à intégrer d'autres monastères dans une sorte de « réseau » dirigé par l'abbé de Cluny. Il deviendra vite une véritable abbaye (elle sera détruite lors de la révolution française).

Le quatrième abbé, Mayeul, un grand aristocrate et qui deviendra même un « saint », deviendra même « l'arbitre des rois » de par la force du réseau de l'ordre de Cluny.

Le cinquième abbé, Odilon de Mercœur qui succède donc à Mayeul, va par la suite continuer le renforcement de l'ordre, en organisant notamment la vocation des cadets de grandes familles, tissant des liens encore plus forts entre clergé et aristocratie.

Ce sont pas moins de 2000 prieurés (monastères soumis à une abbaye) que contrôle Cluny au 12ème siècle.

Et fort logiquement, Cluny joua un rôle contre la simonie (achat de postes dans le clergé par l'aristocratie) et le nicolaïsme (le refus du mariage des prêtres, alors possible pour les ordres mineurs et plus ou moins possible pour les autres si le mariage avait été réalisé avant la promotion).

C'est-à-dire que le célibat des prêtres se produit au 11ème siècle, comme conséquence de l'effort d'indépendance du clergé par rapport à l'aristocratie. L'art roman n'est pas que l'art de l'aristocratie intégrant le clergé, il est aussi celui du clergé issu de l'aristocratie et conquérant son indépendance par rapport à l'aristocratie. Il y a là un mouvement dialectique au coeur de l'art roman, de ses valeurs, de son esthétique.

Nous verrons par la suite que l'ordre cistercien aura avec l'art gothique un rapport similaire à celui de l'ordre de Cluny avec l'art roman.