14 fév 2018

L'Algérie française - 6e partie : le djihad du Front de Libération Nationale

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La répression sanglante de Sétif marqua la fin de toute une époque : l'Étoile nord-africaine de Messali Hadj avait été incapable de promouvoir un nationalisme franc suffisamment satisfaisant pour le féodalisme, le « Manifeste » de Ferhat Abbas avait généré un positionnement ultra exprimant directement l'approche féodale, mais échouant totalement.

Le résultat fut la montée en puissance du fondamentalisme de type salafiste, avec l'association des oulémas musulmans algériens partisane d'en revenir aux théologies du 15e siècle, tout en jouant relativement sur la question nationale, comme en témoigne leur mot d'ordre :

« L'islam est notre religion, l'arabe est notre langue et l'Algérie est notre pays. »

En 1946, Messali Hadj tenta de reprendre la main avec un Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques, Ferhat Abbas avec l'Union démocratique du manifeste algérien.

Toutefois, les perspectives n'existaient plus, de nombreuses fractions se formèrent, notamment une qui quitta le mouvement de Messali Hadj, surtout à partir de l'Organisation Spéciale qui était sa structure armée clandestine.

Ce processus aboutit à la naissance du Comité révolutionnaire d'unité et d'action, avec six chefs historiques : Rabah Bitat, Mostefa Ben Boulaïd, Didouche Mourad, Mohamed Boudiaf, Krim Belkacem et Larbi Ben M'hidi.

Le seul dénominateur commun qui ressortit fut le mot d'ordre « allumer la mèche », la seule méthode la lutte armée. Mais il existait également un état d'esprit, dont l'exemple le plus parlant est que la lancement de la lutte armée vit comme date choisie la Toussaint, la fête des morts chez les catholiques.

Le choix était celui du terrorisme, de la lutte armée comme soulèvement général sans autre perspective que générer un tel climat de tension que la France serait obligée de quitter l'Algérie. Le nom choisi pour ce combat était simple : Front de Libération Nationale (FLN), lancé dans un appel dans un tract avant le lancement des actions de la Toussaint.

Il n'y avait aucune valeur idéologique à part les acquis du fondamentalisme développé jusque-là, aucune analyse de classe, aucune réflexion sur les questions kabyle et juive ; est très révélateur justement le titre choisi pour l'organe revue du mouvement : « El Moudjahid », c'est-à-dire le combattant du djihad.

On peut y lire cette conception totalement fictive, relevant du fondamentalisme :

« L'Algérie était en 1830 un État administrativement et judiciairement organisé, bien délimité, souverain, ayant une vie nationale et internationale.

Cela est si vrai que c'est avec l'autorité agissant au nom de l'intégralité du territoire algérien que la France a traité la reddition d'Alger (…).

L'Algérie indépendante jouissait d'institutions civiles et administratives régulières et d'un gouvernement central dont le despotisme était tempéré par une certaine autonomie régionale (…).

L’État national et populaire, issu de la résistance à la conquête française, devait, sous l'égide de l'Emir Abd El Kader, répondre à ces aspirations nouvelles (…).

A propos d'un prétendu antagonisme arabo-berbère (…), la fusion des deux peuples a été le résultat d'une conquête morale, d'une libre adhésion des Berbères à l'Islam et à l'Arabisme, ouvrant de larges perspectives à leurs aspirations les plus profondes. »

Le très religieux Mouloud Kacem Naït Belkacem explique ainsi qu'en 1830 l'Algérie aurait été une « superpuissance ».

Mais, cette fois, en plus de la fiction, on a la dimension tiers-mondiste, c'est-à-dire que le combat fondamentaliste est placée dans le contexte où émerge le concept de tiers-monde, de troisième monde.

C'est un dépassement « tiers-mondiste » de l'Étoile nord-africaine de Messali Hadj et du « Manifeste » de Ferhat Abbas ; pour cette raison, pratiquement la moitié des articles de l'organe de presse « El Moudjahid » traitait de l'internationalisation de la question algérienne.

Les forces féodales, totalement bloquées et sans perspective, étaient récupérées par des éléments urbains : on a alors un nationalisme porté par le féodalisme, mais également par des couches urbanisées, c'est-à-dire les cadres dirigeants du FLN largement influencées par la culture française, l'arabe n'étant même pas forcément maîtrisé.

L'Algérie était présentée comme une nation s'éveillant, se « libérant » ; il n'y a pas de révolution démocratique, mais une « guerre de libération », sur un mode entièrement nouveau, notamment théorisé par le psychiatre martiniquais Frantz Fanon, justifiant toutes les violences comme une sorte de juste recours du colonisé.

Frantz Fanon n'est ici pas pour rien un proche d'Ali Shariati, théoricien iranien anti-occidental valorisant l'Islam et pavant la voie à la « révolution islamique » de l'imam Khomeini. Frantz Fanon lui-même, dans une lettre à Ali Sharati, affirma que : 

« L’islam a plus que toutes les autres puissances sociales et alternatives idéologiques, la capacité anticolonialiste et le caractère antioccidental ».

L'Islam ne serait qu'une forme, l'anti-colonialisme le contenu, toute la question étant une bataille contre le statut matériel et moral d'inférieur.

Voici quelques exemples significatifs de comment, dans son ouvrage de 1959, Sociologie d’une révolution (L’an V de la révolution algérienne), publié aux éditions gauchistes Maspéro, Frantz Fanon développa une thématique nationale-révolutionnaire, présentant l'affrontement avec le colonialisme comme une question psychiatrique entre le colonisé et le colonisateur.

« La Nation algérienne n’est plus dans un ciel futur. Elle n’est plus le produit d’imaginations fumeuses et pétries de phantasmes. Elle est au centre même de l’homme nouveau algérien. Il y a une nouvelle nature de l’homme algérien, une nouvelle dimension à son existence (…).

C’est après le Congrès de la Soummam, en août 1956, que les Français prennent conscience de ce phénomène. On se souvient qu’à cette occasion, les responsables politiques et militaires de la Révolution, se réunirent dans la vallée de la Soummam, précisément dans le secteur de Amirouche, alors Commandant, pour jeter les bases doctrinales de la lutte et constituer le Conseil national de la Révolution algérienne (C.N.R.A.).

Le fait que les travaux se soient déroulés en français révé-lait soudain aux forces d’occupation, que la réticence générale traditionnelle de l’Algérien à utiliser le français au sein de la situation coloniale, pouvait ne plus exister, dès lors qu’une confrontation décisive jetait face à face la volonté d’indépendance nationale du peuple et la puissance dominante (…).

Le 1er novembre 1954, la Révolution repose tous les problèmes : ceux du colonialisme, mais également ceux de la société colonisée.

La société colonisée s’aperçoit que pour mener à terme l’œuvre gigantesque dans laquelle elle s’est jetée, pour vaincre le colonialisme et pour réaliser la Nation algérienne, il lui faut faire un effort immense sur elle-même, tendre toutes ses articulations, renouveler son sang et son âme.

Le peuple comprend, au cours des multiples épisodes de la guerre, que s’il veut donner vie à un nouveau monde, il lui faut créer de toutes pièces une nouvelle société algérienne (…).

En règle générale, le mariage est décidé en Algérie par les familles. Presque toujours, c’est à l’occasion du mariage que le mari voit le visage de sa femme. Les raisons sociales et économiques de cette tradition sont suffisamment connues pour que nous n’y revenions pas.

Le mariage dans les pays sous-développés n’est pas un contrat individuel, mais un contrat de clan à clan, de tribu à tribu, de famille à famille... Avec la Révolution, les choses vont insensiblement se modifier (…).

Le colonisé qui se montre réticent devant l’hospitalisation ne le fait pas à partir de valeurs homogènes telles que la peur de la ville, la peur de l’éloignement, celle de ne plus être protégé par la maison familiale, la peur que l’entourage ne raconte qu’on a envoyé le malade mourir à l’hôpital, qu’on s’est débarrassé d’un fardeau.

Le colonisé ne refuse pas seulement d’envoyer le malade à l’hôpital, mais de l’envoyer à l’hôpital des blancs, ou des étrangers, du conquérant en tout cas. Il faut, patiemment mais lucidement, analyser chacune des réactions du colonisé et chaque fois que l’on ne comprend pas, il faut se dire qu’on est au cœur d’un drame, celui de la rencontre impossible dans toute situation coloniale. »