14 Jan 2015

Une de Charlie Hebdo : le sens humaniste de la question de la représentation de Mahomet

Submitted by Anonyme (non vérifié)

Charlie Hebdo sort aujourd'hui son nouveau numéro, à trois millions d'exemplaires, alors que sa rédaction a été pratiquement anéantie lors de l'attaque par des islamistes il y a une semaine. C'est une volonté d'aller de l'avant, dans la continuité du passé, comme le prouve la couverture, avec un personnage censé représenter Mahomet, qui tient une pancarte « Je suis Charlie », le mot « pardonné » étant inscrit à l'arrière-plan.

Il y a là quelque chose de profondément, si ce n'est stupide, au moins malsain. Surtout alors que des franges racistes radicales mènent depuis plusieurs jours des provocations et des attentats contre des mosquées, tentant de briser le refus par la société française de basculer dans le racisme ou la guerre de religion.

Les rassemblements massifs se sont faits autour du thème de l'unité populaire, avec bien entendu une récupération par le régime, mais clairement une dimension progressiste, et au lieu d'appuyer cela, Charlie Hebdo en reste à sa démarche faussement irrévérencieuse et passant totalement à côté de la critique réelle de la religion.

Car les athées – encore faut-il que Charlie Hebdo en soit, d'ailleurs - ne devraient pas se moquer de Moïse, Jésus et Mahomet. Si l'on doit se moquer de quelque chose, alors des rabbins, des curés, des imams. De manière rationnelle, il faut critiquer la base de la religion, ses fondements erronés.

Cependant, il est erroné d'attaquer Moïse, Jésus et Mahomet. Se moquer d'eux, ce n'est pas se moquer de la religion, ni du concept de Dieu, comme on pourrait le penser. Se moquer d'eux, quand on est athée, n'a justement pas de sens, parce que se moquer de Moïse, Jésus et Mahomet, c'est se moquer de l'humanité.

C'est là précisément l'enseignement de Ludwig Feuerbach et le sens des fameuses paroles de Karl Marx sur la religion comme opium du peuple, comme refuge et protestation spirituels par rapport au monde matériel.

Quand on est athée, on ne considère ainsi pas que la religion soit une simple aberration, mais bien un miroir déformé où l'humanité se parle à elle-même en utilisant le concept de Dieu.

Moïse, Jésus et Mahomet sont donc des figures pleines de dignité pour l'humanité. Symboliquement, Moïse et Mahomet sont des humains tellement dignes que Dieu se penche vers eux, accordant de ce fait une attention particulière à l'humanité, à sa meilleure partie que ce sont ces individus.

La figure de Jésus, notamment dans son interprétation protestante, est encore plus grande sur le plan de la dignité humaine, puisque Dieu se fait être humain, ce qui est une reconnaissance du caractère divin de l'être humain lui-même, au moins en partie.

Avec Moïse, Jésus et Mahomet, on a des figures humaines, sur qui se penche Dieu, et comme quand on est athée on ne croit pas que Dieu existe, alors on comprend que l'humanité se parle à elle-même, se reconnaît elle-même, se valorise elle-même dans ce qu'elle a de meilleur.

Historiquement, l'humanité utilise beaucoup de personnes pour cela, c'est ce que le matérialisme dialectique appelle le principe de la « Pensée » : la pensée conforme à la réalité reflète de manière adéquate celle-ci, et c'est un guide pour l'action, comme avec Lénine en Russie et Mao en Chine, par exemple, qui ont formé une Pensée, qui pouvait être reprise comme modèle dans ces pays, car répondant aux exigences de l'époque.

Moïse, Jésus et Mahomet ont été pareillement des figures révolutionnaires, des personnages-clefs de peuples prenant conscience d'eux-même par leur intermédiaire. Bien entendu, il est parlé ici des personnages historiques, pas des Moïse, Jésus et Mahomet en tant que figures reprises, avec un contenu déformé, par la suite.

Il faut ici bien distinguer les religions dans leur message originel et la structure organisée. Rappelons ici que le judaïsme ce n'est pas la Bible juive, mais la Bible juive et le Talmud, que le catholicisme ce n'est pas la Bible catholique, mais la Bible catholique et le catéchisme du Vatican, que l'Islam ce n'est pas le Coran, mais le Coran et les hadiths (les paroles rapportées de Mahomet).

La religion est un miroir déformé pour une idéologie permettant un saut qualitatif, avec une dimension universelle plus ou moins grande.

Si le Bouddha agissait dans un endroit précis, le saut qu'il affirmait possédait une dimension universelle, qui a pu être reprise ailleurs.

Il en va de même avec Jésus, rebelle juif anti-romain transformé en messager universel, ou encore de Mahomet, unificateur des tribus arabes transformé en symbole de civilisation dépassant le tribalisme. Pareillement, Moïse est passé de chef des Hébreux à porteur de l'affirmation de l'universalité de la loi comme fondement de toute société.

Si donc on peut et on doit se moquer du clergé, si l'on doit attaquer les fondements idéalistes de la religion, la une de Charlie Hebdo, comme toutes les caricatures de Moïse, Jésus et Mahomet, est erronée, car n'attaquant pas Dieu ou la religion, mais l'humanité en quête d'elle-même.

Charlie Hebdo, au lieu de se moquer de Mahomet, aurait mieux fait de dénoncer les clergés, tout en affirmant le matérialisme, par exemple dans l'histoire islamique avec Avicenne et Averroès, qui ont fourni la base pour l'humanisme en Europe.

Mais cette histoire, Charlie Hebdo ne peut pas la raconter, il est vrai : c'est aux communistes, avec le matérialisme dialectique, de le faire. C'est ce que fait lesmaterialistes.com.

Les grandes questions: