29 avr 1927

AUX COMMUNISTES

Submitted by Anonyme (non vérifié)

Camarades,

à peine avons-nous eu le temps de prendre contact avec vous, de dissiper les premières appréhensions que notre adhésion d'intellectuels devait nécessairement vous causer, qu'à nouveau nous voici contraints de nous expliquer sur un terrain qui n'est pas le vôtre, et cela si nous ne voulons pas laisser fausser le sens de cette adhésion. La plupart d'entre vous contesteraient sans doute l'utilité de ces explications, d'autant qu'à la fois elles nous obligent à mettre en cause certains de nos camarades et des tiers.

C'est pourtant à cette condition et à elle seule que nous pouvons raisonnablement prétendre à votre confiance, espérer que notre geste vers vous n'aura pas été vain. Si vous persistiez à nous tenir rigueur d'une telle attitude, à nous attribuer des mobiles d'ordre personnel en opposition avec les mobiles généraux de votre activité, nous ne pourrions plus nous en remettre qu'au temps de la réparation d'une telle injustice, nous vous demanderions purement et simplement de nous rendre notre parole.

Jamais, nous y insistons de toutes nos forces, nous n'avons songé à nous affirmer devant vous en tant que surréalistes. Inutile de dire que semblable proposition ne résiste pas au plus simple examen. Fort heureusement, nous sommes venus à vous sans aucun point de vue théorique de cet ordre à faire prévaloir. Il serait indigne de vous comme de nous que nous eussions plus longtemps à nous défendre de cette ambition misérable.

L'acharnement des attaques auxquelles nous sommes en butte, la situation exceptionnelle que l'on tend à nous faire en entretenant une confusion grave à propos du surréalisme, donné pour une tendance politique, ce qui est absurde, si ce n'est pour une « marque » entre les mains de quelques habiles réclamiers, ce qui est bas, le peu de cesse que ces manoeuvres nous laissent, ne parviendront pas, camarades, à nous rendre étrangers à vous. A vous les seuls sur qui nous comptions. Avec qui, bon gré, mal gré, nous partagerons intégralement, quoi qu'il arrive, le sens de la réalité révolutionnaire.

On ne saurait, pour de bonnes raisons, à l'intérieur d'un parti révolutionnaire, et tant que la situation n'est pas insurrectionnelle, priver quiconque du droit de critique dans les limites où il peut valablement s'exercer. En ce qui concerne les signataires de ces lignes, il n'est nullement démontré qu'ils manquent de clairvoyance en toutes matières.

Pour peu qu'on leur accorde - et ce n'est pas trop demander - un certain courage et une certaine foi, chacun d'eux, au même titre moral que chacun de vous, représente une force qui n'est pas négligeable et qui attend seulement, pour se faire sentir, qu'on détermine avec un maximum de rigueur son point d'application. A quoi bon nous contraindre à nous exprimer prématurément sur des questions qui, jusqu'ici, n'ont pas été de notre ressort, mais dont nous ne désespérons pas qu'elles le deviennent ?

Débats purement économiques, discussions nécessitant une connaissance profonde de la méthodologie politique, ou encore quelque expérience de la vie syndicale, ce sont là des choses dont nous ne nous désintéressons en rien, mais auxquelles nous ne sommes en rien préparés, si ce n'est par la reconnaissance formelle de leur importance et de leur absolue nécessité révolutionnaire. Par contre, nous sommes, pensons-nous, appelés à juger sans lacune et sans faiblesse de tout ce qui touche, de près ou de loin, la vérité morale que notre Parti est seul à défendre au monde, et qu'il imposera. Dans le cadre de ces revendications précises dont les organes communistes se font l'écho, nous savons reconnaître cette vérité.

Et si nous parlons sans doute un peu lointainement de vérité, croyez que nous ne songeons point à dépouiller ces revendications de leur sens occasionnel : c'est bien dans la réalité que nous vous parlons (A l'origine de la révolte du Cuirassé Potemkine, il nous plaît de reconnaître ce terrible morceau de viande.). Il n'est pas un de ces mots d'ordre dont nous contestions l'opportunité ni la portée :

Défense des salaires.

Respect intégral des huit heures.

Lutte contre le chômage, contre la rationalisation capitaliste et la vie chère.

Amnistie générale et totale !

A bas la loi Paul-Boncour !

A bas la militarisation des syndicats !

Debout contre la guerre impérialiste !

A bas l'intervention en Chine !

Pas un seul de ces mots d'ordre à l'application duquel nous ne demandions à nouveau qu'on nous fasse servir.

Mais nous entendons dire aussi qu'il est pénible que l'organisation du P.C. en France ne lui permette pas de nous utiliser dans une sphère où nous puissions réellement nous rendre utiles et qu'il n'ait été pris d'autre décision à notre égard que de nous signaler un peu partout comme suspects. De là une campagne qui ne fait encore que s'annoncer contre nous, mais qui n'attend pour se faire plus violente qu'une manifestation quelconque de notre présence à l'intérieur du Parti.

On sait assez que, sur d'autres terrains, nous avons toujours accepté la bataille. Celle à quoi l'on veut nous résoudre, étant donné l'impossibilité pour nous de considérer des communistes comme nos adversaires, nous ne pourrons pas la refuser.

Dans ce cas, nous attendrons à regret de meilleurs jours, ceux durant lesquels il faudra bien que la Révolution reconnaisse les siens. Nous laisserons sans mot dire passer dans L'Humanité et ailleurs d'« admirables » nouvelles de M. Blaise Cendrars (« Mon jeune passé sportif saura suffire... Je saute sur mon antagoniste. Je lui porte un coup terrible. La tête est presque décollée. J'ai tué le Boche (Blaise Cendrars : J'ai tué (1919). Cf. aussi La guerre au Luxembourg (1916). »). Mais, n'est-ce pas, Cendrars n'est pas communiste.

Nous laisserons passer dans Le Premier Mai d'aujourd'hui l'ignoble bout de feuilleton intitulé : Devant le Cirque d'Hiver, extrait d'un ouvrage de M. Jules Romains, et qui est un bon devoir de police. Comment peut bien s'étaler un tel jour et à telle place pareille glorification du crime, de la sottise et de la lâcheté ? Au fait, nous venons de recevoir une lettre de M. Jules Romains :

Paris, le 29 avril 1927.

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