13 aoû 2011

Attentats d’Oslo : Pourquoi Anders Breivik cite-t-il l'école de Francfort ? Y a-t-il un rapport avec le féminisme ?

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Dans son manifeste « occidentaliste », Anders Breivik met en avant « l'école de Francfort » comme principal centre idéologique du « marxisme culturel ».

Est-ce vrai ? Non, pas du tout. Mais Breivik ne peut pas reconnaître l'existence d'une idéologie de classe, le marxisme-léninisme-maoïsme. Pour lui, les masses sont « apeurées » et, en fin de compte, seules la bourgeoisie et les classes moyennes sont « intelligentes ».

Le seul marxisme qui pourrait exister est donc le marxisme bourgeois et petit-bourgeois, le « marxisme » universitaire.

Ce « marxisme » universitaire, c'est ce que Breivik définit par l'école de Francfort. Une école née dans les années 1920-1930 en Allemagne, leurs auteurs émigrant aux USA pendant la seconde guerre mondiale – ce qui en dit long sur leur ligne politique, car les USA traquaient alors déjà les marxistes.

Non seulement les auteurs de l'école de Francfort ont été acceptés par les USA, mais les universités américaines les ont accueillis les bras ouverts. Par la suite, c'est l'Allemagne de l'ouest qui les accueillera les bras ouverts. Ils deviendront les théoriciens du 68 allemand.

Le 68 allemand a en effet possédé un caractère idéologique bien plus fort qu'en France. Il y a un aspect positif et un aspect négatif.

L'aspect positif est paradoxal. Car si le point de vue des auteurs de l'école de Francfort est bourgeois, il est bourgeois ultra- démocratique. Dans une Allemagne non dénazifié, et n'ayant pas connu de révolution bourgeoise démocratique comme le 1789 français, c'était « déjà pas mal. »

Horkheimer et Adorno ont ainsi critiqué la « personnalité autoritaire » et Herbert Marcuse a soutenu le principe de l'insurrection contre l'ordre établi.

C'était très important pour un pays où, comme l'Autriche, le nazisme avait une base populaire dans toute une génération. Distribuer des tracts dans un quartier populaire, cela pouvait vite tourner au risque d'attroupement des « gens normaux » insultant les activistes de « fainéants parasitaires » qu'on ferait bien de gazer !

L'aspect négatif a cependant fini par l'emporter. Car l'école de Francfort ne fait pas que combiner de manière anti-marxiste Marx à Freud, affirmant la primauté du désir individuel (et pavant la voie au Queer).

Elle affirme surtout que la société serait devenue « totalitaire », que la dialectique ne fonctionne plus socialement. C'est la « dialectique négative » dans une société post-industrielle de consommation de masse où l'individu serait devenu « unidimensionnel. »

Cette théorie va être assez largement reprise en pratique par la Fraction Armée rouge (RAF), et ce relativement rapidement. Dans cette conception, est prolétaire la personne qui se « révolte. »

La RAF a toujours été contradictoire, oscillant entre une guérilla tournée vers la guerre populaire d'un côté, et de l'autre assumant une démarche de rébellion individuelle face à la société de consommation de masse anéantissant les individus.

Mais revenons en à Breivik. A-t-il raison de donner cette importance à l'école de Francfort?

Absolument pas. En Allemagne, cette importance existe ; une large partie des autonomes se fonde sur cette culture, et de très nombreuses revues culturelles d'extrême-gauche (autonomes ou proches) analysent la culture « pop ».

On est dans un post-marxisme, qui considère que les luttes de classes ne jouent pas car la classe ouvrière préfère le foot et la bière, voire les nazis, etc. Cela est assez particulier à la société allemande (ainsi qu'autrichienne, voire suédoise, danoise ou suisse).

Mais l'école de Francfort ne domine donc que la gauche des universités allemandes, et de son pôle d'irradiation : les pays « germaniques » au sens large.

Marcuse est connu en France, mais pas vraiment lu et personne ne s'en revendique, pareil pour Adorno, Horkheimer ou Fromm.

Seul Wilhelm Reich, dont la démarche est parallèle, est très connu à l'extrême-gauche, son freudo-marxisme ayant été mis en avant par la LCR dans les années 60-70. A cela s'ajoute finalement le situationnisme de Guy Debord, dont la logique revient au même : un individualisme contre « les masses ».

A ceci près donc que la France a donné à cet individualisme une dimension esthétisante et non anti-impérialiste frisant clairement le fascisme.

Et finalement c'est pour cela que Breivik « comprend » si bien l'école de Francfort. Cette « école » prône un individualisme contre ce que vivent les masses, et Breivik fait pareil. Il doit donc critiquer l'école de Francfort, « marxisme » petit-bourgeois au même élitisme qui serait en « concurrence » avec sa vision du monde...

Reste une question d'importance : pourquoi Breivik affirme-t-il que le féminisme et le « marxisme » culturel de l'école de Francfort se nourrissent l'un l'autre?

Justement parce que Breivik veut une révolte individuelle contre les masses sur le mode patriarcal, alors que l'école de Francfort veut une révolte individuelle contre les masses sur le mode « hippie ».

Ici, notons bien que le mouvement hippie a été traversé de part en part par le patriarcat, notamment en ce qui concerne la « liberté » sexuelle. Toutefois, ce qui compte pour Breivik est que l'école de Francfort ne revendique pas le patriarcat en tant que tel.

On a ici l'une des clefs importantes de la différence entre la petite-bourgeoisie fascisante, fascistoïde, fasciste, et la petite-
bourgeoise tendant à l'alliance avec le socialisme, mais avec ses énormes limites de classe.

C'est ici que l'on voit comment la triple oppression a une importance culturelle capitale. C'est principalement par le patriarcat que Breivik assume le fond de sa démarche face à l'école de Francfort, face à ce concurrent également petit-bourgeois .

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