30 mar 2006

Le mouvement anti-CPE passé sous le contrôle des syndicats

Submitted by Anonyme (non vérifié)

« Il ne faudrait pas partager cette conception bornée que la petite-bourgeoisie a pour principe de vouloir faire triompher un intérêt égoïste de classe.
Elle croit au contraire que les conditions particulières de sa libération sont les conditions générales en dehors desquelles la société moderne ne peut être sauvée et la lutte des classes évitée.
Il ne faudrait pas non plus s'imaginer que les représentants démocrates sont tous des shopkeepers (boutiquiers) ou qu'ils s'enthousiasment pour ces derniers.
Ils peuvent, par leur culture et leur situation personelle, être séparés d'eux par un abîme.
Ce qui en fait les représentants de la petite-bourgeoisie, c'est que leur cerveau ne peut dépasser les limites que le petit-bourgeois ne dépasse pas lui-même dans sa vie, et que par conséquent, ils sont théoriquement poussés aux mêmes problèmes et aux mêmes solutions auxquelles leur intérêt matériel et leur situation sociale poussent pratiquement les petits-bourgeois.
Tel est, d'une façon générale, le rapport qui existe entre les représentants politiques et littéraires d'une classe et la classe qu'ils représentent
. »
(Karl Marx, Le 18 Brumaire de Louis-Napoléon Bonaparte)

Le mouvement anti-CPE aurait pu rejoindre le camp de la révolte lancée par la jeunesse populaire en novembre 2005. Mais tel n'a pas été le cas.

Le mouvement a refusé de considérer l'Etat comme un outil de classe dominante, il a décidé de le considérer comme un intermédiaire neutre entre le gouvernement et lui.

Dans ce processus où la violence des « casseurs », décrit par les flics comme « 2/3 gauchistes 1/3 jeunes de banlieue », était rejetée, la porte était grande ouverte aux syndicats, élément central de l'appareil d'Etat pour le relations entre bourgeoisie et masses populaires. 

Certains ont considéré que cela montrait une « union » entre les étudiants et les travailleurs, vaine hypocrisie !

Car de même que les étudiants sont les couches sociales supérieures de la jeunesse, les travailleurs des services publics et de l'enseignement forment les couches supérieures du prolétariat.

Et les syndicats sont précisément dominés par ces couches sociales et leur idéologie. 

Ces couches sociales sont partisanes de l'évolution, pas de la révolution; elles veulent des réformes sociales en général, pas attaquer la bourgeoisie en particulier.

Leur forme de lutte, c'est la lutte syndicale, le dialogue avec les dominants, la négociation.

Et ces couches sociales ne veulent pas de politique, car pour elles l'Etat est neutre et il n'y a pas besoin de politique.

De ce fait, de par leur fonction, de par leur appareil bureaucrate, de par leur fonctionnement, de par leurs cadres, les syndicats sont ainsi intégrés au processus de négociations avec les dominants. 

Comme l'a dit Lénine « Les bourgeois cultivés sont tout à fait disposés à "concéder" aux ouvriers le droit de grève et d'association, pourvu que les ouvriers renoncent à l'"esprit de rébellion" »

Or, l'esprit de rébellion, voilà ce dont nous avons besoin.

Or, rien n'est plus aseptisé que les manifestations syndicales. Cela n'est pas pour rien si elles ont lieu le week-end, jour de repos des travailleurs, et si elles passent par des grandes artères urbaines et nullement par les quartiers populaires. 

Elles sont l'expression de prétendues « luttes », qui sont en fait des négociations plus ou moins dures menées par la direction, pas par la base dans un mouvement populaire de critique sociale.

Le mouvement populaire anti-CPE est aujourd'hui en train de prendre cette direction errronée.

Et une des conséquences de cette soumission aux formes traditionnelles de « négociations » a été la prise pour cibles des manifestants eux-mêmes par des centaines d'adolescents des quartiers populaires à la manifestation du 23 mars à Paris, où sur la place des invalides la violence a pu être gratuite ou prenant comme prétexte de simples vols à l'arrachés.

Une seconde conséquence a été la répression toujours plus grande des « forces de l'ordre », qui ont ouvertement profité des services d'ordre syndicaux, notamment de la CGT, comme on a pu le voir et comme en témoignent les très nombreux témoignages ou les photos des SO munis de matraques et poursuivant des jeunes. 

Il suffit de toutes manières de voir les chiffres : si les manifestations du 23 mars ont été marqué par 632 interpellations, le 28 mars il y en a eu 787 ! En tout cela fait déjà 2.500 interpellations depuis le début du mouvement.

On a beaucoup parlé du manque de conscience de nombreux « jeunes banlieusards » et de leur violence allant jusqu'à viser des manifestants, et on en parle d'autant plus pour dédouaner les syndicats dans leur nouveau rôle.

Mais il est absurde de parler de conscience inexistante, ce dont il s'agit c'est d'une impossibilité d'exprimer correctement la rage révolutionnaire dans le cadre d'une politique de discussion avec l'Etat. 

La colère montre, mais seule la politique révolutionnaire peut donner une juste direction.

Une preuve de cette montée de l'exigence révolutionnaire est également l'agression systématique par ces « jeunes de banlieue sans conscience politique » des journalistes , très clairement perçus comme des alliés objectifs du système dominant et des cibles pour la colère.

Le fait est que le mouvement anti-CPE doit être guidé par les masses par les plus pauvres dans ses revendications économiques et dans sa direction politique, voilà la seule position allant dans le sens de l'unité et de la victoire.

Et cela signifie oser revendiquer la politique révolutionnaire ! 

Si on ne fait pas cela on donne objectivement des moyens à la police et aux RG pour manipuler et lancer la rage contre le mouvement lui-même : c'est la tactique classique de l'Etat d'utiliser les masses contre les masses.

Si on ne fait pas cela on délègue les exigences populaires aux syndicats, partisans de la cogestion et du « dialogue constructif. »

Si on comprend cette logique de classe, comment peut-on par exemple affirmer, comme le fait la CNT (document du 24 mars 2006, CNT-RP), que « La révolte des quartiers populaires de novembre dernier et le mouvement actuel contre le CPE témoignent du même refus de la jeunesse face à la précarité et la misère » ?

Rien n'est plus faux que de mettre sur le même plan une authentique rébellion prolétarienne, visant directement l'Etat, et une protestation pacifique d'étudiants opposés à leur prolétarisation. 

Cela montre que le refus de la part de la CNT de faire de la politique l'empêche de prendre une direction authentiquement populaire, dans le cadre de la lutte de classes, où la classe ouvrière doit guider les éléments populaires de la petite-bourgeoisie et non pas le contraire !

Un tel tour de passe-passe, on en retrouve un exactement similaire à la LCR.

La LCR dit :

« En dix mois, le pays aura connu trois crises sociales et politiques : le « non » du référendum, l'explosion des banlieues et, aujourd'hui, cette mobilisation impressionnante contre le contrat première embauche (CPE).

La jeunesse, plaque sensible de toutes les contradictions sociales, submerge le pays. La majorité de la population rejette la mesure gouvernementale. Les organisations syndicales appellent à une nouvelle journée d'action, de grèves et de manifestations. 
»
(édito de Rouge n°2151).

Là aussi on passe de la rébellion de novembre (où la LCR était sous la table) au CPE, du CPE à... la lutte syndicale. 

Cet esprit général de capitulation par rapport à la nécessité politique de revendiquer une idéologie prolétarienne et une organisation nouvelle, authentiquement prolétarienne, on le retrouve dans toute l'extrême-gauche inféodée à la petite-bourgeoisie.

Le Courant Syndicaliste Révolutionnaire, pourtant initialement très critique par rapport aux syndicats, dit ainsi dans un délire totalement volontariste : « Les étudiants, les lycéens et les jeunes travailleurs actuellement en lutte ne doivent pas se détourner des syndicats. Si aujourd'hui les confédérations de classe (CGT, FO, Solidaires) dérivent c'est parce que nous les avons laissé dériver depuis des années. Nous devons prendre nos responsabilités, adhérer à ces syndicats afin de leur redonner une pratique anti-capitaliste, collective et combative. » 

Les métallos CGT de la gauche du « PCF » disent tout pareillement :

« La plupart des militants CGT métallos de base sont restés fidèles à ces idéaux, et sont très attachés à développer leur syndicalisme sur des fondements de classe anticapitalistes mais ils sont confrontés aux choix réformistes de certains dirigeants de la Fédération de la Métallurgie, qui sont dans la droite ligne de la politique confédérale afin de préserver leur place à Montreuil [siège de la CGT]...

Au niveau politique, il faut soutenir les luttes en exigeant la démission d'un gouvernement minoritaire, illégitime et qui fait le choix de la violence et de la répression pour passer en force. 
»
(Tract des métallos CGT du PRCF [gauche du « PCF »]

Le même suivisme est chez Lutte Ouvrière :

« Bien sûr, rien ne nous garantit que les directions confédérales ne se contenteront pas de vouloir faire du 28 mars un baroud d'honneur, débouchant sur un accord ne changeant rien sur le fond avec le gouvernement.

Elles nous ont habitué à suffisamment de journées d'actions sans lendemain, à suffisamment de manoeuvres pour éparpiller les luttes au lieu de les faire converger, pour que nous ayons le droit d'être méfiants. Mais justement, plus les travailleurs seront nombreux à arrêter le travail le 28 mars et à participer aux manifestations, plus il sera difficile aux dirigeants des confédérations syndicales de tourner le dos à la lutte. »
(édito d'Arlette Laguiller, 26/03/2006) 

Pour tous ces gens,le syndicat serait au fond une forme dont on pourrait ce qu'on veut - du réformisme, comme la révolution.

Mais leur soumission aux syndicats montrent bien que pour eux la jeunesse populaire, ce sont les étudiants et que pour eux le prolétariat, ce sont les travailleurs des services publics et de l'enseignement.

Voilà pourquoi ces organisations politiques ne font pas de cortèges politiques lors des manifestations syndicales, laissant leurs militants manifester dans leurs syndicats. 

Telle n'est pas la position des communistes authentiques.

« Il faut partir du critère de classe pour déterminer à quelles masses il faut aller. Il faut comprendre qu'elles s'organisent selon les intérêts communs des classes auxquelles elles appartiennent.

Cela est très important, comme nous le dit le Président Gonzalo, car cela sert à combattre ceux qui prétendent séparer les masses des classes sous prétexte d'"unité", quand ce qu'ils font, en réalité, c'est trahir les véritables intérêts des masses en trafiquant avec leurs luttes.

Cela nous permet aussi de comprendre que les masses représentent toujours un terrain de lutte, et que la bourgeoisie et le prolétariat combattent pour les diriger; mais seul le Parti Communiste est capable de les diriger car c'est le seul Parti qui puisse représenter leurs intérêts et lutter pour eux.

Quant à ceux qui parlent de "démocratie de masses", ou bien qui montent des organismes de masses ouverts comme si c'étaient des formes de Pouvoir sans violence ils ne font qu'adopter des positions bourgeoises qui nient la direction du prolétariat, sa dictature.

Partir du critère de classe a une relation directe avec le caractère de la révolution, avec les classes qui composent le peuple et qui doivent s'unir sous la direction du prolétariat. 
»
(Parti Communiste du Pérou, La ligne de masses)

Pour le PCMLM, mars 2006. 

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