26 oct 2015

Dilemme des progressistes face à la montée de Marine Le Pen dans le Nord-Pas-de-Calais et la Picardie

Submitted by Anonyme (non vérifié)

Plusieurs sondages sont parus récemment à propos des élections régionales qui auront lieu en décembre 2015 : ils prévoient une victoire assez large de Marine Le Pen dans la nouvelle région « Nord-Pas-de-Calais-Picardie » et une probable victoire de Marion Maréchal Le Pen dans la région « Provence Alpes Côte d'Azur ».

Évidemment, les sondages sont à considérer avec précaution. Tout d'abord, car on est là dans un exercice faussement scientifique s'appuyant sur un ensemble d'extrapolations statistiques typique de la science bourgeoise. Les instituts recueillent les avis de quelques centaines de personnes qu'ils considèrent comme « représentatives » (la plupart du temps par téléphone ou par des questionnaires envoyés par internet) ; puis ils appliquent des correctifs statistiques sur ces résultats en fonction des résultats des sondages précédents.

Tout cela reste très flou, et c'est pour cela que les résultats des élections sont très souvent différents de ceux annoncés dans les sondages (et ce malgré les marges d'erreur de 2 à 3 % annoncées par les instituts). 

De plus, les sondages sont aussi des outils servant à peser sur le débat. Ils sont donc très souvent « arrangés » afin de servir des objectifs politiques. Les instituts de sondage ne sont pas des entités scientifiques « neutres », mais des entreprises qui sont pas moins que cotées en Bourse et évidemment liées à différents secteurs de la bourgeoisie et du monde politique.

Ceci étant, ces sondages traduisent deux dynamiques qui sont pour le coup bien réelles : celle de la progression continue et rapide du Front National dans les masses et celle du désarroi qui prend les progressistes.

Pour ce qui est du Nord-Pas-de-Calais et de la Picardie, on y voit que Marine Le Pen est donnée gagnante dans tous les cas, avec des scores au-delà de 40 % au premier comme au second tour, voire de plus de 50 % au second tour si elle se retrouve seule face à Xavier Bertrand, le candidat de la droite, car les électeurs de gauche s'abstiendraient massivement. De son côté, la gauche dans son ensemble s'effondrerait.

Il est aussi donné les chiffres de la réponse à la question « Avez-vous envie de voir le Front National au pouvoir ? » et là on s'aperçoit d'un décalage, puisque les scores électoraux attendus semblent supérieurs à ceux du Oui à cette question,  ce qui s'explique par la forte abstention d'une partie des masses ne le souhaitant pas au pouvoir.

Ce qui souligne la complexité de la question de l'abstention : ne pas voter, c'est laisser le champ libre à ceux qui votent pour Marine Le Pen. Et en même temps, il n'y a pas de force progressiste face à elle...

Cependant, là n'est pas le seul souci, loi de là. Le sondage révèle ce qu'on sait déjà, puisqu'il dit que la moitié des ouvriers des deux régions ont répondu Oui à cette question. Cela ne surprendra personne d'actif politiquement nageant dans les masses comme un poisson dans l'eau. Comment y faire face?

Les progressistes se retrouvent face à un dilemme important. D'un côté, on se retrouve face au risque réel de voir le fascisme porté au pouvoir dans une, voire deux, régions françaises.

De l'autre côté, lorsque se pose la question « comment en est-on arrivé là ? », on ne peut que voir les responsabilités gigantesques d'une social-démocratie liée aux milieux des affaires et dont des pans entiers ont basculé dans le post-modernisme, et celles du révisionnisme qui a distillé depuis des décennies le social-chauvinisme dans les masses au point qu'aujourd'hui tous les anciens bastions du P«C»F sont en train de devenir ceux du fascisme.

Comment faut-il voir les choses et que faire face à cette situation ?

Tout d'abord, il faut voir que ces élections régionales et après elles la gestion concrète des Régions sont des objectifs importants pour le fascisme. Et plus particulièrement, la prise du Nord-Pas-de-Calais et de la Picardie qui est un intérêt stratégique majeur.

Cela tient à la structure particulière du Nord-Pas-de-Calais et de la Picardie. Ce sont deux régions concentrant des parts importantes du prolétariat français, historiquement très fortement organisées par la social-démocratie ou le révisionnisme, des bastions historiques du mouvement ouvrier français. Mais ces régions sont aussi des places fortes de la bourgeoisie industrielle, parmi la plus puissante de France, qui y est culturellement très marquée soit par le catholicisme social soit par la franc-maçonnerie et le radical-socialisme, et économiquement liée à de nombreux investisseurs étrangers (belges, allemands, anglais, néerlandais et américains) et avec de nombreux intérêts de l'autre côté de la frontière belge.

C'est une bourgeoisie traditionnelle et patrimoniale  - c'est une des régions levant le plus d'Impôts Sur la Fortune et la deuxième pour ce qui est de la valeur moyenne de l’ISF collecté - dirigée par de grandes familles industrielles mettant en avant un paternalisme social. On pourra penser par exemple à la famille Mulliez propriétaire d'Auchan, une des familles les plus riches de France et dont le « patriarche » a proposé dans une interview récente que la rémunération maximale des dirigeants d'entreprises soit limitée à 20 fois le SMIC, ou la famille Bonduelle dont l'ancien dirigeant Bruno Bonduelle est la tête de file des démocrates-chrétiens dans la région.

Le rôle du fascisme est d'être le fer de lance de la mobilisation des masses derrière les projets de l'impérialisme. Or, pour cela il doit neutraliser les masses populaires et plus particulièrement la classe ouvrière, mais aussi la bourgeoisie industrielle qui cherche à maintenir son autonomie face au capital financier.

La bataille pour le pouvoir en Nord-Pas-de-Calais et en Picardie est donc une phase stratégique importante pour le fascisme, puisque ces deux régions concentrent un cœur important des masses françaises mais aussi de la bourgeoisie industrielle (qui est quasi hégémonique dans ces régions).

 Avec la nouvelle réforme créant ces nouvelles régions, celles-ci se retrouvent « chef d'orchestre » pour tout ce qui touche à l'application du« Plan État-région » concernant développement économique, l'aménagement du territoire, les aides aux entreprises, l'apprentissage, etc.

Pour l'instant, les Chambres du Commerce et de l'Industrie du Nord-Pas-de-Calais et de Picardie ont fait savoir publiquement qu'elles ne souhaitaient pas la victoire du Front National et mènent une campagne intense pour éviter l'élection de Marine Le Pen. De la même manière, le « grand maître » du Grand Orient De France, la plus importante obédience maçonnique française, a lancé ce dimanche un appel à la mobilisation générale pour empêcher l'élection de Marine Le Pen.

Mais le capitalisme ne peut s'arrêter de tourner et la bourgeoisie ne peut mener une sorte de grève paralysant sa propre activité. Une fois le Front National aux manettes de la Région, la fraction de la bourgeoisie qui ne croit pas au Front National finira donc par s'adapter et « composer » avec lui.

Le Front National l'a bien compris et c'est pour cela qu'il avance avec un programme très vague et a lancé un certain nombre d'appels du pied montrant sa bonne volonté, comme par exemple le soutien à la présentation de l'Université de Lille au label « IDEX » ou son soutien au projet de Réseau Express Grand Lille, tous deux étant perçus comme stratégique par la bourgeoisie industrielle régionale.

Une fois aux manettes d'une ou plusieurs régions, le fascisme aura donc six ans pour former des cadres, les lier avec des secteurs importants de la bourgeoisie, montrant ainsi sa capacité de « gestion » et pouvoir apparaître ainsi comme un recours concret. Cela sera d'autant plus simple que de fait les régions n'ont au final qu'un pouvoir de « chef d’orchestre » et que le « Plan État-région » qu'elles gèrent été voté en 2014 et a cours jusque 2020.

Il leur suffira donc de se contenter de « gérer », tout en envoyant des messages aux catholiques sociaux, en promouvant une ligne expansionniste vis-à-vis de la Belgique et en utilisant les pouvoirs de la Région en matière de subventions pour étouffer culturellement la société civile.

La prise électorale de la Picardie et du Nord-Pas-de-Calais ne peut donc qu'être un tremplin gigantesque vers le pouvoir pour le Front National.

Quelles sont donc les tâches des progressistes dans cette situation ?

Il faut prendre la mesure de la situation et agir avec responsabilités. Cela veut dire rejeter le jeu politicien que mènent tant les sociaux-impérialistes du Parti de Gauche et du PCF que la petite-bourgeoisie post-moderne. Bloquer électoralement autant que faire se peut la marche au pouvoir du fascisme est une tâche malheureusement nécessaire ; une tâche qu'il faut assumer et expliquer, en sachant que réfléchir à ses modalités est un processus difficile, particulièrement tortueux. Il y a lieu d'apprendre des enseignements du Front populaire dans la lutte contre le fascisme, tels que l'Internationale Communiste l'a assumé.

Au vu de la progression rapide du fascisme et de la faiblesse des progressistes, il faut aussi se préparer à son arrivée au pouvoir, et donc à ne pas céder à la facilité de l'hystérie – sur laquelle ne manquera pas de tenter de surfer l'extrême-gauche petite-bourgeoise. On ne dira jamais assez que les anarcho-trotskystes ont servi de cinquième colonne au fascisme, ridiculisant l'idéal révolutionnaire, aidant la démagogie fasciste en faisant passer le camp de la révolution pour un rassemblement de petits-bourgeois post-modernes, etc.

La bataille qui est engagée est une bataille de longue haleine pour la reconquête des masses, pour leur unification contre les monopoles et le fascisme, et cette bataille ne fait que commencer.

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