29 déc 2018

L'économiste Eugen Varga et l'I.C. - 24e partie : la mise de côté dans l'Internationale Communiste

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La critique qu'a subi Eugen Varga au sixième congrès de l'Internationale Communiste va se prolonger et va connaître un moment décisif lors de la Xe session du Comité Exécutif de l'Internationale Communiste, du 3 au 19 juillet 1929. Il avait réalisé en amont de cette session un rapport et des conclusions sur la situation économique internationale.

Eugen Varga se fit littéralement tomber dessus. On lui reprocha sa « surestimation des statistiques bourgeoises » ainsi que, en liaison avec cela, des « déviations de droite ».

Molotov l'accusa de remettre sur la table des questions déjà réglées et de jouer un rôle réactionnaire. Son positionnement d'économiste se contentant d'évaluations à la démarche très libre l'amenait à remettre en cause ce qui avait été acquis par l'Internationale Communiste ces dernières années.

En fait, dès qu'on passait dans une évaluation d'économie politique, c'est-à-dire à un autre palier, Eugen Varga se perdait ; il voyait ainsi en la transformation du plan Dawes en plan Young, concernant les réparations allemandes, une certaine capacité à une stabilisation renforcée de la part du capitalisme, que cela allait dans le sens d’un accord entre puissances impérialistes, mettant de côté les contradictions inter-impérialistes. 

Par conséquent, il considérait que le danger de guerre était relativement écarté, ce qui était une évaluation de la situation totalement inacceptable. Aussi, Molotov souligna surtout qu'il existait une accentuation de la tendance à la guerre et critiqua la position d'Eugen Varga comme une lecture gommant les aspects négatifs du capitalisme ; il formula de manière abrupte :

« Si plan Young pouvait résoudre les contradictions inter-impérialistes, même temporairement, alors ce serait les sociaux-démocrates qui auraient raison avec leur appui à l’impérialisme, et non les communistes. »

Kuusinen conclut en disant que le souci d'Eugen Varga était qu'à force de fréquenter intellectuellement le milieu des économistes bourgeois, il perdait de vue le risque de se faire contaminer par eux ; il faisait du bon travail, mais ne parvenait pas à en tirer les conclusions adéquates.

Il fut également critiqué pour avoir rejeté la thèse de l’Internationale Communiste qu’une « révolution technique », c’est-à-dire la rationalisation de la production, et une intensification du travail, était en train d'intensifier la pression sur le prolétariat.

Cela rattachait directement Eugen Varga à la ligne de Boukharine affirmant que les contradictions entre prolétariat et bourgeoisie s’amenuisaient dans chaque pays. Eugen Varga était ni plus ni moins qu’accusé de convergence avec la ligne de Boukharine.

Eugen Varga dénonça que les attaques contre lui étaient si rudes, et se défendit comme quoi il ne voyait pas de paupérisation absolue dans les chiffres qu’il avait, cependant il réétudierait la question. C'était là sa ligne de défense, avec toujours la tentative de se défausser. Lorsque Manouilski lui reprocha ainsi la correspondance de son point de vue avec des conceptions bourgeoises et Eugen Varga maintint en réponse une ligne assez formaliste, se défendant alors face aux critiques en disant que les vrais opportunistes allaient toujours dans le sens du vent, que lui essayait simplement d'être objectif. Il dit notamment :

« Si j'arrive au point de vue qu'il y ait quelque chose de nouveau dans la situation internationale, dans l'économie mondiale, dans le mouvement ouvrier, qui ne rentre éventuellement pas dans le cadre considéré jusque-là comme juste par l'Internationale Communiste, alors je le présenterai toujours à celle-ci, même malgré le risque qu'on dise : Ce Varga raconte encore des conneries opportunistes.

Le plus grand opportunisme est de masquer ses convictions par peur de ne pas être en accord avec la ligne dominante. C'est la forme la plus dangereuse d'opportunisme, indigne d'un communiste. »

A partir de 1929, Eugen Varga n'est plus un cadre de l'Internationale Communiste. Il ne participa donc pas aux 11e (1931), 12e (1932) et 13e (1933) sessions plénières du Comité Exécutif de l'Internationale Communiste.

L'histoire était alors entendue : Eugen Varga, s'il n'était pas un boukhariniste et donc pas un partisan ouvert du concept de capitalisme organisé, n'en était pas moins le tenant d'une ligne luxembourgiste, un partisan d'un objectivisme statisticienne, avec une tendance à la conception boukhariniste du « capitalisme organisé ». Il fallait rectifier le tir.

Eugen Varga était de fait allé bien trop loin dans sa prétention à une connaissance qui serait unifiée et totale rien qu'au moyen des statistiques. Voici par exemple ce qu'il affirma dans sa conclusion des débats quant à la situation économique mondiale lors du cinquième congrès de l'Internationale Communiste. Il dégrade Karl Marx et Friedrich Engels en les présentant comme des compilateurs de statistique.

« Je dois bien dire que ni moi ni d'autres camarades de différents Partis Communistes ne sommes parvenus à résumer en une théorie claire tous les phénomènes du capitalisme actuel.

Il y a certaines tentatives. Je rappelle le principe de « la période de transition » de Boukharine. J'ai moi aussi à plusieurs reprises au moins de travailler à une théorie dans les grandes lignes, mais une théorie vraiment satisfaisante n'a pas encore été formulée.

Nous devons ici penser à quelque chose : Marx et Engels ont observé en toute tranquillité, pendant deux décennies, le capitalisme d'alors, ils ont étudié pendant vingt ans les statistiques et les chiffres, et c'est seulement après qu'est apparu le « capital ».

C'est seulement par la suite d'obtenir une vue globale. Je suis loin de me comparer à Marx, mais là où Marx a eu besoin de vingt ans, alors on doit me fournir au moins quarante ans. »

L'année 1930 est donc un tournant dans la position d'Eugen Varga, qui se fait mettre de côté, tout en conservant un rôle considéré comme utile. La rédaction d'Inprekorr, à partir de 1930, précisa au sujet d'Eugen Varga et de ses articles :

« Ses points de vue sur l'économie mondiale, s'ils suivaient comme cela va de soi la ligne de l'Internationale Communiste comme orientation, ne sont pas à considérer comme des publications officielles ou officieuses d'instances dirigeantes de l'Internationale Communiste. »