21 Jan 2017

Marine Le Pen et sa réduction de Richelieu au machiavélisme

Submitted by Anonyme (non vérifié)

Marine Le Pen a publié hier un long billet pour expliquer un choix qui n'est pas passé inaperçu, notamment de notre côté : au moment de ses vœux, on pouvait voir en arrière-plan un célèbre tableau représentant Richelieu.

On le voit lors du siège de La Rochelle, dans une des nombreuses étapes d'opération d'extermination des calvinistes dans notre pays.

Si jamais vous n'aviez pas compris le sens de la publication de nos dossiers, ici vous avez un excellent exemple de leurs raisons.

Quelles sont-elles ? Car il y en a bien deux.

La première, c'est que l'extrême-droite a une lecture romantique de l'Histoire, déformant les événements pour les interpréter de manière idéale, cet idéal étant placé très loin, au Moyen-Âge.

Comme il faut contrer la démagogie de ce romantisme, il faut rétablir la vérité, ce qui exige une lecture attentive, matérialiste historique, du passé de notre pays.

La difficulté qui va avec, ici, est la tendance de la bourgeoisie au cosmopolitisme, par ailleurs appuyé par l'ultra-gauche. La France n'existerait pas, le XVIIe siècle serait sans intérêt, les Lumières seraient en réalité « coloniales », le calvinisme n'aurait jamais existé, etc.

La seconde raison, qui est secondaire ici, est que pour faire la révolution, il faut connaître le mouvement de l'Histoire… donc les luttes de classes, sans les réduire bien sûr, de manière stupide, à une lecture syndicale de combats économiques.

Maintenant, regardons pourquoi Marine Le Pen a mis en avant le tableau représentant Richelieu, peint en 1881 par Henri Motte.

Dans son billet, reproduit ici plus bas, elle résume la figure de Richelieu à la négation de la division du pouvoir et de l'administration, dans une optique d'abnégation au service de l’État.

Il n'est pas bien difficile de reconnaître ici l'idéologie national-républicaine, néo-gaulliste, de Marine Le Pen et de Florian Philippot.

Comme, en plus, La Rochelle était une cité calviniste assiégée mais tentant d'obtenir une aide anglaise pour briser le siège, il y a une dimension de lutte contre « l'ennemi intérieur » au service d'une « puissance étrangère », que l'extrême-droite affectionne toujours.

Il n'est pas bien difficile non plus, car nous avons heureusement des dossiers à ce sujet, de voir que tout cela est absolument réducteur, pour au moins trois raisons.

Tout d'abord, et c'est une de nos thèses matérialistes historiques qui nous est propre, la monarchie absolue est le stade suprême de la féodalité. Richelieu n'est donc pas une figure intemporelle, mais uniquement quelqu'un au service d'un processus de modernisation étatique dans une période bien déterminée.

Ensuite, Richelieu a agi d'une certaine manière en stratège : chose folle, lesmaterialistes.com est le seul site à proposer une analyse détaillée de ses maximes synthétisant sa démarche ! Ce qui est en fait logique, car seul le matérialisme historique permet de comprendre les moments-clefs.

Et Richelieu ne raisonne pas : il agit de manière machiavélique, plaçant ses pions de manière pragmatique. Or, en réalité, c'est le calvinisme qui était progressiste, ce que Richelieu n'a pas compris et ne pouvait pas comprendre, car le calvinisme s'oppose par définition à la féodalité.

Marine Le Pen a donc tort de célébrer en Richelieu un « stratège », de manière unilatérale, alors qu'au contraire celui-ci a agi surtout de manière machiavélique – ce fameux machiavélisme dénoncé par les monarchomaques au XVIe siècle.

D'ailleurs, le règne de Louis XIV aboutira, de manière inévitable, à une crise générale de la féodalité. Ironie de l'histoire, Marine Le Pen représente, pour nous matérialistes dialectiques, pareillement la crise générale du capitalisme, sous la forme du fascisme, de la guerre impérialiste.

Enfin, parce que Richelieu représente un moment national qui, par définition, est temporaire, relevant d'une séquence qui s'ouvre avec François Ier et Henri IV, donnant naissance à la Nation française, et se termine avec la réussite définitive de la Révolution française, en 1871.

Cette séquence est terminée, ses modalités lui sont propres. Entre-temps, la féodalité a disparu, le mode de production capitaliste s'est instauré.

Notons, pour conclure, ce que des journalistes observateurs ont par ailleurs constaté lors des vœux télévisés où Marine Le Pen pose devant la peinture montrant Richelieu.

On la voit auparavant dans une salle avec des ordinateurs, avec en plein écran le « nyan cat ».

Ce gif animé consiste dans la représentation un chat qui vole pendant des heures : il retombe sur ses pattes, mais comme il a une pâtisserie sur le dos et que celle-ci retombe forcément du côté tartiné, cela le propulse.

Cela produit derrière lui un arc-en-ciel, le tout avec une musique répétitive et affreuse, une voix horrible répétant à l'infini  « Nyanyanyanyanyanyanya !»

Cela fait partie de la culture internet, avec un côté mignon et sympathique, tout en étant totalement idiot et absurde, d'où les centaines de millions de vues sur youtube.

Marine Le Pen l'a mis en avant par démagogie, pratiquement par machiavélisme, pour avoir l'air « branchée ». Et nous pouvons le dire : ce machiavélisme est la seule chose qu'elle est en mesure de tirer de Richelieu.

Car utiliser dans une même séquence Richelieu et Nyan cat, cela relève d'un mauvais goût forcené, entièrement à rebours de toute l'histoire du style français dans ce qu'il apport de progressiste à l'Histoire du monde.

Ci-dessous, pour archive, la déclaration de Marine Le Pen à propos de Richelieu.

Rien n’échappe aux journalistes et c’est heureux, c’est un peu leur métier. Beaucoup ont remarqué un élément du décor de mon intervention des vœux filmée dans mon bureau de l’Escale.

C’est vrai, le choix de présenter mes vœux devant un tableau de Richelieu – en l’occurrence celui de Henri-Paul Motte- n’est pas le fruit du hasard, comme le détail le présentant en armure devant le siège de La Rochelle. C’est une image du récit national à laquelle la situation de désordre du pays nous renvoie.

Nous sommes en 1628. Devant une mer déchaînée, dans le tumulte de la bataille, le grand ministre de Louis XIII est là impassible, d’une hauteur qui intimide et d’un charme qui séduit.

La digue qu’il a fait construire comme les fortifications marines qu’il a fait édifier pour empêcher les renforts d’une puissance étrangère marquent sa résolution et au-delà de sa personne, la détermination du pouvoir qu’il incarne.

On y voit l’intelligence qui sait unir la décision et l’action pour servir une vue d’ensemble. A ses pieds, un boulet enfoncé dans le sol témoigne d’un danger que la raison d’Etat, une rectitude de pensée et les sens du devoir lui font ignorer.

Celui qui, dans l’exercice de ses fonctions d’Etat, n’avait en réalité, pour religion que de servir l’intérêt français, cette âme qui n’était remplie que de la seule passion de la grandeur de la France fait triompher à La Rochelle le principe de l’unité face aux factions religieuses.

C’est là qu’il soumet le parti protestant qui aspirait à se constituer en force politique. Parallèlement, il élimine du haut clergé catholique l’esprit mondain qui légitimait la réforme et le dépouille d’antiques franchises et anachroniques privilèges. Plus tard, il s’opposera aux féodalités héritées des temps anciens et, inflexible avec Montmorency, il mettra au pas une noblesse infatuée et séditieuse.

Louis XIV continuera son œuvre et finira de la domestiquer à la cour de Versailles.

Cet homme de santé si fragile porta une pensée de flamme dans un corps consumé par la maladie ; esprit synthétique et constructeur, il dirigea son génie au triomphe d’une idée : soumettre les forces éparses à l’impulsion d’une pensée fondatrice.

Symbole de la volonté politique, il se professe que « la politique consiste à rendre possible ce qui est nécessaire » ; sa vision du service de l’Etat préfigure ce que sera notre fonction publique et, dans le métier des armes, le devoir patriotique de l’armée. Son attachement indéfectible au Roi -et en réalité à l’incarnation de la souveraineté du pouvoir- marque son rejet pour l’individualisme et le morcèlement des situations juridiques qui dominent dans le système féodal ; il inspire ainsi l’apparition du sentiment national pilier affectif de notre nation française.

Il se montre fidèle à son adage célèbre : « les plus nobles conquêtes sont celles du cœur et des affections ».

Avec la création de l’Académie française, il affirme sa volonté d’unité linguistique du pays et s’attache, par une politique maritime audacieuse, au rayonnement de la France sur tous les continents.

Sans lui, sans sa conception de l’unité fondamentale de la France et sans sa vision de l’Etat au service de la Nation, il n’y aurait pas eu le Grand siècle, il n’y aurait peut-être pas la France moderne.

Marine Le Pen

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