5 juin 2012

Gaullisme, néo-gaullisme et fascisme - 4. Le néogaullisme contre l'Union Européenne

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Comme nous l'avons vu, les prémisses de l'Union Européenne ont été forgées à l'époque du gaullisme triomphant, comme matérialisation d'un axe impérialiste franco-allemand constitué contre les impérialismes anglais et américains, ainsi que dans une moindre mesure contre le social-impérialisme russe.

Mais depuis les années 1960, la nature de la Communauté Européenne, devenue Union Européenne, a évolué et c'est justement contre celle-ci que se développe maintenant en France une forme de néogaullisme. Les néogaullistes sont essentiellement des « souverainistes » et forment différentes tendances plus ou moins disparates, qui ont tendance actuellement à se recomposer.

Leur point de ralliement est essentiellement celui du refus des traités européens. D'abord, celui de Maastricht en 1992, le traité constitutif de l'Union européenne elle-même, puis surtout le traité de Rome II en 2004 qui devait instaurer une constitution européenne. Ce traité n'est pas entré en vigueur, car il a été rejeté pas référendum en France et aux Pays-Bas, après de larges campagnes nationalistes et social-chauvines en faveur du «non» (dont seul le PCMLM avait alors compris la signification).

C'est sous la direction de Valéry Giscard d’Estaing que fut rédigée un premier projet de Constitution européenne dont les termes ont été pour l'essentiel repris pour les traités de Rome II en 2004. Valéry Giscard d’Estaing représente justement une rupture libérale-démocrate avec le gaullisme qu'il qualifiait d'« exercice solitaire du pouvoir ».

Son mandat à la présidence de République après Georges Pompidou et avant François Mitterrand, de 1974 à 1981, a été marqué par une modernisation dans un sens moins anti-démocratique de l'appareil d’État et de toute la superstructure capitaliste française.

Des réformes importantes ont eu lieu concernant l'interruption volontaire de grossesse (IVG), la création d'un secrétariat d'État à la condition féminine, l'autorisation du divorce par consentement mutuel ou encore l'abaissement de la majorité civile à 18 ans. Valéry Giscard d’Estaing s'est aussi largement fait valoir d'avoir supprimé l'ORTF (la chaîne de télévision unique qui était directement la voix de l’État) et officiellement du moins les « écoutes téléphoniques » (largement dénoncées sous De Gaulle).

Sur le plan symbolique, Valéry Giscard d’Estaing a quelque peu cassé le protocole présidentiel gaulliste qui était culturellement très « monarchique ». Au contraire, il a commencé à répondre à des interviews en anglais, à se rendre dans des familles pour « se rapprocher des français » et il a changé le bleu du drapeau national (considéré comme trop agressif) ainsi que fait jouer la Marseillaise un ton moins fort et un rythme plus lent moins martial.

C'est aussi à cette époque que de grands projets industriels ont été lancés, notamment le TGV. La bourgeoisie industrielle profitait encore largement à ce moment-là des capacités d'accumulation permises par la période d’expansion impérialiste qui devait n’être brisée qu'à partir des chocs pétroliers de 1973 mais surtout de 1979. 

La présidence de Valéry Giscard d'Estaing avait relancé une impulsion à la faveur du capital industriel et de l'esprit d'entreprise. Alors que la présidence de Charles De Gaulle avait été surtout marquée par la domination importante des monopoles et du Capital financier. Cependant, sa présidence ne représente pas pour autant une rupture complète avec les monopoles qui restent malgré tout puissants et continuent à se développer, inévitablement.

Valery Giscard d’Estaing était très favorable à la création d'une sorte d'Etats-Unis d'Europe et était ouvertement « atlantiste ». C'est à dire favorable à l'alliance avec les impérialismes anglais et américains. 

C'est lui qui est à l'origine de l'Euro en ayant lancé avec le Chancelier allemand Helmut Schmidt le Système Monétaire Européen en 1979. Le but était de réguler la fluctuation entre les différentes monnaies européennes afin de favoriser les échanges commerciaux au sein de la communauté économique, de même que pour l'Euro.

Dès le début, cette politique « européenne » va cristalliser une opposition qui y voit une façon d’affaiblir l'impérialisme français.

Cette opposition, notamment incarnée en la personne de Jacques Chirac (alors leader du RPR) va se revendiquer du gaullisme. En 1981, Jacques Chirac refusera de soutenir le président sortant face à François Mitterrand. Mais il n'arrivera cependant au pouvoir que 14 ans plus tard.

Face au triomphe du mitterrandisme, la droite française menée par Jacques Chirac a dû rallier différentes composantes de la bourgeoisie pour reprendre le dessus (gaullistes, centristes, libéraux). D'autant plus que les réseaux « socialistes » de François Mitterrand se sont liés à une partie importante des monopoles.

Sur le plan politique, la présidence de Jacques Chirac fut marquée par la prédominance d'un « style » gaulliste. Notamment en politique internationale (dite « pro-arabe ») avec le summum qu'a été le refus de suivre l'impérialisme américain pour la guerre en Irak en 2003. Mais il est clair que Jacques Chirac représente malgré tout un effritement, une certaine décomposition du gaullisme.

Une opposition « souverainiste », c'est-à-dire qui reprochait une supposée perte de la souveraineté nationale au profit d'un fédéralisme européen, va alors émerger au sein de la droite et d'une partie de la gauche française. En 1990, Philippe Séguin s'allie avec Charles Pasqua pour prendre la direction du RPR de Jacques Chirac, afin de le « régénérer » en s'inspirant « du message du général De Gaulle ». Mais Jacques Chirac réussit à nouveau à composer avec les différentes tendances et est réélu à la tête du parti.

L'année 1992 marque une nouvelle impulsion pour les tendances souverainistes néogaullistes grâce à une intense campagne nationaliste contre le traité de Maastricht qui contraindra François Mitterrand à organiser un référendum. Au lancement de la campagne référendaire, la victoire du « oui » était donnée à 70% dans les sondages, finalement le «oui » ne l'emportera qu'à 51 %.

Philippe Séguin, Charles Pasqua, Jean-Pierre Chevènement ou encore Philippe de Villiers et Jean-Marie Le Pen s'illustreront dans cette campagne nationaliste en faveur du « non ».

En 1999, Charles Pasqua et Philippe de Villiers créent un nouveau parti, le Rassemblement Pour la France, clairement en référence au RPF de Charles De Gaulle (Rassemblement du Peuple Français), qui est membre de l'Alliance pour l'Europe des Nations. Le parti éclate dès 2000, Philippe de Villiers repartant de son côté et une importante partie des restes du parti se ralliant à Jean-Pierre Chevènement (pourtant socialiste historique) lors des législatives de 2002. Ce qui marque l'intensité du mouvement de recomposition néogaulliste.

Malgré tout Charles Pasqua est lui toujours resté dans le giron de la droite majoritaire, tout en y étant reconnu comme un gaulliste particulier. Son nom est associé à des lois nationalistes (lois Pasqua-Debré) et des positionnements autoritaires du type : « la démocratie s'arrête là où commence l'intérêt de l'État.»

Philippe Séguin lui aussi cultivera ses particularités. Qualifié de « gaulliste social », il ne s'éloignera jamais de la droite majoritaire pour autant. C'est sous son giron que va émerger un autre « gaulliste social » en la personne de Henri Guaino, une figure importante du néogaullisme.

Henri Guaino est directement lié au Capital financier depuis le début de sa carrière : économiste au Crédit lyonnais de 1982 à 1986, chargé de mission à la direction du Trésor au ministère des Finances et adjoint au secrétaire général du Club de Paris de 1987-1988, responsable de la recherche finance au groupe Louis Dreyfus de 1989 à 1990, puis des activités banque d'affaires et gestion des participations et chargé de mission auprès du président-directeur général du groupe mutualiste MAAF de 1990 à 1993.

Jusqu'à présent, il a systématiquement pris le parti de composer avec Jacques Chirac (c'est lui qui est à l'origine de la campagne très « gaulliste » de 1995 autour du thème de la « fracture sociale ») puis Nicolas Sarkozy (il était son conseiller spécial lors de sa présidence), en essayant d'influencer idéologiquement leur ligne – tant bien que mal. Cette option stratégique lui est régulièrement reproché par des personnes qui ne comprennent pas l’intérêt de cette alliance avec les libéraux-démocrates.

En tant que néogaulliste, il est opposé au renforcement de l'Union Européenne et était un partisan du « non » aux référendums de 1992 et 2004.

Le néogaullisme de Henri Guaino consiste à proposer une recomposition idéologique et politique à la bourgeoisie impérialiste française en mettant en avant une ligne « ni droite ni gauche » pragmatique et en puisant fortement dans les références de la gauche républicaine française, en allant même jusqu'à assumer une partie de l'héritage du Parti Communiste Français (pourtant farouchement antigaulliste).

Dans la lignée de Charles De Gaulle, il prétend adopter un point de vue anticolonialiste. Pour en fait organiser de manière moderne la soumission néocoloniale de nombreux pays africains par l'impérialisme français – ce fut d'ailleurs le sens de son discours de Dakar (prononcé par Nicolas Sarkozy) qui avait été très mal interprété.

La particularité de Henri Guaino est qu'il comprend la poussée inévitable du fascisme du fait de la crise du capitalisme. Son but est d'organiser un compromis entre la bourgeoisie impérialiste et les autres composantes de la bourgeoisie française. En substance, il se pose, et se posera certainement de plus en plus, comme un dernier rempart au fascisme, dans la lignée de Charles De Gaulle lui-même.

Une autre figure importante du mouvement de recomposition néogaulliste est Jean-Pierre Chevènement. A proprement parler, il n'est pas un néogaulliste car il ne s'est jamais éloigné de la gauche socialiste française et est issu de l'opposition interne à François Mitterrand. Mais indiscutablement, Jean-Pierre Chevènement doit être classé parmi les « souverainistes ».

Politiquement, sa nature est simple à comprendre : il est une sorte de Front National « de gauche ». Systématiquement, il a défendu des points de vue similaires au FN sur de nombreuses questions (immigration, sécurité, enseignement, Europe, États-Unis, etc.) mais tout en les intégrant dans un cadre républicain, humaniste et non libéral économiquement.

Avant Jean-Luc Mélenchon, Jean-Pierre Chevènement a été le promoteur d'un social-chauvinisme farouchement anti-américain et anti-Union Européenne. Issu de l'aile gauche du Parti Socialiste (il fut chargé d'organiser le rapprochement avec le P«C»F en 1972), il a très vite critiqué l'orientation libérale du parti et remis en cause le « mondialisme ». En 1991, il démissionne de son poste de ministre de la Défense pour protester contre l'engagement de l'impérialisme français auprès de l'impérialisme américain en Irak.

En 2002, sa candidature à l’élection présidentielle est soutenue par Régis Debray et Max Gallo, deux figures intellectuelles importantes du mouvement de recomposition néogaulliste français.

Régis Debray est un ancien « révolutionnaire » ayant combattu aux cotés de Ernesto « Che » Guevara en Bolivie qui réussit le tour de force de se présenter comme un «gaulliste de gauche, voire gaulliste d’extrême gauche ». Sa rhétorique néogaulliste consiste à promouvoir l'existence de symboles ou personnages rassembleurs de la Nation (comme le faisait Charles De Gaulle) et à critiquer l'impérialisme américain.

Max Gallo a été membre du PCF (jusqu'en 1956) avant de rejoindre la social-démocratie et devenir un opposant à l'Union Européenne. Il prône la mise en avant de grandes figures historiques pour promouvoir la Nation française et a écrit de nombreux livres présentant ces figures - il est reconnu comme un « spécialiste » de Charles De Gaulle.

De manière générale, la fondation « Res Publica » de Jean-Pierre Chevènement a été un énorme incubateur pour la pensée néogaulliste alors que sa propre ligne s'est effondrée sous ses propres contradictions. Jean-Pierre Chevènement n'a jamais voulu rompre avec la gauche. Finalement, il n'est jamais allé jusqu'au bout de sa pensée, restant un républicain modéré plutôt que d'aller tout droit au fascisme.

Mais ce que Jean-Pierre Chevènement n'a pas pu assumer, il est un de ses bons « élèves » qui l'a fait totalement : c'est Florian Philippot.

Sortie de HEC, la plus prestigieuse des écoles de commerce, et de l'ENA, l'École Nationale d'Administration, le passage obligé des cadres de la bourgeoisie d'Etat française, fervent défenseur de Jean-Pierre Chevènement en 2002 et toujours admiratif de lui, Florian Philippot a été le directeur de campagne de Marine Le Pen durant présidentielles de 2012.

Il est aujourd'hui un cadre important du mouvement fasciste français. Pour lui, Charles De Gaulle « est la référence absolue » et c'est lui qui a organisé et orienté la dimension néogaulliste du programme de Marine Le Pen.

Le programme de Marine Le Pen qui a essentiellement progressé et fonctionné grâce à une critique importante de l'Union Européenne et notamment de l'Euro.

Florian Philippot a été introduit auprès de Marine Le Pen grâce à Paul-Marie Coûteaux (son « ministre de la culture »). Ancien membre du Rassemblement pour la France de Charles Pasqua et Philippe de Villiers, membre fondateur d'ATTAC, Paul-Marie Coûteaux est une figure importante de la pensée néogaulliste française.

Il est proche d'une partie de l’extrême-droite française ; il intervient régulièrement sur Radio Courtoisie et affiche des sympathies pour certains courants royalistes. Pour les élections législatives 2012, il avait prôné un rapprochement entre le Front National et Debout La République, le parti de Nicolas Dupont-Aignan (dont il est proche et avec qui il a publié un livre regroupant des correspondances).

Nicolas Dupont-Aignan est une autre figure politique du néo-gaullisme. Plus économiste et technocratique que Marine Le Pen, il est longtemps resté dans le giron de la droite majoritaire française. Dans leurs correspondances, Paul-Marie Coûteaux lui reproche sa stratégie d'avoir tenter de représenter un courant « souverainiste » au sein de l'UMP.

En opposition à Nicolas Sarkozy notamment, il dénoncera largement « l'abandon des références gaullistes » du parti et présentera en mai 2004, dans la perspective du futur référendum français sur la constitution européenne, une motion intitulée « Pour une autre Europe ». Sa motion prônant le « non » au référendum n'obtiendra que 20 % des voix et marquera l'engagement pour le « oui » à la Constitution européenne d'une grande partie de la droite française.

Traversé de contradictions, le mouvement néogaulliste français est un magma idéologique et politique en pleine recomposition. Il regroupe de nombreuses tendances, parfois farouchement hostiles, auxquelles il faudrait ajouter des intellectuels plus « indépendants », mais non moins influents, tel Eric Zemmour, Natacha Polony, Christophe Guiluy.

Mais ce qui fait l'unité et la cohérence du mouvement néogaulliste français, c'est son rejet systématique de l'Union Européenne au profit d'une politique autonome pour l'impérialisme français, dans une dynamique qui mène de plus en plus directement au fascisme.

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