6 aoû 2013

La méthode de Descartes - 9e partie : l'éthique protestante sans protestantisme

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Descartes parvient donc à un bricolage incroyable : il bricole une perspective morale protestante sans protestantisme. L'individu se voit affirmer, mais sans donc le garde-fou que représente la Bible et ses valeurs.

C'est en ce sens que Descartes est apparu comme appartenant au matérialisme : en apparence, on a un être tourné vers la matière de manière rationnelle.

En réalité, un tel matérialisme est inatteignable pour la bourgeoisie en général ; seule la fraction la plus radicale, la plus démocratique, a pu assumer cette perspective. La bourgeoisie doit se contenter du protestantisme, et Descartes tente donc de le former dans des conditions très difficiles, il tente de contourner l’Église.

Voici comment Descartes procède : il admet que son esprit ressent des choses, mais comme il veut la « maîtrise » (tout comme le protestantisme le veut), il affirme son individualité en propre (là où le protestantisme le mettait sous la supervision des valeurs chrétiennes).

Voici comment il formule cela :

« Je fermerai maintenant les yeux, je boucherai mes oreilles, je détournerai tous mes sens, j'effacerai même de ma pensée toutes les images des choses corporelles, ou du moins, parce qu'à peine cela se peut-il faire, je les réputerai comme vaines et comme fausses; et ainsi m'entretenant seulement moi-même, et considérant mon intérieur, je tâcherai de me rendre peu à peu plus connu et plus familier à moi-même. 

Je suis une chose qui pense, c'est-à-dire qui doute, qui affirme, qui nie, qui connoît peu de choses, qui en ignore beaucoup, qui aime, qui hait, qui veut, qui ne veut pas, qui imagine aussi, et qui sent; car, ainsi que j'ai remarqué ci-devant, quoique les choses que je sens et que j'imagine ne soient peut-être rien du tout hors de moi et en elles-mêmes, je suis néanmoins assuré que ces façons de penser que j'appelle sentiments et imaginations, en tant seulement qu'elles sont des façons de penser, résident et se rencontrent certainement en moi. »

Mais quel intérêt d'utiliser Dieu pour cela ? Descartes aurait pu simplement utiliser les écrits soi-disant « révélés » (la Bible etc.), il n'avait pas besoin de faire une réflexion aussi approfondie sur Dieu, en apparence.

En réalité, il le devait, car il considère Dieu comme l'ensemble, et lui en tant qu'individu, est comme un Dieu dont de très nombreuses parts ont été retranchées.

Ici, Descartes reprend l'argumentation traditionnelle dans les religions juives et musulmanes. Dieu n'a pas des choses en plus, car il est parfait ; en réalité, ces sont les humains fait à son image qui ont des choses en moins : ils sont moins parfaits.

Plus on s'éloigne de la source, moins on est parfait. Descartes reprend à son compte cette argumentation afin de justifier son libre-arbitre et sa conquête du monde – à son niveau.

Voici ce qu'il dit :

« Il n'y a que la volonté seule ou la seule liberté du franc arbitre que j'expérimente en moi être si grande, que je ne conçois point l'idée d'aucune autre plus ample et plus étendue: en sorte que c'est elle principalement qui me fait connoître que je porte l'image et la ressemblance de Dieu. 

Car encore qu'elle soit incomparablement plus grande dans Dieu que dans moi, soit à raison de la connoissance et de la puissance qui se trouvent jointes avec elle et qui la rendent plus ferme et plus efficace, soit à raison de l'objet, d'autant qu'elle se porte et s'étend infiniment à plus de choses, elle ne me semble pas toutefois plus grande, si je la considère formellement et précisément en elle-même. Car elle consiste seulement en ce que nous pouvons faire une même chose ou ne la faire pas, c'est-à-dire affirmer ou nier, poursuivre ou fuir une même chose, ou plutôt elle consiste seulement en ce que, pour affirmer ou nier, poursuivre ou fuir les choses que l'entendement nous propose, nous agissons de telle sorte que nous ne sentons point qu'aucune force extérieure nous y contraigne. »

 

« Et c'est dans ce mauvais usage du libre arbitre que se rencontre la privation qui constitue la forme de l'erreur. 

La privation, dis-je, se rencontre dans l'opération, en tant qu'elle procède de moi, mais elle ne se trouve pas dans la faculté que j'ai reçue de Dieu, ni même dans l'opération, en tant qu'elle dépend de lui. 

Car je n'ai certes aucun sujet de me plaindre de ce que Dieu ne m'a pas donné une intelligence plus ample, ou une lumière naturelle plus parfaite que celle qu'il m'a donnée, puisqu'il est de la nature d'un entendement fini de ne pas entendre plusieurs choses, et de la nature d'un entendement créé d'être fini: mais j'ai tout sujet de lui rendre grâces de ce que ne m'ayant jamais rien dû, il m'a néanmoins donné tout le peu de perfections qui est en moi; bien loin de concevoir des sentiments si injustes que de m'imaginer qu'il m'ait ôté ou retenu injustement les autres perfections qu'il ne m'a point données. »

Descartes a réussi son tour de passe-passe : Dieu étant tout, l'individu qui n'est pas tout peut néanmoins saisir le monde conformément à son niveau. Le monde lui est donné et il peut en faire ce qu'il veut, à son niveau.

C'est précisément ce que demandait la bourgeoisie à Descartes comme formulation.

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