23 mai 2017

Que nous apprennent les soutiens financiers d'Emmanuel Macron ?

Submitted by Anonyme (non vérifié)

Suite au piratage informatique des données du mouvement En Marche !, connu sous le nom de « Macronleaks », des informations sur les financements de la campagne d’Emmanuel Macron ont été révélées.

L’origine de ces financements nous éclaire sur les forces sociales qu’Emmanuel Macron représente. En effet, une grande partie de ses soutiens est issue d’entreprises du numérique mais aussi, et surtout, de sociétés de capital-investissement. En témoigne la présence d’Emmanuel Miquel, cadre dirgeant chez Ardian, une société ce capital-investissement, comme trésorier d’En Marche ! Il s’agit là d’un aspect clé pour comprendre la nature de la présidence d’Emmanuel Macron et des dynamiques en présence.

La question des Entreprises de Taille Intermédiaire en France.

Dans le capitalisme, la concurrence tend à une concentration toujours plus grande du capital qui aboutit à l’apparition de trusts et de monopoles. Les besoins de financement gigantesques de l’industrie poussent les trusts des secteurs bancaires et industriels à fusionner en ce qu’on appelle le capital financier. Les monopoles et les banques ont donc tendance à dominer toujours plus la vie économique du pays. Dans Impérialisme stade suprême du capitalisme Lénine dit :

« Au fur et à mesure que les banques se développent et se concentrent dans un petit nombre d'établissements, elles cessent d'être de modestes intermédiaires pour devenir de tout-puissants monopoles disposant de la presque totalité du capital-argent de l'ensemble des capitalistes et des petits patrons, ainsi que de la plupart des moyens de production et de sources de matières premières d'un pays donné, ou de toute une série de pays. 

Il en résulte, d'une part, une fusion de plus en plus complète ou, suivant l'heureuse formule de N. Boukharine, une interpénétration du capital bancaire et du capital industriel, et, d'autre part, la transformation des banques en établissements présentant au sens le plus exact du terme un "caractère universel". »

Cependant, bien qu’affaibli le capital industriel indépendant continue d’exister et tente de résister. En France, il a notamment profité de la fin de la Seconde Guerre mondiale et de la relance du cycle d’accumulation des « Trente Glorieuses » pour se renforcer. Toutefois la crise généralisée du capitalisme renforce la concentration capitalistique et l’agressivité des monopoles.

Lien vers le dossier : Les fondements du capital selon Karl MarxL’une des caractéristiques du capitalisme français est la quasi absence d’entreprises avec une taille intermédiaires entre les PME et les grandes entreprises monopolistiques. Contrairement à ce que l’on peut trouver en Allemagne avec le Mittelstand.

C’est un véritable problème pour le capitalisme français qui perd en compétitivité du fait de son incapacité à répondre aux appels d’offre à l’étranger en terme de volumes (taille de l’entreprise) comme en terme de souplesse (inertie des très grandes entreprises) et de ce fait peine à trouver des débouchés pour ses marchandises, ce qui se traduit par une balance commerciale largement négative. En effet, le déficit commercial, le rapport entre les exportations et les importations, de l'économie française est de 48,1 Milliards d’euros en 2016, et le solde des transactions courantes diminue de manière continue depuis 10 ans.

Ces Entreprises de Taille Intermédiaire (ETI) sont surreprésentées dans le secteur industriel. Ainsi, selon l’INSEE, en 2011, 33 % des salariés du secteur industriel travaillaient dans des ETI contre 19 % pour les autres entreprises.

Le problème est que la concentration est telle, le secteur bancaire tellement puissant et intriqué avec le secteur industriel, que les ETI ont du mal à exister face à la concurrence des monopoles et des trusts.

Pour se donner une idée de la financiarisation de l’économie française, on peut comparer les classements des 10 plus grandes entreprises françaises et allemandes en 2015. On constate ainsi qu’en France 4 sont des banques ou des assurances contre une seule en Allemagne.

Le capitalisme industriel, en position de force sous la présidence de Nicolas Sarkozy, a donc logiquement tout fait pour pousser à l’émergence de ces Entreprises de Taille Intermédiaire (ETI). Le modèle capitaliste allemand étant alors érigé en modèle. C’est d’ailleurs à la suite du rapport Attali (aujourd’hui soutien d’Emmanuel Macron) que la catégorie statistique ETI a été créée.

Les ETI sont donc de grandes entreprises majoritairement industrielles, non cotées en bourse, c’est-à-dire peu pénétrées par le capital bancaire, et souffrant de la concurrence des monopoles. En réalité, il s’agit de la cible même des sociétés de capital-investissement. Voyons quel est le rapport entre les deux.

Le capital-investissement, secteur bancaire industriel non-monopolistique

Liens vers le dossier : Lénine et la notion d'impérialismeLe capitalisme bancaire n’est pas monolithique, il existe des sous niveaux, des différences qu’il convient d’analyser. Le capital-investissement en fait partie.

Les sociétés de capital-investissement (private-equity en anglais) sont des sociétés bancaires qui investissent directement dans les entreprises non-cotées en bourse quand celles-ci ont besoin de capital pour croître ou se redresser.

Par exemple une PME industrielle peut se développer mais à un moment elle a besoin d’investissement conséquents pour pouvoir s’affirmer sur le marché et faire face à la concurrence. Par exemple elle aura besoin d’un laboratoire de recherche, de recruter des commerciaux, de nouveaux robots, d’une nouvelle usine, de nouveaux bureaux etc. Cependant ces sociétés n’ont ni la taille ni la volonté pour ouvrir leur capital en bourse. C’est à ce moment-là que les sociétés de capital-investissement interviennent en apportant les capitaux nécessaires en l’échange de participations dans l’entreprise.

Le capital-investissement a donc trois aspects caractéristiques. Premièrement, il ne s’adresse qu’aux entreprises non-cotées, donc plus petites que les trusts et les monopoles, souvent avec une détention familiale du capital et surtout moins financiarisées. Deuxièmement, les sociétés de capital-investissement misent sur la croissance des entreprises pas sur leur prise de valeur du fait de l’offre et la demande : il s’agit d’investissement à long terme ne profitant pas ou peu d’effets spéculatifs. Troisièmement enfin, le secteur des sociétés de capital-investissement est relativement peu concentré et il existe encore un certain nombre d’acteurs de petite ou moyenne taille. Il s’agit en fait d’une partie du secteur bancaire peu monopolistique.

Et le secteur du capital-investissement a le vent en poupe en France. Ainsi entre 2015 et 2016, le secteur a vu une augmentation de 51 % des levées de fond (les fonds de l’épargne internationale dirigés vers ces investissements), principalement dans le capital-développement (c’est-à-dire l’investissement en vue de faire grossir l’entreprise) et le capital-innovation (investissement pour développer de nouvelles technologies).
Près de 1900 entreprises (+20%) en ont bénéficié pour un investissement direct de la part des sociétés de capital-investissement, une hausse de 15 %.

L’industrie classique y représente la majorité des investissement en volumes financiers, mais les entreprises du numérique y arrivent en tête en terme de nombre

Dès lors comment comprendre le soutien des sociétés de capital-investissement à Emmanuel Macron ?

Nous voyons bien que la candidature d’Emmanuel Macron est le reflet de cette offensive économique de la partie dynamique du capitalisme industriel et de la partie du capital bancaire qui lui est liée.

Emmanuel Macron a d’ailleurs travaillé plusieurs années pour la société de capital-investissement Rothschild & Cie au service des « fusacqs », c’est à dire les fusions acquisition d’entreprises.

Rothschild & Cie n’est pas spécialisée dans la spéculation bancaire agressive et dangereuse des fonds spéculatifs, comme peuvent l'être par exemple la Société Générale ou le Crédit Lyonnais, mais dans l’investissement à moyen-long terme pour des entreprises ou des fortunes personnelles.

Elle est, comme la banque Lazard de Matthieu Pigasse proche d'Arnaud Montebourg, fortement liée au capitalisme industriel. Et c’est au sein de cette banque qu’Emmanuel Macron trouvera une partie des relais nécessaires au soutien de sa campagne.

Dès lors nous pouvons résoudre un paradoxe apparent. En effet, comment peut-on être un candidat soutenu par la bourgeoisie industrielle en concurrence avec les monopoles et en même temps soutenu par une partie du secteur bancaire traditionnellement allié aux monopoles ?

Emmanuel Macron représente les entreprises industrielles non cotées en bourse, peu pénétrées par le secteur bancaire, à actionnariat largement familial et c’est pour cela qu’il est soutenu par le secteur bancaire lié à ces entreprises. Il est le candidat des entreprises pré-monopolistique et du capital bancaire encore peu concentré n’ayant pas complètement fusionné avec la grande industrie.

Ces entreprises ne sont pas encore sous la coupe des monopoles car pour beaucoup issues de nouveaux secteurs (le numérique, les biotechnologies, la petite robotique) et de la restructuration des flux de production au niveau mondial (mondialisation, « dématérialisation » , plateformes, etc.). Mais ces entreprises se situant en pointe de marchés très dynamiques ont une démarche de développement agressive et visent à devenir rapidement plus grandes et plus fortes pour conquérir des marchés hors de France.

Ces entreprises ne sont pas encore monopolistes mais visent clairement à le devenir. Elles considèrent d'une part que les monopoles bancaires ne jouent pas leur rôle en ne finissant pas assez l'économie françaises et d'autre part que les vieux monopoles français sont comme « endormis ».

Emmanuel Macron représente aussi une partie des trusts liés aux hautes technologies, donc en lien étroit avec les ETI, comme Airbus ou les télécoms. Des trusts très dynamiques ne misant pas uniquement sur l’aspect rentier, s’appuyant très fortement sur le marché européen et ayant intérêt à une modernisation du capitalisme français.

Emmanuel Macron est il soutenu par le capital bancaire ? Oui, mais pas seulement et pas par n’importe quelle partie.

C’est ainsi qu’il faut comprendre le « libéralisme égalitaire » d’Emmanuel Macron. Il correspond au besoin d'une partie du capital industriel qui vise à s’élancer tout en étant protégé des monopoles.

C’est aussi de cette manière qu’il faut comprendre l’opposition d’Emmanuel Macron au fascisme. En effet, le fascisme représente les monopoles traditionnels et leur tendance à étendre leur emprise sur toute la société pour la faire fonctionner dans leur intérêt unique. Cette tendance à l’écrasement brutal de toute forme de concurrence.

Lien vers le dossier : PCF(mlm)/Pour une démocratie populaire

Cela fait que, conjoncturellement, la bourgeoisie industrielle représentée par Emmanuel Macron est opposée aux les monopoles et au fascisme ; et que dans le cadre de la lutte antifasciste elle a pu être une alliée pour la défense de la démocratie bourgeoise.

Mais en voulant renforcer le capital industriel et en s’appuyant sur le capital bancaire, qui aura tendance à toujours plus se renforcer et à pénétrer des entreprises de plus en plus concentrées, Emmanuel Macron crée les monopoles de demain. Il représente, certes, les entreprises qui ne sont pas des monopoles, mais qui souhaitent se renforcer pour le devenir et prendre la tête de l'économie française.

Le côté énergique, mobilisateur et volontariste du mouvement En Marche ! témoigne de l’élan de ces entreprises du numérique et des nouvelles technologies qui partent à la conquête des marchés internationaux. Cet élan conquérant ayant pour but de faire émerger les trusts de demain.

La bourgeoisie industrielle ne peut donc pas réellement contrer le fascisme. La mobilisation des masses progressistes est indispensable pour mettre en place un régime de démocratie populaire capable de contrôler et de briser les monopoles qu'ils soient traditionnels ou à venir.

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