7 Jan 2015

L'oeuvre de réhabilitation du décadentisme dans « Soumission » de Michel Houellebecq

Submitted by Anonyme (non vérifié)

Un roman, c'est une œuvre de fiction qui obéit à des critères : soit il s'agit d'un roman avec un héros traditionnel, soit d'un roman réaliste dressant le portrait synthétique propre à une époque, ou bien c'est un roman moderne avec un anti-héros dans l'optique de refuser à la fois le principe de narration et celui de personnage.

La bourgeoisie traditionnelle soutient la première forme, le matérialisme dialectique la seconde, le post-modernisme et le fascisme la troisième.

Soumission, le roman de Michel Houellebecq qui sort aujourd'hui, tend naturellement à être un roman moderne, c'est-à-dire l'expression tourmentée et décousue d'un anti-héros se marginalisant et dressant un tableau cynique du monde en contradiction avec ses « pulsions vitales ».

Dans Soumission, cela se concrétise par un anti-héros faisant un éloge de l'écrivain symboliste Joris-Karl Huysmans (1848-1907), dans une atmosphère littéraire aristocratique où l'on retrouve des noms comme ceux de Léon Bloy, Jean Lorrain, Jules Barbey d'Aurevilly, tous connus personnement de Joris-Karl Huysmans par ailleurs, et formant le courant décadentiste, mélangeant romantisme et drogues, éloge d'un passé idéalisé et élitisme, raffinement dandy et pessimisme désabusé, etc.

Il ne faut pas oublier non plus les inévitables références aux poètes maudits, fascinés par la « marge » élitiste littéraire, avec Stéphane Mallarmé, Jules Laforgue, Jean Moréas, Tristan Corbière, etc.

Tel est le monde imaginaire de l'anti-héros qui est un littéraire élitiste, devenu un professeur d'université aigri couchant avec des étudiantes, constatant passivement la chute de l'occident, exactement comme le fait l'anti-héros du Rivage des Syrtes de Julien Gracq.

Voici quelques lignes où l'on a le point typiquement houellebecquien de l'anti-héros de Soumission, c'est-à-dire une sorte de vitalisme affaibli, décadent au point d'être ratatiné et de saluer le glauque comme source d'identité, classiquement dans l'esprit de l'existentialisme :

Je n'avais même pas envie de baiser, enfin j'avais un peu envie de baiser mais un peu envie de mourir en même temps, je ne savais plus très bien en somme, je commençais à sentir monter une légère nausée, qu'ils foutaient Rapid'Sushi merde ? J'aurais dû lui demander de me sucer, à ce moment précis, ça aurait pu donner une deuxième chance à notre couple, mais je laissai le malaise s'insteller, augmenter de seconde en seconde.

Car là est le fond de la question : Soumission n'est pas un roman, mais un essai existentialiste, qui en raison de la crise générale du capitalisme assume ouvertement le vitalisme (tout comme l'existentialisme post-moderne antiraciste assume désormais ouvertement le vitalisme racialiste, qui hier chez Frantz Fanon se masquait encore pour paraître progressiste).

Voici un autre passage de la même veine, où l'on retrouve le fabuleux Nick Drake hold-upé pour former un anti-héros « sensible », se posant des questions existentielles de manière permanente, et cherchant une solution dans un possible vitalisme, tout comme dans les romans d'Albert Camus sauf que dans les années 1940-1950, il masquait ce vitalisme tout comme le faisait l'école d'Uriage :

« J'exposai ces idées [quant au point de vue de Maupassant sur Huysmans] dans un bref article pour le Journal des dix-neuvièmistes, qui m'apporta une distraction de quelques jours, bien supérieure à celle offerte par la campagne électorale, mais ne m'empêcha pas le moins du monde de repenser à Myriam.

Elle avait dû être une ravissante petite gothique, au temps pas si lointain de son adolescence, avant de devenir une jeune fille plutôt classe avec ses cheveux noirs coupés au carré, sa peau très blanche, ses yeux sombres ; classe mais sobrement sexy ; et, surtout, les promesses de son érotisme discret étaient bien davantage que tenues. L'amour chez l'homme n'est rien d'autre que la reconnaissance pour le plaisir donné, et jamais personne ne m'avait donné autant de plaisir que Myriam.

Elle pouvait contracter sa chatte à volonté (tantôt doucement, par lentes pressions irrésistibles, tantôt par petites secousses vives et mutines) ; elle tortillait son petit cul avec une grâce infinie avant de me l'offrir. Quant à ses fellations, je n'avais jamais rien connu de semblable, elle abordait chaque fellation comme si c'était la première, et que ce devait être la dernière de sa vie. Chacune de ses fellations aurait suffi à justifier la vie d'un homme. Je finis par l'appeler, après avoir encore tergiversé quelques jours ; nous convînmes de nous voir le soir même (…).

« Ça ne t'ennuie pas que je te dise que tu es un macho ? — Je ne sais pas, c'est peut-être vrai, je dois être une sorte de macho approximatif ; en réalité je n'ai jamais été persuadé que ce soit une si bonne idée que les femmes puissent voter, suivre les mêmes études que les hommes, accéder aux mêmes professions, etc. Enfin on s'y est habitués, mais est-ce que c'est une bonne idée, au fond ? »

Elle plissa les yeux avec surprise, pendant quelques secondes j'eus l'impression qu'elle se posait véritable-ment la question, et du coup moi aussi je me la posai, un bref instant, avant de me rendre compte que je n'avais pas .de réponse à cette question, pas davantage qu'à aucune autre. « Tu es pour le retour au patriarcat, c'est ça ?

— Je ne suis pour rien du tout, tu le sais bien, mais le patriarcat avait le mérite minimum d'exister, enfin je veux dire en tant que système social il persévérait dans son être, il y avait des familles avec des enfants, qui reproduisaient en gros le même schéma, bref ça tournait ; là il n'y a plus assez d'enfants, donc c'est plié.

— Oui, en théorie ni es un macho, il n'y a aucun doute. Mais tu as des goûts littéraires raffinés : Mallarmé, Huysmans, c'est sûr que ça t'éloigne du macho de base. J'ajoute à ça une sensibilité féminine, anormale, pour les tissus d'ameublement. Par contre, tu t'habilles toujours comme un plouc. Un personnage de macho grunge, ça pourrait avoir une certaine crédibilité ; mais tu n'aimes pas ZZ Top, tu as toujours préféré Nick Drake. Bref, tu es une personnalité paradoxale. »

Ce qu'on a ici,c'est typiquement le pseudo-criticisme ténébreux à la Louis-Ferdinand Céline. Sauf qu'on n'a pas vraiment ici un roman, par ailleurs fort mal écrit plus que traditionnellement expérimental-décadent à la Céline ; il s'agit surtout un documentaire fictif se déroulant dans le futur afin de recréer aujourd'hui une ambiance intellectuelle, Michel Houellebecq s'imaginant éventuellement alors tel un nouveau Joris-Karl Huysmans, dans une sorte de mise en abyme où Michel Houellebecq aimerait qu'on le lise tel lui lit Joris-Karl Huysmans.

C'est cela, le plus important : c'est la tentative de présenter une certaine atmosphère intellectuelle.

Les médias ne l'ont pas vu, se contentant de souligner que dans la France de 2022 décrite dans le roman, la « Fraternité musulmane » est un parti faisant 20 % et ayant accès au pouvoir en s'alliant aux socialistes (ainsi qu'aux centristes), contre le Front National (qui fait plus de 30 % aux élections présidentielles).

En réalité, ce qui est dénoncé par Michel Houellebecq, c'est Albert Camus et Jean-Paul Sarte en tant qu'existentialisme non décadentiste. La question de l'Islam n'est qu'un prétexte pour avancer le thème de la décadence, et souligner inversement l'importance des romanciers néo-décadentistes, dont Michel Houellebecq serait la figure de proue.

C'est pour cela que le grand thème est la culture : lorsque la « Fraternité musulmane » s'allie au Parti Socialiste dans le roman, elle ne s'intéresse ni à l'économie ni au ministère de l'intérieur, mais uniquement à l'éducation.

Cette intervention « islamique » dans l'éducation bouleverse la situation des professeurs, dont l'anti-héros du roman de Michel Houellebecq, et c'est cela le vrai thème : la défense de la « marge » élitiste littéraire.

L'ouvrage se conclut d'ailleurs par une dénonciation des « identitaires » cherchant à régénérer l'Europe mais capitulant et finissant par admettre sa décadence, en soutenant par la suite l'Islam comme nouveau projet idéaliste (la grande figure étant ici le mystique ultra-conservateur René Guénon).

Ce qu'on trouve dans Soumission, ce n'est pas un débat politique, mais une ambiance culturelle. L'arrière-plan de guerre civile, avec des « identitaires » hésitant entre infiltrer l'armée et lancer la lutte armée, n'est là que pour le sensationnel, même si l'auteur exprime une sympathie très claire pour eux.

On se souvient d'ailleurs d'Anders Behring Breivik, l'assassin norvégien qui avait tué en masse des jeunes socialistes afin de protester contre l'évolution de la société de son pays. Il avait écrit un très long document, que nous avions alors analysé et présenté sur notre média.

Il ne fallait bien sûr pas y voir quelque chose de construit idéologiquement ou socialement ; c'était une construction romantique. L'écrivain Michel Houellebecq possède une perspective similaire, pourfendant pareillement les sociaux-démocrates et la perte des valeurs « occidentales » en raison de la « société de consommation » et du « pouvoir de l'argent », et s'affirmant régulièrement non-antisémite, dans une optique pro-israélienne toutefois, et présentant Israël comme un rempart « occidental ».

Cependant, cet aspect occidentaliste-réactionnaire n'est rien comparé au véritable but : contribuer à la révolution culturelle fasciste qui s'opère depuis quelques années. Michel Houellebecq présente réhabilite les décadentistes, tout comme Hubert-Félix Thiéfaine présentait et réhabilitait il y a peu Louis-Ferdinand Céline et Pierre Drieu La Rochelle à l'occasion de son nouvel album ; tel est le prolongement du « Mai 1968 » de droite qui est l'arrière-plan de la société française actuellement.

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