12 juil 2018

Le Parnasse - 3e partie : le Parnasse contemporain

Submitted by Anonyme (non vérifié)

Le terme de Parnasse désignant le mouvement provient d'une série de 18 recueils de poésie paru du 3 mars au 30 juin 1866, à l'initiative de Louis-Xavier de Ricard et Catulle Mendès, intitulée le Parnasse contemporain. La faillite économique immédiate du projet dès le premier numéro et avant même sa diffusion n'empêcha finalement pas sa réussite, grâce à l'intervention du libraire Alphonse Lemerre.

L'ensemble fut rassemblé dans un gros recueil publié le 27 octobre 1866. Par la suite, une nouvelle série fut publiée du 20 octobre 1869 jusqu'au milieu de l'année 1871, et rassemblé pareillement. Le troisième recueil fut publié directement sous la forme de fascicule, le 16 mars 1876.

37 poètes participèrent au premier, 56 au second, 63 au troisième, soit au total 99 poètes différents. Peu d'auteurs participèrent aux trois ; il faut noter ici Louis-Xavier de Ricard (10 poèmes, puis 2 et enfin 1), Albert Mérat (8 poèmes, puis 7 et 4), Henri Cazalis (8 poèmes, puis 2, puis 6), Catulle Mendès (5 poèmes, puis 7 et 1), Léon Dierx (7 poèmes puis 5 et enfin 8), José-Maria de Heredia (6 poèmes puis 1, puis 25), Léon Valade (5 poèmes, puis 4 et enfin 4), Leconte de Lisle (10 poèmes puis 1 et 1), Sully Prudhomme (4 poèmes, puis 5 et 1), Armand Renaud (4 poèmes, puis 1 et 1).

Il faut néanmoins noter des figures importantes pour le premier recueil et peu ou pas présentes par la suite. On y trouve en effet pas moins de 16 poèmes de Charles Baudelaire, 8 de Paul Verlaine, 11 de Stéphane Mallarmé, 11 d'Arsène Houssaye.

La figure principale du mouvement fut, historiquement, Leconte de Lisle, dont voici un poème célèbre, paru alors dans le premier Parnasse contemporain.

Le Rêve du jaguar

Sous les noirs acajous les lianes en fleur,
Dans l’air lourd, immobile et saturé de mouches,
Pendent, et s’enroulant en bas parmi les souches,
Bercent le perroquet splendide et querelleur,
L’araignée au dos jaune et les singes farouches.
C’est là que le tueur de bœufs et de chevaux,
Le long des vieux troncs morts à l’écorce moussue,
Sinistre et fatigué, revient à pas égaux.
Il va, frottant ses reins musculeux qu’il bossue ;
Et, du mufle béant par la soif alourdi,
Un souffle rauque et bref, d’une brusque secousse,
Trouble les grands lézards, chauds des feux de midi,
Dont la fuite étincelle à travers l’herbe rousse.
En un creux du bois sombre interdit au soleil,
Il s’affaisse, allongé sur quelque roche plate ;
D’un large coup de langue il se lustre la patte,
Il cligne ses yeux d’or hébétés de sommeil ;

Et, dans l’illusion de ses forces inertes,
Faisant mouvoir sa queue et frissonner ses flancs.
Il rêve qu’au milieu des plantations vertes,
Il enfonce d’un bond ses ongles ruisselants
Dans la chair des taureaux effarés et beuglants.

En voici un autre, toujours dans le premier Parnasse contemporain, de Charles Baudelaire, très finement ciselé lui aussi, avec une tentative d'aller dans le sens de la mélodie, avec le jet d'eau comme prétexte.

Le Jet d'eau

Tes beaux yeux sont las, pauvre amante!
Reste longtemps, sans les rouvrir,
Dans cette pose nonchalante
Où t'a surprise le plaisir.
Dans la cour le jet d'eau qui jase,
Et ne se tait ni nuit ni jour,
Entretient doucement l'extase
Où ce soir m'a plongé l'amour.

La gerbe épanouie
En mille fleurs,
Où Phoebé réjouie
Met ses couleurs,
Tombe comme une pluie
De larges pleurs.

Ainsi ton âme qu'incendie
L'éclair brûlant des voluptés
S'élance, rapide et hardie,
Vers les vastes cieux enchantés.
Puis elle s'épanche, mourante,
En un flot de triste langueur,
Qui par une invisible pente
Descend jusqu'au fond de mon coeur.

La gerbe épanouie
En mille fleurs,
Où Phoebé réjouie
Met ses couleurs,
Tombe comme une pluie
De larges pleurs.

Ô toi, que la nuit rend si belle,
Qu'il m'est doux, penché vers tes seins,
D'écouter la plainte éternelle
Qui sanglote dans les bassins!
Lune, eau sonore, nuit bénie,
Arbres qui frissonnez autour,
Votre pure mélancolie
Est le miroir de mon amour.

La gerbe épanouie
En mille fleurs,
Où Phoebé réjouie
Met ses couleurs,
Tombe comme une pluie
De larges pleurs.

Cet esprit expérimentateur dans le style dans le cadre de la description commentée d'un objet ou d'un phénomène se retrouve dans le poème suivant de Verlaine ; on retrouve ainsi à la fois Charles Baudelaire et Paul Verlaine dans le premier Parnasse contemporain, ce qui est important dans l'histoire de la littérature.

On remarquera par ailleurs que le poème suivant témoigne déjà du grand travail mélodique effectué par Paul Verlaine.

MARINE

L’Océan sonore
Palpite sous l’œil
De la lune en deuil
Et palpite encore,

Tandis qu’un éclair
Brutal et sinistre
Fend le ciel de bistre
D’un long zigzag clair,

Et que chaque lame
En bonds convulsifs,
Le long des récifs
Va, vient, luit et clame,

Et qu’au firmament
Où l’ouragan erre,
Rugit le tonnerre
Formidablement.

On retrouve également le poème suivant de Paul Verlaine, plus conforme en un certain sens à l'esprit du Parnasse avec cette idée de prendre quelque chose comme prétexte pour exprimer quelque chose de manière ciselée, et surtout de se fixer à cette chose : Paul Verlaine vise davantage de profondeur, même ici de manière assez significative d'ailleurs.

L'oeuvre est, sans aucun doute, d'une grande ampleur, d'une grande aisance, avec un sens réel du rythme, de la mélodie, conformément aux meilleurs travaux de cet auteur fondamentalement inégal.

MON RÊVE FAMILIER

Je fais souvent ce rêve étrange et pénétrant
D’une femme inconnue, et que j’aime, et qui m’aime,
Et qui n’est, chaque fois, ni tout à fait la même,
Ni tout à fait une autre, et m’aime, et me comprend.

Car elle me comprend, et mon cœur, transparent
Pour elle seule, hélas ! cesse d’être un problème
Pour elle seule, et les moiteurs de mon front blême,
Elle seule les sait rafraîchir, en pleurant.

Est-elle brune, blonde ou rousse ? — Je l’ignore.
Son nom ? Je me souviens qu’il est doux et sonore
Comme ceux des aimés que la Vie exila.

Son regard est pareil au regard des statues,
Et, pour sa voix lointaine et calme, et grave, elle a
L’inflexion des voix chères qui se sont tues.

Voici un poème de Louis-Xavier de Ricard, toujours du premier Parnasse contemporain ; c'est un sonnet dit estrambote, d'une pratique espagnole d'ajouter quelques vers tout à la fin. Il y a ainsi la chute traditionnelle du sonnet, mais également, par ces quelques vers, une sorte de note d'esprit qui vient se surajouter.

Cela reflète également la recherche stylistique, esthétique, du Parnasse.

L’HIVER

SONNET ESTRAMBOTE

Une nuit grise emplit le morne firmament ;
Comme un troupeau de loups, errant à l’aventure
Dans la nuit, et rôdant autour de leur pâture,
Le vent funèbre hurle épouvantablement.

Le brouillard, que blanchit un tourbillonnement
Neigeux, se déchirant ainsi qu’une tenture,
On voit, parfois, au fond d’une sombre ouverture,
Le soleil rouge et froid qui luit obscurément.

Mais, tous deux, ayant clos les rideaux des fenêtres,
Mollement enlacés et mêlant nos deux êtres
Dans un fauteuil profond devant un feu bien clair ;

Nous nous aimons ; nos yeux parlent avec nos lèvres
Frémissantes ; et nous sentons dans notre chair
Courir le frisson chaud des amoureuses fièvres.

Tu peux durer longtemps encore, ô sombre hiver.
Car, réchauffés toujours au feu de leurs pensées,
Nos cœurs ne craignent point tes ténèbres glacées.

Comme on le voit, le Parnasse n'est pas une réalisation forcée, mais bien le produit de tout un mouvement intellectuel, avec des écrivains de haute volée.