18 déc 2015

La peinture des ambulants russes - 9e partie : le rôle de Vassili Perov

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Il serait erroné de penser que l'académie et l'association formaient deux blocs absolument distincts, en confrontation unilatérale. En effet, le régime russe était autocratique, mais la monarchie absolue tentait de trouver un chemin. Cela fait qu'au sein de l'académie, il existait une contradiction entre les forces rigoureusement féodales et conservatrices, et celles partisanes de la monarchie absolue et donc de la modernisation.

L'une des figures clefs qui témoigne de ce conflit est le peintre Vassili Perov (1834-1882). Rentré à l'académie en 1853, il va avoir une carrière pratiquement exemplaire au sein de celle-ci, tout en étant indubitablement un titan du réalisme. Il obtient ainsi une médaille d'argent dès 1856, pour l'esquisse d'une tête de garçon ; il obtient la même récompense en 1858 pour le tableau L'Arrivée du chef de la stanitza pour l'enquête, dont le réalisme et l'engagement en faveur du peuple est indubitable.

Par la suite, il obtient deux médailles d'or en 1860, pour La Scène sur la tombe, Le Fils du sacristain promu au premier grade de la Table des rangs, et une nouvelle en 1861 pour le tableau Le Sermon dans le village. Voici les œuvres (cliquer pour agrandir, comme les suivantes), qui sont caractéristiques du réalisme russe. Le premier tableau décrit la misère du peuple et comment la religion n'est véritablement qu'une vaine tentative de consolation.

Le second montre la vanité, en l'occurrence d'avancer au premier rang d'un vaste système pratiquement de castes. Le troisième montre les différences de classe dans l'église, avec les pauvres qui sont pieux, alors que le riche s'endort et que sa femme écoute ce que lui raconte celui qu'on devine être son amant.

Ces œuvres sont évidemment agressives pour le régime, et pourtant Vassili Perov a pu faire carrière à l'académie. Ses autres œuvres sont dans la même perspective ; voici Repas au monastère, de 1876 ; qui présente de manière particulièrement offensive l'honteuse démarche des prêtres orthodoxes et des classes dominantes. Les humbles, les pauvres, sont ici présentés comme l'aspect principal d'une société injuste, de type aristocratique-féodale.

La procession de Pâques (1861) est également un tableau fameux de Perov, avec une présentation exemplaire et typique du peuple. Encore une fois, la religion est présentée comme un refuge, avec une incapacité de celle-ci d'être à la hauteur, montrant son caractère vain.

Deux autres œuvres témoignent directement de l'incroyable maîtrise réaliste de Vassili Perov. Le réalisme, ce n'est pas qu'un portrait : c'est un portrait typique. Dans le tableau suivant, Troïka (1866), il est vrai que Vassili Perov force le trait de l'expression, mais c'est justement pour souligner la dimension typique. L'opposition entre les enfants, accompagné du chien fidèle, avec les adultes à l'arrière-plan souffrant, disparaissant pratiquement dans le brouillard, est d'un contraste saisissant.

On retrouve le chien fidèle et agressif car protecteur dans Le dernier adieu, terrible tableau de 1865, où le cheval ploie sous la difficulté, autant que l'adulte - une femme - alors qu'un enfant s'agrippe à un cercueil - celui du mari -, le second enfant apparaissant comme malade. C'est là un portrait qui dépasse ce qu'on voit, le particulier, pour atteindre le général. C'est toute une société qu'on lit dans ce tableau.

Vassili Perov a une capacité certaine à présenter les situations typiques, dans toute leur densité, leur profondeur, tout en ajoutant un élément de noire ironie, un petit détachement qui permet de contribuer à l'esprit de dénonciation d'un certain type de situation. C'est particulièrement frappant avec La nouvelle gouvernante, tableau de 1866.

Vassili Perov n'a pas hésite à présenter des situations typiques de la vie du peuple. Il prend des situations précises, qu'il présente dans toute leur dignité, la dignité du réel. Voici La queue au réservoirLa dernière taverne à la porte de la ville.

Dans certains cas, Vassili Perov souligne davantage le caractère jovial du peuple, plutôt que son activité lui-même. On présente ici le peuple plus pour ce qu'il est que pour ce qu'il fait. Voici Sur la voie ferrée, Les chasseurs se reposent, ainsi que L'oiseleur. On y retrouve une forme de bonhomie, une certaine vision des rapports intimes, tout un style populaire.

Il est d'autant plus frappant que Vassili Perov ait pu faire un parcours dans l'académie, alors qu'il se situait aux premières loges du réalisme. Voici son portrait du dramaturge réaliste russe Alexandre Ostrovski, qui est pas moins que le fondateur du théâtre national dans son pays. Suivent le portrait du très célèbre écrivain Fiodor Dostoïevski, et celui de Vladimir Dahl, qui a compilé 30 000 proverbes et dictons russes dans son Dictionnaire raisonné du russe vivant.

L'État finança même en 1962 un voyage à Vassili Perov, dans différentes villes allemandes et à Paris. Voici des tableaux présentant un aspect de Paris. Il est à noter ici que c'est Vassili Perov lui-même qui demande à rentrer plus tôt en Russie :

« Le manque de connaissance du caractère et de la vie morale du peuple me rend impossible le fait de terminer une quelconque de mes œuvres. »

Malgré son positionnement, Vassili Perov enseigna même à l'académie de 1871 à à sa mort 1882, alors que dans la seconde moitié des années 1860 il avait rejoint l'association des itinérants. Il servit donc d'agent catalyseur au sein même de l'académie, pavant la voie au triomphe général des peintes itinérants (ou ambulantes). Le réalisme, en tant que vecteur du progrès, avançait culturellement et idéologiquement, s'affrontant avec le féodalisme.