15 oct 1970

Revue Fédayin (1970)

Submitted by Anonyme (non vérifié)
[Ces 2 textes sont parues dans la revue "Fédayin" d'octobre 1970, juste après le septembre noir. La revue était distribuée en France par la Gauche Prolétarienne et les Comités Palestine et avait été fondée par Mahmoud Hamchari.]

NON A L’ETAT PALESTINIEN FANTOCHE

En juin 1970, les forces armées royales jordaniennes ont tenté, sur le conseil de leurs maîtres de Washington, d’écraser la Révolution palestinienne. Leur échec, total, a été vivement ressenti par les forces réactionnaires et par les capitulards du Moyen­-Orient et du monde entier.
 
Aussi ces forces, conscientes du danger que la Révolution palestinienne représente pour leurs intérêts dans cette région du monde, ont essayé de regrouper leurs dispositifs, d’oublier provisoirement leurs contradictions, et de former un front assez vaste pour pallier l’impuissance des forces jordaniennes  fantoches.
 
C’est pourquoi le plan Rogers a été proposé aux gouvernements arabes capitulards et au gouvernement sioniste ; l’auteur le souligne dans le premier paragraphe de son projet : « Les derniers développements au Proche­-Orient, y compris les derniers événements de Jordanie m’ont convaincu que nous devons réagir vite pour résoudre l’impasse actuelle qui empêche une solution pacifique.
 
Je crois que la situation est critique et grave, que la Jordanie et les Etats­Unis ont des rapports amicaux et étroits et que nous devons collaborer pour notre commun bénéfice. Nous nous adressons particulièrement aux milieux responsables de votre gouvernement, qui peuvent jouer un rôle important, pour qu’ils collaborent avec nous, et que nous saisissions cette occasion, dont la perte entraînera des résultats douloureux que nous regretterons »
 
En dépit de ces efforts de coordination, de la complicité des régimes capitulards, en dépit de la collaboration de l’aviation israëlienne, les forces fascistes étaient incapables d’anéantir les forces de la révolution. Aussi, comme la défaite de juin avait donné naissance au plan Rogers, la défaite de septembre a obligé les forces réactionnaires à changer de tactique et à chercher une autre issue. Selon les journaux et les milieux « bien informés », elles l’ont trouvée  dans la création d’un « Etat palestinien ».

POURQUOI UN « ETAT PALESTINIEN » ?

Le but principal des ennemis du peuple palestinien est l’anéantissement des forces de la révolution palestinienne, par une bataille indirecte, par un affrontement sanglant, ou par un complot international. L’héroïsme des combattants, la participation des masses palestino­jordaniennes au combat, l’appui des masses arabes, l’émotion de l’opinion mondiale, qui voyait clairement le génocide, ont fait échouer l’opération décisive.
 
Il fallait désormais faire face à cette « réalité nouvelle » (selon l’expression même de la presse liée à l’impérialisme) qu’est le peuple palestinien : vingt­deux ans après le crime commis contre lui par les impérialistes et les sionistes, vingt-­deux ans pendant lesquels on a nié son existence même, pendant lesquels on l’a rejeté au rang de masse de réfugiés contraints de chercher un abri dans les Etats arabes, à mendier un morceau de pain, à émigrer loin, vingt­deux ans de dépossession continue et aggravée dans les territoires colonisés par les immigrants sionistes, voilà que de « petit problème empirique », le peuple palestinien se hausse au niveau de « réalité indiscutable ».
 
On affirme, ici et là, son « droit à l’auto­détermination » ­pourvu qu’il ne s’exerce qu’en­dehors de la Palestine : on lui cherche un coin de terre à baptiser « Palestine », au Nord de la Jordanie (proposition du journal « Economist »), en Cisjordanie (18% de la Palestine, 82% formant l’Etat « auto­déterminé » d’Israël).
 
Quel est l’objectif de ces divers plans ? Isoler les Palestiniens des masses arabes, les mettre sous le contrôle des Puissances, leur interdire définitivement le retour dans leur pays, dans leurs villages, dans leurs maisons, donner enfin à Israël la possibilité de les frapper à coup sûr, s’ils bougeaient.
 
Il y a bien sûr quelques divergences : les uns (les dirigeants sionistes) voient cette « Palestine »­là comme un Etat­tampon, contrôlé de toutes parts, économiquement intégré à Israël. Le roi d’Amman, au contraire, veut le garder, fédéré ou confédéré, dans son royaume. Une troisième solution prévoit une indépendance garantie par les Américains et les Russes : les premiers apaiseraient les craintes israéliennes, les seconds réconforteraient ainsi les capitulards arabes soumis aux critiques de leurs peuples. 
 
Dans tous les cas, le peuple palestinien accepterait de renoncer à sa patrie pour toujours ; on ouvrirait en échange pour lui un « Etat­camp », une « réserve », le « Bantoustan » où crever lentement. Comme il faut tâter le terrain avant d’avancer, le premier pas pourrait être d’inviter les Palestiniens à envoyer leurs représentants à New York participer aux négociations Jarring. 
 
Le but est complexe, et se veut habile : Les palestiniens acceptent, ce qui est bien improbable, et renoncent à leur combat : la « solution pacifique » serait imposée. Ils refusent : ils s’isoleraient alors (c’est l’espoir des forces impérialistes) des masses arabes et de l’opinion publique mondiale qui les appuie.

L’ATTITUDE DE LA REVOLUTION PALESTINIENNE

Dès les premiers jours de sa lutte, la révolution palestinienne avait proclamé clairement que son but n’était pas d’obtenir un territoire, mais de recouvrer son propre pays. Les révolutionnaires palestiniens ne cherchent pas une région où s’installer, mais visent la libération de leur Palestine. Ils savaient que tôt ou tard capitulards et fantoches s’opposeraient à ce but, ils voient aujourd’hui toutes ces forces s’unir contre lui.
 
Mais ils savaient aussi que toute autre solution n’était qu’illusoire : leur but n’est pas la simple reconquête de la terre, mais la libération des masses arabes et juives opprimées. 
 
L’ « Etat palestinien » prolongerait l’exploitation économique, remplaçant l’oppression directe des forces féodales jordaniennes par celle des impérialismes qui se partagent le monde, sous le contrôle d’une police « internationale ». Il maintiendrait et il renforcerait le fait colonial.
 
D’où que vienne cette proposition, la Révolution palestinienne ne peut que la repousser. En même temps, elle comprend que la situation au Proche-­Orient est changée, que la modification des rapports de force exige en particulier des changements radicaux dans la structure de ses organisations, dans les formes de soutien des peuples arabes, qui doivent devenir plus actives, plus militantes, car la lutte entre la révolution et la contre­ révolution devient chaque jour plus acharnée.
 
Second article:
 

POURQUOI LE CESSEZ-­LE-­FEU EN JORDANIE ?

 
Dès 1957, à l’époque où le Fath avait commencé à organiser ses premières cellules, la Révolution s’était donné comme but la libération de la Palestine, la destruction de l’appareil raciste de l’Etat sioniste et la création d’un Etat démocratique où  musulmans, juifs et chrétiens vivraient ensemble. Mais elle savait aussi qu’elle se heurterait à plusieurs obstacles avant de réaliser son but final. En effet, ses ennemis ne se limitaient pas au mouvement sioniste, mais englobaient aussi l’impérialisme mondial et les forces réactionnaires arabes. 
 
Ce n’est donc pas un hasard que les premiers martyrs palestiniens soient tombés sous les balles des réactionnaires jordaniens. Ce n’est pas non plus un hasard que les prisons jordaniennes aient été remplies de militants palestiniens avant même que les sionistes n’emprisonnent les premiers combattants révolutionnaires.
 
Ainsi dès le début, la Révolution palestinienne ne se faisait pas d’illusion sur le régime hachémite et savait parfaitement qu’il visait la liquidation des forces révolutionnaires. Pourtant, elle ne tomba pas dans le piège de faire du régime jordanien son  ennemi principal.
 
Après la défaite de juin 1967, les rapports entre le régime jordanien et les autres régimes arabes d’un côté, la révolution palestinienne de l’autre, sont devenus plus complexes. Ces régimes essayaient d’utiliser les forces révolutionnaires comme atout contre l’Etat sioniste en même temps qu’ils essayaient de les contenir : en effet, comme la Révolution bénéficiait de l’appui des masses, les forces réactionnaires qui  persistaient dans leurs attaques durent le faire d’une façon plus camouflée.
 
La dernière tentative des réactionnaires arabes pour contenir les forces révolutionnaires ayant échoué en juin 1970, les impérialistes ont fait pression sur les gouvernements arabes et israéliens pour qu’ils s’arrangent entre eux face au danger commun que représentait la révolution palestinienne : ainsi est né le plan Rogers.
 
En quoi consiste ce plan ? Le prix que les régimes arabes devaient payer était simple : l’écrasement de la Révolution  palestinienne. De son côté, l’Etat sioniste devait retirer ses forces de certains territoires occupés. Ayant lui aussi accepté ce plan, Hussein prépara ses forces pour le moment propice qui fut le détournement des quatre avions.

LES POINTS EN FAVEUR DES FORCES FASCISTES JORDANIENNES

1. Elles ont choisi le moment et le lieu de l’affrontement.
 
2. Le moment choisi paraissait propice à la liquidation de la Révolution en raison du détournement des avions (action qui avait suscité un courant hostile dans l’opinion mondiale). 
 
3. Les conditions paraissaient favorables à une armée régulière car les révolutionnaires étaient encerclés dans les villes.
 
4. Les forces armées patriotiques dans l’Armée royale étaient cantonnées dans le désert et seules les forces bédouines, plus sûres, furent engagées dans la bataille.

LES POINTS FAIBLES DE LA REVOLUTION

1. Ses forces n’étaient pas bien unifiées politiquement avant le déclenchement des hostilités. Plusieurs organisations et même une partie des cadres du Fath ne croyaient pas que le roi tenterait  de liquider les forces de la Révolution. Ils pensaient que si le régime se lançait dans une telle aventure, il s’effondrerait en deux jours sous les coups des masses arabes, des masses  palestino­jordaniennes et des soldats et officiers patriotes de l’armée jordanienne.
 
2. L’Armée de Libération de la Palestine était morcelée : une partie sur le Canal, uen autre en Syrie, une troisième en Irak.
 
3. Alors que classiquement, la guérilla a ses bases dans les campagnes, au contraire, en Jordanie, la révolution a dû mener une guerre d’auto­défense avec les villes pour base. Elle n’a pas choisi cette nouvelle forme de lutte mais y a été amenée parce que les masses palestino­jordaniennes sont principalement  concentrées dans les villes. Une telle guerre a besoin d’une nouvelle tactique qui ne peut se préciser que dans la bataille elle­ même.
 
Mais malgré ces désavantages, les forces réactionnaires furent impuissantes devant l’héroïsme du peuple. Leurs tentatives pour occuper les villes échouèrent l’une après l’autre. L’artillerie, les avions, les chars et les blindés avaient la puissance mécanique, tandis que les révolutionnaires étaient protégés par le peuple.
 
L’émotion et la mobilisation des masses dans tous les pays arabes dans tous les pays arabes et dans le monde aboutissent à  un isolement politique des fascistes jordaniens. Les autres  régimes arabes, même ceux qui auraient souhaité une victoire rapide du roi, durent se désolidariser de lui et Hussein fut acculé à demander le cessez-­le-­feu.
 
D’un autre côté, la guerre d’auto­défense ne pouvait durer indéfiniment. Comme la Révolution ne pouvait pas remporter une victoire rapide et décisive, il lui a fallu faire des concessions.
 
En acceptant le cessez­-le-­feu, le régime jordanien a dû renoncer provisoirement à son objectif principal qui était l’anéantissement des forces révolutionnaires, tandis que les fédayin n’abandonnaient provisoirement qu’un but secondaire, la chute de Hussein, et pouvaient se regrouper et se renforcer. De toute façon, la victoire d’une révolution populaire ne peut pas être assurée par une insurrection de courte durée. Elle nécessite une lutte populaire prolongée.
 
Dans une telle lutte, les peuples arabes prendront les armes eux aussi et se rangeront du côté du peuple palestino-­jordanien. C’est pourquoi la révolution devait éviter un affrontement avec plusieurs régimes arabes à la fois et sauvegarder ses forces pour préparer l’avenir, c’est pourquoi elle a accepté le cessez-­le-­feu. Et cette concession, elle l’a expliqué aux masses avec franchise parce qu’elle a une entière confiance en elles.