19 sep 2012

Le pamphlet fasciste de Richard Millet déshonore la littérature

Submitted by Anonyme (non vérifié)

Richard Millet a abandonné sa participation au comité de lecture après avoir publié son éloge littéraire de Breivik (voir Éloge littéraire d’Anders Breivik : Richard Millet, agent du fascisme à la française au moyen de l'idéologie psychologico-racialiste).

Après une publication ô combien idéologique – et montrant que la littérature n'est pas au-dessus de la lutte des classes, mais y participe – cela ne pouvait être autrement : la barre avait été mise trop haut par Millet, qui appelait pratiquement ouvertement à la guerre raciale.

On ne peut que saluer, ainsi, l'initiative de l'écrivain Annie Ernaux qui a publié, dans le quotidien Le Monde, un article intitulé pas moins que « Le pamphlet fasciste de Richard Millet déshonore la littérature », et qui a été soutenue par 118 autres écrivains.

C'est la preuve qu'il existe en France des auteurs foncièrement démocratiques et comprenant ce qui se passe, et le refusant. Ce qui est indéniablement courageux de par la fascisation des institutions, alors que plus rien ne tient... et ce n'est bien sûr pas le cas de tous.

Le journaliste Pierre Assouline a, ainsi, dans un article titré Affaire Richard Millet : le goût amer de l’épilogue pris ouvertement partie pour le camp de l'anti-antifascisme, considérant que critiquer Millet de fasciste c'était le retour aux « années 1944-1945 » et osant même un :

« A la faveur de l’affaire Milllet, on découvre que l’accusation de fascisme, que l’on croyait de longue date obsolète, mais si pratique tant elle est vidée de son sens par son galvaudage même, suffit à ostraciser. A quand la résurrection du comité des intellectuels anti-fascistes ? Et quoi après : son exclusion de Gallimard ? Et ensuite : sa radiation à vie de l’édition française ? Et puis quoi encore ? »

Oser, en 2012, attaquer l'antifascisme est d'une clarté limpide, et c'est typique d'une frange des « intellectuels » : Pierre Assouline se place déjà en collaborateur voltairien d'un éventuel régime ultra-autoritaire laissant les intellectuels tranquilles, dans la mesure où ils en restent à Voltaire, et surtout pas à Rousseau.

Même au sein des intellectuels, les choses se dessinent, les positions se campent. Et heureusement, en France, il existe une tradition antifasciste authentique, qui dit non, qui assume l'universalisme et la dimension populaire de la réalité sociale. Non, tout ne sera pas si facile pour les fascistes !

Reste à savoir si les écrivains refusant le fascisme comprendront qu'ils doivent se couper de la littérature dominante, décadente et bourgeoise, expérimentale et incapable d'arriver à une dimension romanesque globale et authentique. Annie Ernaux sous-estime, en social-démocrate, le cartactère insupportable et décadent, voire totalement minable, de la littérature d'aujourd'hui. Sans comprendre cela, sans le réalisme socialiste, il n'y a pas de perspective !

Voici l'article d'Annie Ernaux.

"Le pamphlet fasciste de Richard Millet déshonore la littérature"

J'ai lu le dernier pamphlet de Richard Millet, Langue fantôme suivi d'Eloge littéraire d'Anders Breivik (P.-G. de Roux, 120 p., 16 €) dans un mélange croissant de colère, de dégoût et d'effroi.

Celui de lire sous la plume d'un écrivain, éditeur chez Gallimard, des propos qui exsudent le mépris de l'humanité et font l'apologie de la violence au prétexte d'examiner, sous le seul angle de leur beauté littéraire, les "actes" de celui qui a tué froidement, en 2011, 77 personnes en Norvège. Des propos que je n'avais lus jusqu'ici qu'au passé, chez des écrivains des années 1930.

Je ne ferai pas silence sur cet écrit à la raison que réagir renforce la posture de martyr, d'écrivain maudit, qu'il s'est construite. Ou qu'il s'agirait là d'un délire, d'un "pétage de plombs" ne méritant pas une ligne. C'est dédouaner facilement la responsabilité d'un écrivain réputé pour savoir manier la langue à merveille.

Richard Millet est tout le contraire d'un fou. Chaque phrase, chaque mot est écrit en toute connaissance de cause et, j'ajouterai, des conséquences possibles. Traiter par le silence et le mépris un texte porteur de menaces pour la cohésion sociale, c'est prendre le risque de se mépriser soi-même plus tard. Parce qu'on s'est tu.

Je ne me laisserai pas non plus intimider par ceux qui brandissent sans arrêt, en un réflexe pavlovien, la liberté d'expression et le droit des écrivains à tout dire – on attend donc un "Eloge littéraire de Marc Dutroux" –, hurlant à la censure pour bâillonner celui ou celle qui, après avoir examiné de quoi il retourne dans cet opuscule, ose – quelle audace ! – s'interroger sur les responsabilités de son auteur au sein d'une maison d'édition.

Balayons d'abord la prétendue ironie du titre que, selon l'auteur, les lecteurs, bouchés à l'émeri, n'ont pas perçue. Et pour cause, elle n'y est pas et on en chercherait en vain une once dans la suite du texte. On soupçonne l'adjectif "littéraire" de n'être là que pour la douane – la loi –, comme la précaution liminaire, réitérée plus loin par deux fois, dans laquelle Richard Millet déclare ne pas approuver les actes d'Anders Breivik.

Et pour se mettre solidement à couvert, il ne craint pas d'user d'un sophisme tellement aveuglant qu'il a ébloui ses défenseurs : 1. La perfection et le Mal ont toujours à voir avec la littérature ; 2. Anders Breivik, par son crime, a porté le Mal à sa perfection ; 3. Donc, je me pencherai sur "la dimension littéraire" de son crime. Inattaquable. Saluez l'artiste qui se flatte d'isoler et d'extraire d'un criminel de masse sa seule "dimension littéraire".

En réalité, il n'en est rien.

C'est la littérature qui est ici au service d'Anders Breivik : en tant qu'elle est la pièce essentielle du développement de la thèse de Millet. Elle est enrôlée de force dans une logique d'exclusion et de guerre civile, dont la portée politique, à moins d'être aveugle, est flagrante.

Pour saisir la rhétorique perverse du dispositif mis en place par Richard Millet, on ne doit pas dissocier l'Eloge de Langue fantôme : Essai sur la paupérisation de la littérature.

Il faut accepter de lire ce tableau ahurissant de la littérature contemporaine – française, européenne, américaine –, qui ne serait qu'insignifiance, indigence, niaiserie, "ordure romanesque". Cette "postlittérature" est le fruit, pêle-mêle, du multiculturalisme, de l'antiracisme, des droits de l'homme, de la "bien-pensance", qui font régner la terreur dans les sociétés démocratiques.

La vraie littérature, elle, est morte. Ce qui l'a tuée : "le repeuplement de l'Europe par des populations dont la culture est la plus étrangère à la nôtre", autrement dit, l'immigration non-européenne. Et, avec quelque précaution, tant le saut imposé à la raison du lecteur est énorme, l'auteur assène : "Le rapport entre la littérature et l'immigration peut sembler sans fondement ; il est en réalité central et donne lieu à un vertige identitaire." Par un autre coup de force, il fait de l'identité "l'enjeu de la littérature".

Ainsi l'immigré, qui est censé menacer "la pureté" – fantasmatique, elle n'a jamais existé – de la langue française, celui dont la mémoire est ancrée dans une autre culture, un autre héritage que le mien–- il vit dans les mêmes espaces, dans le même monde, mais cela Millet ne veut pas le savoir, ou l'accepter – donc ce non-Français de "souche", de "sang" serait en train de s'infiltrer dans mon imaginaire, mon écriture, de m'imposer sans que je le veuille des schèmes de pensée ?

De me coloniser ? Je n'exagère pas, je feins seulement d'appliquer à moi-même ce que Richard Millet affirme, à savoir que les écrivains se trouvent "dans une situation néocoloniale inédite". Une déclaration incroyable dont la gravité devrait interpeller tous les écrivains.

Car ce qui est suggéré dans cet Eloge qui suit le tableau de ruines de Langue fantôme – dans une succession qui fait sens – est effrayant. Apparentant Breivik à un "écrivain par défaut", affirmant "la perfection formelle" de ses crimes et "la perfection de l'écriture au fusil d'assaut qui le mène au-delà du justifiable", Richard Millet se plaît à faire miroiter la supériorité performative du fusil sur la plume.

En l'occurrence, celle de Richard Millet s'est bel et bien mise au service du fusil d'assaut d'Anders Breivik, en attisant la haine à l'égard des populations d'origine étrangère, des musulmans vivant sur notre sol, en dressant des catégories de citoyens contre d'autres dans une trouble attente, voire espérance – du pire.

Oui, ce texte répugnant, comme le qualifie à juste titre Jean-Marie Le Clézio, est un acte politique à visée destructrice des valeurs qui fondent la démocratie française.

C'est pourquoi, au lieu des questions effarouchées que lui posent les médias, il faut oser demander à Richard Millet : "Que voulez-vous ? La fermeture des frontières ? Le renvoi de tous ceux qui ne sont pas 'français de sang' ? Quel régime à la place de cette démocratie que vous haïssez ?"

J'écris depuis plus de quarante ans. Pas davantage aujourd'hui qu'hier je ne me sens menacée dans ma vie quotidienne, en grande banlieue parisienne, par l'existence des autres qui n'ont pas ma couleur de peau, ni dans l'usage de ma langue par ceux qui ne sont pas "français de sang", parlent avec un accent, lisent le Coran, mais qui vont dans les écoles où, tout comme moi autrefois, ils apprennent à lire et écrire le français.

Et, par-dessus tout, jamais je n'accepterai qu'on lie mon travail d'écrivain à une identité raciale et nationale me définissant contre d'autres et je lutterai contre ceux qui voudraient imposer ce partage de l'humanité.

Une jeune romancière, qui n'est pas d'origine européenne, m'a écrit ces jours-ci à propos du livre de Millet et de la tiédeur des réactions du milieu littéraire : "Comme je me sens, moi et mes enfants, visée par ces attaques contre le multiculturalisme et le métissage, je me dis que si ces idées devaient prendre corps et réalité, nous serions bien seuls."

Il est encore temps d'agir afin que n'advienne jamais cette réalité, et pour commencer, d'appeler un chat un chat et l'Eloge littéraire d'Anders Breivik un pamphlet fasciste qui déshonore la littérature.

Nous avons lu ce texte d'Annie Ernaux et partageons pleinement son avis :

Olivier Adam, Philippe Adam, Jakuta Alikavazovic, Marianne Alphant, Gwenaëlle Aubry, Patrick Bard, Cathie Barreau, Bruce Bégout, Tahar Ben Jelloun, Arno Bertina, Luc Blanvillain, Evelyne Bloch-Dano, François Bon, Elisabeth Brami, Geneviève Brisac, Michel Canesi, Laurent Cauwet, Marie-Claude Char, Jean-Patrice Courtois, Sylvain Courtoux, Céline Curiol, Emmanuel Darley, Sylvia Tabet Davidenkoff, Kéthévane Davrichewy, Jean Baptiste Del Amo, Chloé Delaume, Agnes Desarthe, Maryline Desbiolles, Louise Desbrusses, Marie Desplechin, Bernard Desportes, Suzanne Doppelt, Bruno Doucey, Lionel Duroy, Eugène Ebodé, Antoine Emaz, Mathias Enard, Didier Eribon, Arlette Farge, Lydia Flem, Vincent Fleury, Philippe Forest, Dan Franck, Anne-Marie Garat, Christian Garcin, Gilbert Gatoré, Michèle Gazier, Jean-Baptiste Gendarme, Liliane Giraudon, Jean-Louis Giovannoni, Valentine Goby, Frédéric-Yves Jeannet, Serge Joncour, Maylis de Kerangal, Pascale Kramer, Nathalie Kuperman, Hervé Hamon, Stéphanie Hochet, Nancy Huston, Charlotte Lacoste, Lola Lafon, Jérôme Lambert, Mathieu Larnaudie, Camille Laurens, Bertrand Leclair, JMG Le Clézio, Noémi Lefebvre, Alban Lefranc, Pierre Lepape, Michèle Lesbre, Yun Sun Limet, Laure Limongi, Alain Mabanckou, Gérard Macé, Eric Marty, Jérôme Meizoz, Céline Minard, Gérard Mordillat, Laure Murat, Bernard Noël, Amélie Nothomb, Gaëlle Obiégly, Pascal Ory, Martin Page, Yves Pagès, Jean-Noël Pancrazi, Eric Pessan, Mazarine Pingeot, Christine Planté, Jérôme Prieur, Christian Prigent, Dominique Quélen, Michel Quint, Jamil Rahmani, François Rastier, Jean-Marie Blas de Roblès, Jean Rouaud, Denis Roche, Oliver Rohe, Isabelle Roussel Gillet, Lydie Salvayre, Boualem Sansal, Julien Santoni, Colombe Schneck, Michel Séonnet, Alain Sevestre, Florence Seyvos, Martine Storti, Muriel Szac, Abdellah Taïa, Camille de Toledo, Tito Topin, Cécile Vargaftig, Franck Venaille, Delphine de Vigan, Jean-Jacques Viton, Carole Zalberg, Valérie Zenatti, écrivains.

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