23 sep 2012

Les drôles défenseurs de Richard Millet

Submitted by Anonyme (non vérifié)

Parmi ceux qui ont pris la défense de Richard Millet, on trouve des figures anecdotiques, comme par exemple Franck Spengler. Ce dernier s'est cru bon de publier une tribune dans Le Monde – preuve que ce journal a totalement décadé – intitulée « Jean-Marie Gustave Le Clézio et Annie Ernaux se déshonorent », alors que lui-même est un simple éditeur de littérature érotique (les éditions blanche).

Franck Spengler, c'est tout de même par exemple « Les Cahiers de vacances Clara Morgane. » Comme référence pour se présenter comme défenseur de la littérature, on fait mieux ! Les grands bourgeois n'ont pas fini de nous faire rigoler !

Il est vrai qu'ont été également édité... l'activiste d'extrême-droite Alain Soral, ou encore Serial Fucker, journal d’un barebacker, livre d’Eric Rémès lancant un appel à la contamination des militants d’Act Up-Paris et prodiguant des conseils sur la manière de contaminer quelqu’un à son insu en découpant au rasoir le bout d’un préservatif ou en le perçant de coups d’aiguille.

Act Up ! avait réalisé un zap dans les locaux de l'édition, collant des affiches lors d'une intrusion, et a pour cela été... condamné à 5 000 euros d’amende pour Act Up-Paris (plus 1 000 euros pour chacune des deux militantes condamnées et 2 000 euros de dommages et intérêts au directeur des Editions Blanche!).

Charmant ! On voit le genre de « liberté » défendue ici : celle de la barbarie ultra-libérale. On a là ainsi une figure classique de voltairien, faisant n'importe quoi tout en étant fier.

Anti-antifasciste, Franck Spengler attaque donc l'appel antifasciste d'Annie Ernaux, en disant notamment :

« Soyons clair d'entrée, je me fous complètement du texte de Richard Millet tout autant que je me fous des états d'âme d'Annie Ernaux ou des voyages spirituels de Le Clézio. Mais je reconnais à l'un comme à l'autre le droit absolu d'écrire des romans sur n'importe quel sujet. Qui êtes-vous, Madame Ernaux, Monsieur Le Clézio pour définir ce qui est bon ou non d'écrire ? Avez-vous une liste de sujets interdits ? Faut-il bannir les écrivains qui ne se plient pas à votre bien pensance ? »

Un type qui se « fout » du texte de Richard Millet (ou prétend tel) prend sa défense : on touche le fond de la vacuité bourgeoise. Ce Fracnk Spengler prétend d'ailleurs défendre la littérature, mais ne s'aperçoit même pas qu'elle a un contenu, un rôle historique, qu'elle fait partie de la culture.

Ce qu'il dit est édifiant d'inculture :

« Car ce qu'écrit Millet ne concerne que lui, il n'implique aucunement la littérature en son entier ou alors, c'est que Ernaux et Le Clézio lui attribue une place toute particulière qu'à ma connaissance il n'a pas et ne revendique d'ailleurs pas.

Alors pourquoi ce déferlement de haine pour répondre à un éloge de quelques pages ? Y aurait-il d'autres enjeux que la seule littérature ? Est-ce une position plus politique qu'artistique ou morale ? Les idées défendues par Millet représentent-elles un danger pour l'etablishment de la pensée ? Je m'interroge et d'autres avec moi sur ce que révèle réellement cette affaire Millet.

Je crains fort que ce débat – qui ne devrait pas en être un – atteste à quel point les écrivains sont devenus des relais efficaces (des idiots utiles ?) d'une pensée unique et uniformisante, une culture mcdonald's en quelque sorte ; bien loin des écrivains engagés qui firent l'intérêt des lettres françaises.

Cela me rend très triste. Tu avais raison, Desproges, ils ont gagné ! »

Montaigne ? Rabelais ? Ou alors Camus ? Gide ? Non, tout simplement Desproges, c'est dire le niveau. On touche le fond, la bourgeoisie n'a vraiment plus rien dire, et l'assume. Vive le vin, vive le cul et vive le libéralisme ; malheur à la morale et ses exigences !

C'est une position voltairienne finalement parfaitement résumée par Jean-Marie Laclavetine, membre du comité de lecture des éditions Gallimard (éditions de Richard Millet, sauf pour son opuscule sur Breivik). Celui-ci explique candidement, dans « Le chien de Pavlov et la liberté d'expression : réponse à Annie Ernaux » :

« Nous ne sommes pas en Russie soviétique, et l'on ne licencie pas les gens pour motif idéologique. »

A ceci près qu'en Russie soviétique, ce qu'a écrit Millet aurait plutôt valu la peine de mort. Mais au moins c'est bien vu.

Cependant, le mot le plus intéressant revient forcément à Pierre-Guillaume de Roux, directeur des éditions Pierre-Guillaume de Roux, éditeur de Richard Millet.

« Pierre-Guillaume de Roux, directeur des éditions Pierre-Guillaume de Roux. » C'est toujours formidable de voir un directeur porter le nom de sa propre maison d'édition.

On voit déjà la crise d'ego, la mise en avant outrancière de l'individu, son culte nombriliste. Heureusement que nous savons avec Averroès que les individus ne sont pas fondamentalement différents et que c'est l'ensemble humain qu'il faut considérer, cela nous préserve d'une telle aberration bourgeoise.

Ces éditions Pierre-Guillaume de Roux, fondé par Pierre-Guillaume de Roux et dirigé par Pierre-Guillaume de Roux, ont par exemple publié Sarkozy sous BHL de Roland Dumas et Jacques Vergès. Il n'est pas difficile d'en deviner le contenu réactionnaire à souhait.

Et donc ce Pierre-Guillaume de Roux, directeur des éditions Pierre-Guillaume de Roux, a publié l'opuscule de Richard Millet sur Breivik. Et il prend par conséquent et logiquement la défense de son auteur, dans un article intitulé « Pour l'honneur de la littérature. »

A ceci près qu'il ne défend pas que l'auteur, il entend également « défendre la valeur de ce texte tout à fait singulier. » Il reproche ainsi qu'il y ait du texte « déformation systématique de sa pensée, citations isolées, coupées de leur contexte, reprise mimétique des mêmes raccourcis à travers toute la Toile. »

Car finalement, le fond aurait été le suivant : « Richard Millet déconstruisait la grande tragédie du massacre survenu à Utoya sans aucune complaisance, sans jamais sortir du registre de l'analyse sûre et froide. »

Ce qui est, bien entendu, faux. Richard Millet ne parle pas du tout que de Breivik ; tout comme Breivik, il place en arrière-plan la question « raciale », c'est là le fond de la question.

En fait, Richard Millet a été pris à son propre piège : d'un côté, il raconte Breivik en en faisant une sorte d'écrivain raté, basculant donc dans le crime. Cela, finalement, personne n'y a trop prêté attention, et c'est là que veut ramener Pierre-Guillaume de Roux, directeur des éditions Pierre-Guillaume de Roux.

Sauf que, de l'autre côté, Richard Millet propose une grille explicative, mise en avant comme arrière-plan, et là on est ouvertement dans le racialisme psychologique.

Breivik ou pas, que pense par exemple Pierre-Guillaume de Roux, directeur des éditions Pierre-Guillaume de Roux, de Richard Millet parlant de « notre culture, par exemple, la Chanson de Roland. »

La chanson de Roland n'appartient pas à la « France », mais à une époque médiévale à laquelle nous n'appartenons plus, car tout est en mouvement.

Et c'est ce mouvement que nous défendons, comme mouvement de la matière éternelle dans l'univers infini. Et c'est ce mouvement que les réactionnaires, les Richard Millet, les Renaud Camus, prétendent pouvoir stopper.

Mais c'est impossible : la vie marche inlassablement et nous tire dans le futur, dès maintenant.

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