21 avr 2012

Solidarité et Progrès contre l'écologie

Submitted by Anonyme (non vérifié)

Solidarité et Progrès, le parti de Jacques Cheminade, candidat à l'élection présidentielle de 2012, affirme que Vernadsky était contre l'écologie. Allant plus loin, ils considèrent même l'écologie comme un crime dans la mesure où elle empêcherait l'Humanité de bénéficier des améliorations liées à une technologie telle que le nucléaire.

Ces affirmations résultent d'une vision étriquée du matérialisme et de la pensée de Vernadsky. De plus, comme nous l'avions déjà montré dans notre article sur la colonisation de la Lune et de Mars vue par Jacques Cheminade, le discours de Solidarité et Progrès se situe dans un cadre théorique très concret qui met la logique impérialiste au premier plan.

Pour Jacques Cheminade et Solidarité et Progrès, l'écologie n'est qu'un « un instrument de propagande adapté à [l']ambition » des « élites anglaises [qui] cherchaient à justifier leur dessein impérialiste par des arguments scientifiques ». En somme, pour eux, l'écologie n'est que le résultat de conspirations et ne reflète aucune réalité. Et pour appuyer ce raisonnement, ils font appel aux écrits de Vernadsky, affirmant sans scrupule qu'il était contre l'écologie.

 

Comment peuvent-ils en arriver à une telle conclusion ?

Le fil rouge de leur démonstration est une affirmation se trouvant dans l'Autotrophie de l'Humanité selon laquelle « les réserves d’énergie qui sont à la disposition de l’entendement sont inépuisables » (l'entendement signifiant ici la pensée humaine). Autrement dit, la pensée humaine est telle que les ressources énergiques dont elle dispose sont inépuisables. Nous sommes d'accord avec cette affirmation mais, bien entendu, la signification que nous lui donnons est totalement différente que celle que lui attribue Solidarité et Progrès.

Pour préciser leur point de vue, voyons comment ils illustrent cette affirmation :

Attardons-nous, à titre d’exemple, au passage de l’âge de Bronze à l’âge de Fer, au début du premier millénaire avant Jésus-Christ. Nous savons aujourd’hui que ce passage fut le résultat de l’épuisement des gisements de chalcopyrite situés au nord des Alpes, au centre de l’Allemagne et en Bohême, les principales sources de cuivre en exploitation et couvrant alors les besoins de toute l’Europe. Ce minerai fut graduellement remplacé par des formes plus riches en éléments secondaires comme l’antimoine, l’arsenic, l’argent et le nickel, ce qui eut pour effet de diminuer la dureté et la qualité du bronze. L’on dut dans ces circonstances se rabattre sur le fer, qui était à l’origine moins dur que le bronze, mais dont l’homme apprendra à améliorer la qualité.

[...] « Les réserves d’énergie qui sont à la disposition de l’entendement sont inépuisables », affirme Vernadsky. Il suffit en effet de penser au passage du bois vers le charbon, puis à l’hydroélectricité, ensuite au pétrole et enfin au nucléaire, comme principales sources d’énergie, et ceci avec des densités énergétiques toujours plus grandes.

Autrement dit, qu'importe l'épuisement des ressources ou la pollution résultant du nucléaire puisque c'est cela qui conduit l'être humain à se développer, lui permettant ainsi de trouver d'autres ressources à exploiter. On retrouve ici exactement la même logique coloniale de conquête et d'exploitation qu'il y a dans le programme d'industrialisation de la Lune de Jacques Cheminade. Seules comptent dans son discours la croissance et la domination de l'être humain.

Le problème dans cette vision est qu'elle est totalement anti-dialectique. Il est vrai que nos conditions de vie se sont améliorées grâce aux progrès effectués par notre aptitude toujours plus grande à modifier notre environnement. Mais ce n'est pas parce que ces progrès existent qu'il faut être aveugles aux problèmes inhérents à ces progrès. Pas un seul mot sur les nitrates issus de l'élevage intensif, pas un seul mot sur les accidents de Tchernobyl (le texte dont nous parlons a été écrit en 2009, il ne peut donc y avoir de référence à Fukushima). C'est là ne voir qu'un seul côté du phénomène.

Et les thèses de Solidarité et Progrès sont résolument anti-dialectiques. Elles ne parviennent pas à effectuer la synthèse de tout ce qui a été réalisé et le point de vue qui en résulte est juste caricatural. Le progrès scientifique est vu comme étant sans aucune faille tandis que l'écologie est réduite en sa partie grotesque, à savoir les écologistes plus ou moins primitivistes.

Cela conduit Solidarité et Progrès à une vision faussée : le progrès scientifique et l'écologie sont forcément deux forces qui s'opposent, l'écologie étant fatalement un frein à la progression de l'Humanité. Cette vision des choses est très française : pour être exacte, chaque notion doit être bien délimitée et les phénomènes ne peuvent être mis en relation. Cette façon de voir est illustrée dans la critique de la notion d'écosystème :

d’abord, on ne sait pas sur quelle échelle de grandeur ont doit délimiter ces écosystèmes, certains tendant à être très petits et d’autres très grands. Il arrive d’ailleurs que des plus grands englobent des plus petits et que la plupart des systèmes, à défaut de s’emboîter les uns dans les autres, semblent se chevaucher, ce qui fait que l’on a beaucoup de mal à les départager. Ensuite, du fait des processus de migration observés dans la nature, les échanges entre ces écosystèmes ont proportionnellement beaucoup plus d’incidence sur leur mode de fonctionnement interne que les échanges ayant lieu entre les cellules évoluant au sein d’un même tissu biologique ou que ceux existant entre les galaxies de notre univers cosmique.

 

Pour Solidarité et Progrès, la notion d'écosystème est donc à rejeter du fait de son imprécision puisque qu'on peut trouver des écosystèmes à différentes échelles. Pour notre part, cela n'est pas un problème. En effet, tout peut être examiné à différentes échelles. Une forêt peut être considérée comme un écosystème où vivent des animaux, des plantes, des champignons, des bactéries en relation avec le sol et l'air environnant. Mais, dans cette même forêt, on peut également considérer un seul arbre qui va abriter et être en relation avec une faune et une flore particulières. En bref, un devient deux et rien n'est indivisible.

Il est logique que Solidarité et Progrès ne puisse avoir ce point de vue. Ils refusent de voir l'ensemble des phénomènes comme un système cohérent. Ainsi, ils critiquent les tentatives de certains penseurs de créer un système de pensée cohérent, expliquant qu' « on introduit, dans le domaine des sciences naturelles, des concepts chers à un courant politique et, une fois légitimés par la science, on les rapatrie dans le domaine des sciences humaines et sociales sous forme de principes objectivés. »

Quelque soit le système de pensée, le fait de vouloir appliquer ses principes à tous les domaines de recherche est, pour nous, une démarche intéressante en soi. Tout ce qui nous entoure est fait de matière et doit donc être soumis aux même lois. Ainsi le matérialisme dialectique est un système de pensée qui s'applique à tous les domaines puisque la loi des contradictions est une loi universelle.

Prétendre que les choses ne peuvent obéir aux mêmes lois et sont séparées est une démarche anti-matérialiste. D'ailleurs le discours qui est relayé dans ce texte est profondément anti-matérialiste limitant, là encore, à une vision tronquée ce que peut être le matérialisme : « Le matérialisme nie l’existence du paradoxe [ce paradoxe étant la coexistence des domaines du non-vivant, du vivant et du pensant] car il voit le vivant comme un épiphénomène du non-vivant : il n’admet pas de différence qualitative entre les deux ». Plus loin, l'auteur rajoute qu' « il n’existe pas d’argument « objectif » permettant de résoudre de manière définitive le paradoxe de la coexistence du non-vivant et du vivant (et du pensant) [...] le matérialisme lui-même n’est pas une vérité scientifique objective, mais une hypothèse métaphysique. »

L'affirmation comme quoi le matérialisme ne peut théoriser l'existence du non-vivant, du vivant et du pensant est fausse puisque nous avons fait une série d'articles étudiant cela justement. Tout d'abord celui qui explique que la vie est la matière en mouvement : le processus qui fait que la vie apparaît pose l'impossibilité d'établir une barrière entre matière « morte » et matière « vivante » tout en gardant à l'esprit qu'une différence morale doit être faite entre les deux du fait du saut qualitatif lié à la naissance de la vie. Ensuite, dans l'article sur la pensée humaine, celle-ci est également définie comme issue de la matière en mouvement puisqu'elle est le reflet de cette matière en mouvement.

En conclusion, pour Jacques Cheminade et son parti Solidarité et Progrès, les progrès scientifiques à réaliser pour acquérir de nouvelles ressources énergétiques (tout comme la future industrialisation de la Lune) sont de l'ordre de la conquête coloniale. Une conquête répondant à des besoins sans se soucier du respect de notre environnement et des autres êtres vivants. Dialectiquement une conquête qui ne se soucie pas non plus de l'impact d'une telle politique pour l'Humanité. Selon cette même logique, les écrits de Vernadsky sont récupérés afin de soutenir le point de vue de Jacques Cheminade.

Nous affirmons que l'écologie est le résultat d'une prise de conscience face à une réalité : la pollution et la destruction croissante de notre environnement. Que Vernadsky, lorsqu'il affirmait que « les réserves d’énergie qui sont à la disposition de l’entendement sont inépuisables », est le fondateur de l'écologie. Selon sa thèse, il existe un rapport étroit entre les êtres vivants et leur environnement et sans environnement propice, la vie ne peut se développer. L'Humanité doit donc utiliser ses formidables capacités d'action sur son environnement pour progresser tout en étant en harmonie avec la Nature dont il fait partie.

Nous soutenons que l'intérêt premier du progrès scientifique est la découverte de nouvelles choses guidée par la passion de la compréhension. Il ne doit pas être soumis par la folie de détruire ce qui nous entoure au profit d'une maîtrise illusoire. Croire que le nucléaire constitue aujourd'hui la voie à suivre, c'est ne pas assumer les enseignements des penseurs comme Vernadsky. Suivre cette voie, c'est faire de l'être humain le parasite de la planète Terre.

La suite logique des travaux de Vernadsky est d'assumer notre capacité à modifier notre environnement et de tirer les enseignements que nous donne la nature à laquelle nous appartenons, à savoir la symbiose plutôt que la compétition.

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