7 déc 2008

Crise du capitalisme et intensification de la productivité : le rôle des animaux dans la chute tendancielle du taux de profit

Submitted by Anonyme (non vérifié)

La crise générale du capitalisme est aujourd'hui visible, il n'est aujourd'hui plus aucun aspect du capitalisme qui n'ait été ébranlé par la crise financière.

Pourtant, pendant des années les sociaux-démocrates du parti socialiste et les révisionnistes du parti « communiste » français ont réussi à paralyser les luttes de masses et à casser toute pensée stratégique.

Battant en brèche les thèses de Marx, sociaux-démocrates et révisionnistes disaient : regardez, pour l'instant le capitalisme est toujours là, le temps des crises est fini, la bourgeoisie est devenue intelligente, le capitalisme sait toujours s'adapter, il mute, il change, etc.

Ces analyses ont bien évidemment été reprises à leur compte par les trotskistes – dont le fond des thèses a toujours été que le capitalisme serait « trop fort » – et ont contaminé l’anarchisme qui n’a jamais eu d’analyse scientifique de la société et encore moins de l’économie.

Aujourd'hui, alors que s'ouvre une nouvelle époque, il est largement temps de comprendre pourquoi a existé une période de stabilité relative du capitalisme.

Cela n'excuse évidemment en rien les stratégies soi-disant révolutionnaires qui dans cette période là ont mis en avant un travail politique en tablant sur une très longue période de stabilité, sans prendre en compte que la crise arriverait inévitablement.

La conception même d'un grand syndicat anarchiste par exemple, proposition stratégique qui au eu un certain succès durant les années 1990 alors même que le capitalisme avait déjà largement entamé sa dégénérescence, étant condamné dès le départ.

Mais qu'est-ce qui fait que le capitalisme a pu disposer d'une large période de stabilité relative ? Tout d'abord, nous devons voir que même au sein de cette stabilité, ce n'est que pendant ce que les historiens bourgeois appellent les 30 glorieuses (les années 1945-1975) que cette stabilité a été réelle.

Cette période de trente années suivant 1945 a été marquée par la reconstruction des pays de l'ouest européen après l'affrontement impérialiste de 1939-1945, mais également par des avancées technologiques redynamisant le capitalisme, que les historiens bourgeois appellent sous le nom de « société de consommation ».

A ce niveau, le mouvement de mai 1968 apparaît également comme un mouvement culturel au sein des superstructures pour suivre la modernisation du capitalisme, en plus d'être aussi en partie un réel mouvement ouvrier (en pleine expansion) en confrontation avec le mode de production.

On remarque également que depuis une dizaine d'années l'informatique joue un grand rôle dans la modernisation du capitalisme ; là aussi cela s'accompagne d'une évolution culturelle, avec également au sein de celle-ci une radicalité petite-bourgeoise intellectuelle passant par l'informatique.

Mais il est également un autre facteur de réimpulsion du capitalisme, un facteur de modernisation très profond et se déroulant au sein même de l'appareil productif.

Quelle a été cette modernisation ?

Comprenons d'abord que la modernisation consiste en des modifications technologiques, qui jouent sur le travail, en permettant une augmentation de la productivité.

Ce jeu sur la productivité ne peut pas empêcher à terme la crise du capitalisme, pour autant il joue un rôle dans le rythme du cycle d'accumulation.

Rappelons donc à ce titre que ce qui détermine la valeur du travail, c'est sa durée (l'aspect extensif), son degré d'intensité (la quantité de travail plus ou moins grande qui est fournie), son degré de productivité (c'est-à-dire la quantité plus ou moins grande de produits fournis pour une même quantité de travail).

Les capitalistes cherchent à valoriser le plus possible la valeur travail au sein de la production, tout en rémunérant ce travail le moins possible. C'est le principe de l'exploitation, exploitation masquée par l'idéologie dominante.

Et la crise du capitalisme réside justement en ce que la part de la valeur-travail au sein de la production diminue avec la modernisation : en fait, moins il y a d'ouvriers employés, moins les capitalistes volent du surtravail aux ouvriers.

C'est la chute tendancielle du taux de profit. Karl Marx explique à ce sujet :

« Le développement de la force productive et l'élévation correspondante de la composition organique du capital permettent de faire fonctionner une quantité de plus en plus grande de moyens de production à l'aide d'une quantité de travail de plus en plus petite, chaque partie aliquote du produit total, chaque marchandise prise à part ou encore chaque portion déterminée de la masse totale des marchandises produites absorbe moins de travail vivant et contient moins de travail matérialisé aussi bien dans l'usure du capital fixe utilisé que dans les matières premières et auxiliaires consommées.

Chaque marchandise singulière recèle donc une somme moindre et de travail matérialisé en moyens de production et de travail nouvellement ajouté dans la production. »
(Le Capital, 2, XIII).


Le Capital de Karl Marx n'est pas une oeuvre philosophique, mais elle reste une oeuvre dialectique, et donc Karl Marx, après avoir présenté la chute tendancielle du taux de profit, se demande avec nous de manière dialectique :

« Comment expliquer que cette baisse n'ait pas été plus importante ou plus rapide ? Il a fallu que jouent des influences contraires, qui contrecarrent et suppriment l'effet de la loi générale et lui confèrent simplement le caractère d'une tendance. C'est pourquoi nous avons qualifié la baisse du taux de profit général de baisse tendancielle. »
(Le Capital, 3, XIV)


Et Karl Marx de nommer comme causes les plus générales :

– augmentation du degré d'exploitation du travail,

– réduction du salaire au-dessous de sa valeur,

– baisse de prix des éléments du capital constant,

– la surpopulation relative,

– le commerce extérieur,

– augmentation du capital par actions.

Intéressons-nous à l'augmentation du degré d'exploitation du travail. Karl Marx explique que :

« Tout ce qui favorise la production de la plus-value relative par simple perfectionnement des méthodes, comme dans l'agriculture, sans augmentation du capital utilisé, a le même effet.

Ici, il est vrai, le capital constant employé n'augmente pas par rapport au capital variable, si nous considérons ce dernier comme l'indice de la force de travail occupée, mais c'est la masse du produit qui augmente par rapport à la force de travail utilisée. »

Y a-t-il alors un produit dont la masse ait pu être augmentée sensiblement à très faible coût, permettant une intensification capitalistique de la production durant cette période de relative stabilité ?

La réponse est oui, et il y en a même plusieurs, qui font que même s'il y a moins d'ouvriers (et donc moins de surtravail volé), le capitalisme se « rattrape » grâce à l'intensification du travail, permettant un accroissement du taux de plus-value arraché sur le dos de la classe ouvrière.

Reprenons les trois éléments déterminant la valeur du travail :

– l'aspect extensif,

– le degré d'intensité,

– le degré de productivité.

Et fournissons des exemples concrets, ayant joué un rôle dans le ralentissement de la chute tendancielle du taux de profit.

a) l'aspect extensif

Quand on pense au caractère extensif, on pense traditionnellement à l'agrandissement d'un lopin de terre. Mais c'est erroné, ce n'est pas dialectique.

Prenons ici l'exemple concret du sucre : l'aspect extensif n'a pas porté sur la source, mais sur son utilisation.

Si chaque personne en France consomme 35 kilos de sucre par année, c'est en raison de l'utilisation massive et nouvelle du sucre par les capitalistes (dans les soupes, les aliments transformés, les yaourts, les biscuits, des cosmétiques, etc.).

La France étant le premier producteur européen de sucre et le deuxième producteur mondial de sucre de betterave, on voit tout de suite l'intérêt d'une extension du domaine du sucre : en 2007, le chiffre d'affaires des monopoles du sucre était de 3,5 milliards d'euros.

En 1960-1961, étaient mises sur le marché 1 385 467 tonnes de sucre blanc. En 2004-2005, le chiffre était passé à 2 180 000.

Évidemment, l'exploitation des pays semi-coloniaux semi-féodaux joue aussi : en 2007 l'Union européenne a importé 2,5 millions de tonnes de sucre ! Sont concernés 18 millions d’agriculteurs et 1,8 million d’ouvriers exploités dans 113 pays.

Les chiffres parlent d'eux-mêmes, tout autant que la crise sanitaire causée par le sucre : en 1826, la consommation de sucre en France était de 2 kilos par habitant ; en 2007 elle est de 35 kilos !

On voit donc comment les capitalistes ont su étendre leur exploitation de la classe ouvrière grâce au sucre. Cette forme s’est appliquée à un très grand nombre de domaines de la production (les médicaments, les produits chimiques, les emballages, etc...).

b) le degré d'intensité

Les capitalistes jouent bien entendu sur la quantité de travail qui est fourni. Ils tentent de faire en sorte qu'elle soit de plus en plus grande.

Voilà ce qui explique pourquoi, malgré qu'il y ait moins d'ouvriers en France ces trente dernières années, la chute tendancielle du taux de profit n'ait pas été vertigineuse.

Les capitalistes ont réussi à avoir un accroissement du taux de la plus-value, en faisant en sorte que la valeur du travail des ouvriers grandisse.

Pour cela, ils ont profité de l'automation, de la robotisation, de l'informatique et de l’augmentation des cadences.

C'est ce que les capitalistes appellent la « rationalisation » de la production (ou la « démarche qualité » en langage de gestionnaire) ; tout un ensemble de tâches ont été réorganisées de telle manière à ce que chaque ouvrier soit plus efficace.

Il faut bien voir que les capitalistes ont profité durant toutes les 30 glorieuses, et ce jusqu'à aujourd'hui, de la participation active des syndicats au processus productif.

Cela a grandement aidé le capitalisme dans son intégration de la classe ouvrière à ses projets.

Les capitalistes ont également profité des expériences au niveau international ; ils ont subventionné tout un secteur intellectuel pour analyser et les faire profiter de leurs études (comme par exemple le principe japonais du « kaizen », c'est-à-dire de l'amélioration continue grâce à la participation des travailleurs).

Voilà pourquoi l'histoire des pays capitalistes est si similaire durant les 30 glorieuses, avec dans tous les cas une classe ouvrière majoritairement encadrée par les syndicats et ne se préoccupant pas de révolution mais seulement de gestion (cogestion, autogestion, etc.).

La question du pouvoir a disparu derrière la question de l'organisation du travail. Aujourd'hui des syndicats comme SUD ou la CNT sont dans la droite filiation de la CFDT chrétienne des années 1970 : pas de politique, mais tout un discours sur la gestion « par les travailleurs » à l'opposé de la gestion « par les patrons », en concurrence en cela avec une CGT participant totalement aux institutions étatiques avec la bourgeoisie.

Ainsi, la chute tendancielle du taux de profit a été temporairement ralenti par l'élévation de l'intensité du travail.

c) le degré de productivité

Ici, tout comme pour le sucre, les capitalistes ont mené une véritable révolution culturelle, combinant en fait l'aspect extensif avec le degré d'intensité. Comment ont-ils fait cela ?

En fait, le but des capitalistes est de faire en sorte qu'une plus grande quantité de produits soit fournie pour une même quantité de travail.

Habituellement, la question des matières premières est simple : quand on a un kilo de blé, on a un kilo de blé. On peut bien jouer sur le caractère extensif et faire en sorte que le blé soit davantage utilisé (nous l'avons vu dans le cas du sucre), mais on ne peut pas transformer un kilo de blé en plusieurs kilos de blé.

Cela existe en fait, comme activité commerciale, par exemple en remplaçant une matière par une autre qui est moins chère (le sucre notamment), afin de rogner les marges.

Mais aussi courant que cela soit, cela ne peut pas jouer sur l'ensemble du processus, de par son caractère marginal et sectorisé.

En fait, les capitalistes ont cherché et ont tenté de combiner l'aspect extensif avec le degré d'intensité, c'est-à-dire qu'ils ont tenté de trouver une matière première qui, grâce aux techniques de la rationalisation de la production (fordisme, toyotisme, etc.) se multiplient comme par magie.

Les capitalistes ont alors trouvé la poule aux oeufs d'or. Et quelle est-elle ? Eh bien une poule justement. Les capitalistes ont compris que les animaux étaient vivants et qu'il serait donc possible d'utiliser cette source de production « gratuite » pour un rendement maximum.

Les capitalistes ont découvert que si un kilo de blé et un autre kilo de blé n'amenait pas à ce qu'apparaisse un troisième kilo de blé, tel n'était pas les cas pour les animaux.

Ils ont alors généralisé l'utilisation des animaux dans l'industrie : c'est l'apparition d'un côté des gigantesques abattoirs industriels, où l'intensité du travail est énorme, et est combiné avec une productivité en hausse permanente.

Et de l’autre côté l’extension de l’utilisation des animaux au delà de l’alimentation pour toute l’industrie (les farines animales, les graisses pour les machines, les pellicules photos, etc…).

Il y a en France 339 abattoirs (en 2000), dont un quart génère les 2/3 de la production ; le nombre d'abattoirs a décru de plus de 30% entre 1990 et 2000 en raison de la concentration monopolistique.

Les vingt plus grands abattoirs sont même à la base de 47% de la viande !

Pour le veau, ce sont dix abattoirs qui contrôlent 59% de la production ! L'abattoir Olympig dans le Morbihan s'occupe de deux millions de porcs par an !

C'est-à-dire qu'entre 1980 et 2000, il y a deux fois moins d'abattoirs... Mais 10% de production en plus. Voilà un excellent exemple de gestion de la productivité par les capitalistes.

Et cette productivité tient précisément à la nature particulière des matières premières.

Si d'ailleurs culturellement apparaissent aujourd'hui des mouvements de protection animale, ce n'est qu'indirectement en liaison avec leurs ancêtres du 19ème siècle.

Il s'agit d'un phénomène nouveau, qui accompagne la généralisation d'un nouveau type de production qu'ont choisi les capitalistes. De fait, entre 1990 et 2007, la consommation mondiale de viande toute espèce confondue est passée de 143 à 271 millions de « tonnes équivalent carcasses ».

Au 19ème siècle la consommation annuelle de viande était en moyenne inférieure à 20 kg par personne en Europe. En 1920, elle passe à 30 kg puis en 1960 à 50 kg.

En 2008, on passe à peu près à 100 kg de viande par personne et par an (107 kilos en France, 93 en Italie, 136 dans l'Etat espagnol, 107 en Belgique, 88 en Allemagne, etc.).

Il va de soi que cette production est déterminée par les capitalistes et n'est nullement un choix social effectué par les masses. Ce qui est vrai pour la viande l'est tout autant pour le lait, et l'on voit d'ailleurs que les capitalistes font tout pour imposer le lait en Asie (si le lait est très controversé, en Asie son impact sur la santé est connu pour être particulièrement nocif sur les populations locales).

L'argument capitaliste concernant l'élévation du niveau de vie ne fonctionne pas : aux problèmes sanitaires (obésité, maladies cardio-vasculaires, cancers divers...) causés par la viande s'ajoute celle de l'hygiène, en raison de la nature même de la production.

Selon une note de service de la Direction Générale de l’Alimentation (DGAL), datée du 21 novembre 2007 et diffusée dans la revue Le Point, 42 % des établissements où l’on abat veaux, vaches, cochons... et 46 % des abattoirs de volailles et de lapins sont hors la loi au regard des normes d’hygiène européennes, ce qui signifie que plus de 700 000 tonnes de viandes de boeuf, veau, mouton... et environ 500 000 tonnes de poulets qui, chaque année, sortent d’abattoirs sont non conformes.

Autres formes de l’augmentation du degré de productivité, l’utilisation des farines animales et la production de viande recomposé (viande mélangée avec une combinaison d’eau, de phosphates et de produits à la « formule secrète ») sont la cause de problèmes sanitaires incommensurables.

A cela s'ajoute le problème écologique : la production des aliments concentrés pour l'élevage et l'élevage lui-même monopolisent aujourd'hui 78% des terres agricoles mondiales.

A cela s’ajoute la production de déchets inabsorbables par la planète (les tonnes de déjections des cochons par exemple).

Un des problèmes qui fait partie des contradictions inhérentes au capitalisme.

Ainsi donc, le passage de la production de viande de 75 millions de tonnes à 265 millions de 1961 à aujourd'hui est clairement lié à l'intensification gérée par les capitalistes, dans leur bataille pour le profit.

Une tendance qui ne s'arrête pas : à l'horizon 2050 les capitalistes pensent que leur production atteindra 465 millions de tonnes.

Mais ces solutions entreprises par les capitalistes et résumées ici ne font que ralentir la chute tendancielle du taux de profit, pour même l'accélérer après : la formidable croissance du Capital se heurte aux contradictions insolubles qui le travaillent. Le capital n'utilise la production que pour s'agrandir, sa mise en valeur étant le point de départ et le point final.

Sa mise en valeur passant par le « développement inconditionné de la productivité sociale », elle affronte la classe ouvrière, qui est la classe la plus exploitée dans le mode de production capitaliste (les animaux dans le cadre de l'industrie n'étant pas « exploités » mais utilisés, ils ne forment pas une classe sociale, mais une catégorie opprimée, à l'instar d'une nation par exemple).

Les capitalistes s'imaginent que, par les gains de productivité, ils peuvent réduire la dimension de la classe ouvrière dans le cadre du processus productif – une erreur fatale, la pierre qu'ils soulèvent étant trop lourde pour eux.

Ainsi, la crise, loin d'être évitée, n'a donc été que repoussée.

L'accumulation du capital durant les 30 glorieuses n'a fait que renforcer la tendance aux monopoles et n'est que le prélude à la révolution socialiste.

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