16 juil 2013

Défense et illustration de la langue française - 5e partie : Bourgeoisie et éthique de travail

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L'époque de Joachim du Bellay est difficile à saisir, car d'un côté la bourgeoisie se renforce en décentralisant, en morcelant le pouvoir central, comme avec le protestantisme, alors que de l'autre la formation d'un grand État central la renforce également pour l'étape suivante.

C'est la noblesse qui est la cible de ce mouvement en ciseau, mis en branle par la bourgeoisie et par la monarchie absolue.

Joachim du Bellay s'est mis au service de la monarchie absolue, cependant ce qu'il porte est amené par la bourgeoisie. On retrouve donc une éthique du travail, qui par définition ne saurait exister dans la noblesse.

On a ici l'humanisme dans sa version « soumise » à la puissance dominante (la monarchie absolue ou bien le Vatican) ; voici comment Joachim du Bellay appelle à travailler les lettres, critiquant les poètes courtisans sur le fond comme sur la forme :

« d'autant que l'amplification de notre langue (qui est ce que je traite) ne se peut faire sans doctrine et sans érudition, je veux bien avertir ceux qui aspirent à cette gloire d'imiter les bons auteurs grecs et romains, voire bien italiens, espagnols et autres : ou du tout n'écrire point, sinon à soi comme on dit, et à ses Muses.

Qu'on ne m'allègue point ici quelques-uns des nôtres, qui sans doctrine, à tout le moins non autre que médiocre, ont acquis grand bruit en notre vulgaire.

Ceux qui admirent volontiers les petites choses, et déprisent ce qui excède leur jugement, en feront tels cas qu'ils voudront : mais je sais bien que les savants ne les mettront en autre rang que de ceux qui parlent bien français, et qui ont (comme disait Cicéron des anciens auteurs romains) bon esprit, mais bien peu d'artifice.

Qu'on ne m'allègue point aussi que les poètes naissent, car cela s'entend de cette ardeur et allégresse d'esprit qui naturellement excite les poètes, et sans laquelle toute doctrine leur serait manque et inutile.

Certainement ce serait chose trop facile, et pourtant contemptible, se faire éternel par renommée, si la félicité de nature donnée même aux plus indoctes était suffisante pour faire chose digne de l'immortalité.

Qui veut voler par les mains et bouches des hommes, doit longuement demeurer en sa chambre : et qui désire vivre en la mémoire de la postérité, doit, comme mort en soi-même, suer et trembler maintes fois, et, autant que nos poètes courtisans boivent, mangent et dorment à leur aise, endurer de faim, de soif et de longues vigiles.

Ce sont les ailes dont les écrits des hommes volent au ciel. »

C'est pour cela que Joachim du Bellay avait remarqué qu'apprendre le latin et le grec pouvait prendre un tel temps qu'il n'y avait plus moyen d'apprendre ce qui était fourni par le latin et le grec.

Voici ici de nouveau cette affirmation, élaborée cette fois selon la perspective de l'intelligence, de la maîtrise des connaissances :

« Et certes songeant beaucoup de fois, d'où provient que les hommes de ce siècle généralement sont moins savants en toutes sciences, et de moindre prix que les anciens, entre beaucoup de raisons je trouve celle-ci, que j'oserai dire la principale : c'est l'étude des langues grecque et latine.

Car si le temps que nous consumons à apprendre lesdites langues était employé à l'étude des sciences, la nature certes n'est point devenue si bréhaigne, qu'elle n'enfantât de notre temps des Platons et des Aristotes.

Mais nous, qui ordinairement affectons plus d'être vus savants que de l'être, ne consumons pas seulement notre jeunesse en ce vain exercice: mais, comme nous repentant d'avoir laissé le berceau, et d'être devenus hommes, retournons encore en enfance, et par l'espace de vingt où trente ans ne faisons autre chose qu'apprendre à parler, qui grec, qui latin, qui hébreu.

Lesquels ans finis, et finie avec eux cette vigueur et promptitude qui naturellement règne en l'esprit des jeunes hommes, alors nous procurons être faits philosophes, quand pour les maladies, troubles d'affaires domestiques, et autres empêchements qu'amène le temps, nous ne sommes plus aptes à la spéculation des choses.

Et bien souvent, étonnés de la difficulté et longueur d'apprendre des mots seulement, nous laissons tout par désespoir, et haïssons les lettres premier que les ayons goûtées, ou commencé à les aimer. »

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