Denis Diderot et le matérialisme - 5e partie : Diderot aux côtés de Voltaire et Rousseau
Submitted by Anonyme (non vérifié)Les Lumières françaises connaissent trois grandes figures : Jean-Jacques Rousseau, Voltaire et Denis Diderot. Pourtant, on ne retient que peu de choses de Diderot dans la France capitaliste, son matérialisme s'effaçant derrière la verve de Voltaire et le positions de Rousseau sur la politique, notamment avec Le contrat social.
En fait, il n'existe pas de « diderotisme » et ainsi, les positions matérialistes de Diderot se diluent dans le mouvement des Lumières.
Quant à Voltaire, si on met en avant ses œuvres secondaires comme Candide, Zadig, Micromégas, etc. c'est pour masquer le contenu philosophique, qui fait que Voltaire était un bourgeois réformiste, n'hésitant pas à soutenir des monarques éclairés, à écrire en alexandrins des tragédies, qui sont une forme aristocratique, etc.
Si Voltaire est connu, c'est en fait parce qu'avec des œuvres comme les Lettres philosophiques (1734) et les Éléments de la philosophie de Newton (1738), il a répandu en France l'empirisme du matérialisme anglais, ni plus, ni moins.
Diderot se situe dans cette perspective, lui aussi pouvait être proche d'un « despote éclairé » comme Catherine II de Russie. On sait également comment Bacon a été la figure décisive du matérialisme anglais, et Diderot dit à son sujet dans l'Encyclopédie :
« Je crois avoir appris à mes concitoyens à estimer & à lire le chancelier Bacon ; on a plus feuilleté ce profond auteur depuis cinq à six ans, qu’il ne l’avoit jamais été.
Nous sommes cependant encore bien loin de sentir l’importance de ses ouvrages ; les esprits ne sont pas assez avancés.
Il y a trop peu de personnes en état de s’élever à la hauteur de ses méditations ; & peut-être le nombre n’en deviendra-t-il jamais guere plus grand.
Qui sait si le novum organum, les cogitata & visa, le livre de augmento scientiarum, ne sont pas trop au-dessus de la portée moyenne de l’esprit humain, pour devenir dans aucun siecle, une lecture facile & commune ?
C’est au tems à éclaircir ce doute. »
Diderot est ainsi considéré par la bourgeoisie comme une force d'appoint à cet appel à la « pratique », à l'expérience, bref à la transformation de la matière, en marchandises bien sûr.
Au départ, Diderot s'intéresse d'ailleurs à Condillac, auteur de l’Essai sur l’origine des connaissances humaines, qui reprend l'Essai concernant la connaissance humaine de l'Anglais Locke.
Lénine, notre illustre maître, a noté fort justement dans Matérialisme et empirio-criticisme que « Berkeley et Diderot relèvent tous deux de Locke ».
Ainsi, l'article « Scepticisme » de l'Encyclopédie explique que « Le scepticisme est le premier pas vers la vérité. » On est là plus proche de Diderot et de son « doute » que du matérialisme affirmant que la vision dialectique du monde permet de saisir la réalité.
De la même manière, l'ouvrage sans doute le plus célèbre et le plus fort de Diderot est Le Neveu de Rameau, une œuvre très appréciée de Marx et Engels.
Cependant, cette œuvre ne fut pas publiée du vivant de Diderot ; elle arriva en fait dans les mains des grandes figures du romantisme allemand, Schiller et Goethe, ce dernier la traduisant et la publiant en 1805, la version française n'arrivant qu'en 1821.
La Lettre sur les aveugles à l’usage de ceux qui voient vaudra un emprisonnement à Diderot ; cependant c'est une réflexion sur la question de la vision, avec une critique de la religion. Ce n'est pas une forme politique affirmative directe.
Pareillement, Jacques le fataliste et son maître est une sorte de demi-roman, consistant plutôt en des réflexions philosophiques, à travers un dialogue.
Le dialogue est d'ailleurs la forme d'autres œuvres centrales, comme Le Rêve de d’Alembert, ou encore Entretien d’un philosophe avec la maréchale de ***.
On en reste au terrain des libertins du 17e siècle ; c'est d'ailleurs directement la logique de La Religieuse, parue après la révolution française d'ailleurs.
La littérature est ici une forme de combat « en passant », on égratigne la morale dominante, mais on n'expose pas de système complet. La question de la morale est d'ailleurs également au centre du Supplément au voyage de Bougainville.
C'est la très grande limite de Diderot, et c'est cela qui fait que l'Encyclopédie est à valoriser comme principe, comme démarche radicale de l'aile la plus progressiste de la bourgeoisie, mais qu'il y a une limite historique dans la forme de cette affirmation.
S'appuyant sur une bourgeoisie française ayant été incapable d'assumer le protestantisme comme ensemble théorique, Diderot reste incapable d'assumer l'esprit de système.
Des Lumières à la franc-maçonnerie jusqu'aux conceptions du 20e siècle, la France reste bloquée dans cet esprit de refus du « système complet », que justement le matérialisme dialectique vient apporter.