9 oct 2013

Denis Diderot et le matérialisme - 2de partie : l'Encyclopédie, arme idéologique

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Le matérialisme affirme l'unité de l'univers et l'esprit de synthèse. En ce sens, la parution au 18e siècle de l'Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers est un triomphe du matérialisme.

C'est une œuvre d'envergure, en 17 volumes de texte et 11 d’illustrations , avec en tout 71 818 articles. Il aura fallu 15 ans pour l'écrire et 21 ans pour la publier, à l'origine pour un tirage de 4 255 exemplaires en France, atteignant bientôt environ 24 000 en Europe.

Le chiffre peut paraître restreint, mais il faut saisir surtout que l'Encyclopédie a été une arme idéologique suprême, en raison de la liaison dialectique entre sa forme et son fond : la théorie et l'expérience sont unifiées et synthétisées en tant que connaissance.

La féodalité, qui était un monde de répétition, où la démarche théorique était bannie au moyen de la religion, ne pouvait avec son formalisme décadent faire face à cette affirmation idéologique.

D'ailleurs, elle n'en a pas saisi la portée : une classe décadente ne pense pas. L'aristocratie avait abandonné les décisions idéologiques au clergé, qui lui s'inquiétait des activités de Voltaire et Montesquieu, ou encore de Jean-Baptiste de Boyer.

Mais elle est surtout focalisée sur ses propres contradictions internes, avec les courants janséniste et jésuite. Ce n'est qu'après 1750, alors que la vague des Lumières était irrépressible, que l’Église a tenté de faire jouer les interdictions de manière plus importante.

Quant à l'Encyclopédie, les éléments les plus avancés de la féodalité ont mis des bâtons dans les roues de l'interdiction royale, facilitant son existence.

De fait, l'Encyclopédie était conforme à l'esprit bourgeois déiste et monarchiste constitutionnel. Sa démarche était matérialiste, mais son positionnement était simplement rationaliste.

Diderot, à l'article « Encyclopédie » de l'Encyclopédie, expliquait ainsi :

« Le but d'une encyclopédie est de rassembler les connaissances éparses sur la surface de la terre; d'en exposer le système général aux hommes avec qui nous vivons, et de les transmettre aux hommes qui viendront après nous; afin que les travaux des siècles passés n'aient pas été des travaux inutiles pour les siècles qui succéderont ; que nos neveux, devenant plus instruits, deviennent en même temps plus vertueux et plus heureux, et que nous ne mourions pas sans avoir bien mérité du genre humain. »

D’Alembert, dans un « Avertissement des éditeurs » du troisième volume de l’Encyclopédie, précise de son côté :

« L’empire des Sciences & des Arts est un palais irrégulier, imparfait, & en quelque maniere monstrueux, où certains morceaux se font admirer par leur magnificence, leur solidité et leur hardiesse ; où d’autres ressemblent encore à des masses informes ; où d’autres enfin, que l’art n’a pas même ébauchés, attendent le génie ou le hasard.

Les principales parties de cet édifice sont élevées par un petit nombre de grands hommes, tandis que les autres apportent quelques matériaux, ou se bornent à la simple description.

Nous tâcherons de réunir ces deux derniers objets, de tracer le plan du temple, & de remplir en même tems quelques vuides. Nous en laisserons beaucoup d’autres à remplir ; nos descendans s’en chargeront, & placeront le comble, s’ils l’osent ou s’ils le peuvent. »

On a là une perspective lente de construction ; la bourgeoisie n'en est qu'à ses débuts et elle a besoin encore de se façonner une méthode, une approche, une idéologie dans la situation concrète de la France.

La bourgeoisie a ainsi financé la parution de l'Encyclopédie, avec des milliers de souscripteurs, et lorsqu'une interdiction momentanée forcera de les rembourser, pas un ne vint chercher son argent.

La bourgeoisie était consciente de prendre l'ascendant culturel-idéologique, car l'Encyclopédie était utile de par le savoir auquel elle donnait accès, notamment dans les arts mécaniques.

Le progrès passait alors, de manière claire, inévitablement par la classe entreprenante, à l'opposé de l'aristocratie repliée sur elle-même et ses privilèges.

Et c'est Diderot, maître d'oeuvre de l'Encyclopédie, qui a été le chef d'orchestre nécessaire à l'affirmation stratégique bourgeoise.

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