9 sep 2013

Egon Erwin Kisch et Bertolt Brecht - 2e partie : Le "Reportage écrit sous la potence" de Julius Fučík

Submitted by Anonyme (non vérifié)

Julius Fučík, né le 23 février 1903, à Smichov, un quartier ouvrier dans la banlieue de Prague, est un journaliste tchécoslovaque qui a rejoint très jeune les rangs du Parti Communiste. Son père était métallurgiste ; lui-même est le neveu de son homonyme, compositeur auteur de la mondialement célèbre Entrée des gladiateurs, notamment utilisé par les cirques.

Intéressé très tôt par la littérature, il rejoignit parallèlement l'aile gauche de la social-démocratie, qui forma le Parti Communiste de Tchécoslovaquie. Il écrivit alors pour le journal communiste de la ville de Plzeň, puis ses études finies, il participa à différents journaux et revues d'esprit littéraire.

Écrivant notamment de manière régulière pour le journal partidaire Rude Pravo (le droit rouge, publié quotidiennement), il fut régulièrement arrêté par la police politique ; il visita d'ailleurs en 1930 l'URSS pendant quatre mois  ce qui fut prétexte à une de ses œuvres : Au Pays où demain est déjà hier (V zemi, kde zítra již znamená včera).

Propagandiste pour des grèves en Bohême, activiste culturel, il devint le correspondant du Rude Pravo à Moscou en 1934-1935.

Avec les accords de Munich, puis l'invasion du pays par l'Allemagne nazie en 1939, il passa dans la clandestinité et devint l'un des dirigeants du Parti, s'occupant du Rude Pravo et de sa republication sous forme clandestine.

Néanmoins, le 24 avril 1942 la planque d'une réunion fut découverte et alors Julius Fučík se retrouva donc dans les mains de la Gestapo, rejoignant la prison de Pankrac à Prague.

Voici comment il raconte son arrestation :

« Le premier coup au visage. Peut-être qu'il aurait dû me mettre K.O. « Les mains en l'air ! » Le second. Le troisième. C'est ainsi que je me suis présenté la situation. 

De l'appartement rangé de manière impeccable, il ne reste désormais qu'un amas de meubles balancés de-ci de-là et de vitres. De nouveaux coups avec les mains, et des coups de pied.

« Avance ! » Ils me placent dans la voiture. Les pistolets sont tout le temps dirigés vers moi. Sur la route commence mon interrogatoire. « Qui es-tu ? - Professeur Horak. - Tu mens ! » Je hausse les épaules. « Reste tranquille, ou je tire ! - Tirez donc ! » Au lieu du tir de pistolet, un coup de poing. »

Par la suite, Julius Fučík fut placé dans la cellule 267 de Pankrac, il fit face à la torture, et l'on sait ce qu'il a ressenti grâce à la complicité d'un gardien. 

D'avril au 9 juin 1943, celui-ci fournit en effet à Julius Fučík du papier à cigarettes et un crayon. Lui et un autre gardien conservèrent par la suite les documents, les 167 pages manuscrites, pendant la guerre. Julius Fučík fut lui emmené à Berlin-Plötzensee, et exécuté ; suite à la décision d'un tribunal nazi de cette ville le 25 août 1943.

Il fut pendu, en même temps que 186 autres personnes ce jour-là. Mais les écrits de Julius Fučík restaient, pour être rassemblés après la guerre lorsque les deux gardiens remirent les manuscrits.

Publié après la guerre, la diffusion de l'ouvrage, sous le nom de Reportage écrit sous la potence (Reportáž psaná na oprátce), fut phénoménale.

Il s'agit de l'ouvrage en langue tchèque le plus traduit de par le monde (88 langues pour 300 éditions) et le plus publié au 20e siècle ; rien qu'en Tchécoslovaquie, il y eut 38 éditions.

Le retentissement de l'oeuvre tient à sa nature très élevée de reportage ; on a la qualité et la véracité, la dignité du réel est au cœur de ce qui est raconté, qui plus est dans le contexte dramatique de la lutte antifasciste.

Julius Fučík raconte ainsi :

« Maintenant je me tiens debout de nouveau, vraiment, je me tiens, seul, sans aide de quelqu'un, et devant moi il y a un mur jaune et sale, arrosé, de quoi ? Apparemment, c'est du sang... Oui, c'est du sang, je soulève le doigt et j'essaie de le frotter. 

Cela part, c'est frais, c'est mon sang... Et quelqu'un me frappe par derrière sur la tête et m'ordonne de lever les mains et de faire des squats ; au troisième je me renverse. »

Il raconte avec acuité la nature des nazis :

« Il arrive ainsi que le meurtre d'un homme n'est pas le plus grand mal que l'on puisse faire à celui-ci. Les nazis étaient des spécialistes, non seulement dans le meurtre et la torture physique, mais aussi dans la dégradation d'un homme, pour en arracher les fondements, dans l'extermination de son espoir, de son attachement à la vie et de sa faculté à raisonner. »

Il raconte la vie des prisonniers, leurs peurs, leurs luttes, comme lorsqu'il décrit la chose suivante :

« C'était l'antichambre d'une salle de torture, d'où on entendait les hurlements et les cris d'effroi des autres, sans savoir ce à quoi il fallait s'attendre pour soi-même. On voyait d'ici partir des gens en bonne santé, forts et courageux, et revenir de deux, trois heures d'interrogatoire cassés en deux et brisés. On voyait ici des gens partir avec une regard clair et ouvert, mais on ne pouvait plus les voir dans les yeux quand ils revenaient. »

Julius Fučík raconte ainsi que, prisonnier des nazis, il ne restait que l'essentiel, tout ce qui masquait le caractère d'une personne s'effaçait ; et ainsi :

« le fidèle résiste, le traître trahit, le petit-bourgeois doute, le héros lutte. »

Julius Fučík a résisté héroïquement, mais ce n'est pas tout : il a réussi à donner de fausses informations aux nazis (depuis 1989, les réactionnaires tchèques détournent cela et prétendent qu'il aurait trahi).

Il raconte comment il a réussi à attirer leur attention sur des choses erronées, non pas pour les retarder par rapport à lui-même et par rapport à son exécution, mais pour les induire en erreur dans leurs activités criminelles. 

Une situation que Julius Fučík  décrit notamment ainsi :

« Pendant une année, je leur ai réalisé une pièce de théâtre, où le rôle principal me revenait. Parfois c'était distrayant, parfois épuisant, toujours dramatique. »

Julius Fučík a fait preuve d'un sang-froid exceptionnel, fondé sur une fidélité indéfectible à l'URSS, à Lénine, à Staline, comme en témoignent ses articles dans le Rude Pravo clandestin avant son arrestation, mais aussi dans son « reportage. » Il raconte ainsi :

« La montre donne dix heures sur le Kremlin et sur la place rouge commence le défilé. Père, nous marchons ensemble ! Là-bas, ils chantent maintenant l'Internationale, maintenant l'Internationale résonne dans le monde entier, elle doit également résonner dans notre cellule.

Nous chantons. Et ensuite, un chant révolutionnaire en suit un autre, nous ne voulons pas être seul, nous ne sommes pas seuls, nous appartenons à ceux qui sont libres de chanter, mais également en lutte comme nous...

« Camarades dans les geôles, dans les froids donjons, vous êtes avec nous aujourd'hui, même si vous n'êtes pas présents dans les rangs... » Oui, nous sommes avec vous. »

Pour cette raison, Julius Fučík a dénoncé l'esprit de trahison :

« Comme était superficielle sa résistance, puisqu'elle a été balayée par quelques coups... Aussi superficielle que sa conviction. Il était fort dans les masses, entouré de camarades pensant pareils. Il était fort, parce qu'il pensait à eux.

Maintenant, isolé, seul, entouré de l'ennemi attaquant, il a totalement perdu sa force, parce qu'il a commencé à penser à lui. Pour sauver sa peau, il a sacrifié les camarades. Il a basculé dans la lâcheté et par lâcheté il a pratiqué la trahison. »

Et inversement, il a salué l'esprit de résistance :

« Un jour, aujourd'hui sera du passé, on parlera de la grande époque et des héros sans noms, qui ont fait l'histoire. Je veux que l'on sache qu'il n'y a pas eu de héros sans noms... 

Qu'il s'agissait d'êtres humains, qui avaient leurs noms, leurs visages, leur quête et leurs espoirs, et que pour cette raison, la douleur du dernier d'entre eux n'était pas moindre que la douleur du premier, dont le nom a été gardé.

Je souhaite que tous restent proches de vous, comme des proches, des membres de la famille, comme vous-mêmes. »

Le reportage de Julius Fučík montre comment s'est incarnée la bataille antifasciste menée par les communistes, et comment il n'y avait aucun doute quant à l'inévitable victoire.

Julius Fučík écrit même, depuis ses geôles, malgré la torture :

« Quiconque qui veut construire une défense contre la vague révolutionnaire à partir de la poussière du passé n'est qu'une figure de bois mort, même s'il a de nombreux insignes dorés de rang sur ses épaules.

Mais cette figure, il faut également la voir vivante, dans sa bassesse et son caractère humilié, dans sa cruauté et sa dimension ridicule, parce que c'est un matériel pour la connaissance future. »

La force de l'oeuvre tient à cette abnégation, dans une situation terrible. Bien entendu, après 1989, la propagande réactionnaire a accusé Julius Fučík de tous les maux : il aurait été un traître, il ne serait pas mort car les nazis l'auraient protégé et emmené avec eux en Amérique latine après 1945, le tout aurait été une invention (ce que notamment Vaclav Havel a avancé), etc.

La force de cette œuvre est une arme terrible contre la bourgeoisie, et Julius Fučík avait conscience de la nature de son reportage, de sa valeur s'il était possible de le transmettre.

Voici comment il nous présente son émotion, à la découverte de la possibilité d'écrire :

« C'était trop beau – je ne pouvais pas le croire. Trop beau, ici, dans cette obscure maison, quelques semaines après mon arrestation, dans l'uniforme de ceux qui n'avaient sinon pour soi que des hurlements et des coups – trouver un être humain, un ami, qui te tend la main, afin que tu ne partes pas sans laisser de traces, afin que tu puisses envoyer ton message futur, que tu puisses parler au moins pour un instant avec ceux qui survivent et qui vont vivre cela. »

Julius Fučík était un communiste de très grande valeur, et voici comment se termine son reportage,  les dernières lignes écrites :

« Je n'ai pas décrit la fin. Je ne la connais pas encore. Ce n'est plus un jeu. C'est la vie. Et dans la vie, il n'y a pas de spectateurs. Le rideau tombe. Humains, je vous appréciais. Soyez vigilants ! »