21 sep 2013

Egon Erwin Kisch et Bertolt Brecht - 5e partie : Notes du ghetto parisien

Submitted by Anonyme (non vérifié)

C'est avec un œil avisé et un regard cocasse que Kisch effectue ses reportages, nous montrant de manière critique la vie des gens. Ici, il se promène dans un quartier qui n'existe plus depuis quelques années, appelé le Marais et de culture juive, dans le centre de Paris.

« 1ère notice : C'est une véritable guerre civile qui se joue sous la notion de « casher » sur les panneaux d'entreprises des magasins d'alimentation du quartier de Saint-Paul [à Paris].

Jusqu'à présent, on a pensé que ce mot signifiait que les aliments correspondaient aux exigences des rituels, jusqu'à présent on a pensé que ce qui n'était pas « casher » était facile à saisir et que le mot « casher » avec sa propriété ne connaîtrait pas d'augmentation.

Toutefois, on apprend qu'il en va de la définition de « casher » comme ailleurs avec la définition de « national » : tel parti, ben oui, il est national, l'autre, de fait, il est davantage national, le troisième, il faut l'admettre, est le plus national, mais mon parti, c'est lui le plus national des plus nationaux, et si tu ne le soutiens pas, alors tu es un traître à la nation.

On a ainsi de semblables licites-illicites pour la nourriture  correspondant aux rituels. Un seul des charcutiers de la rue des Ecouffes se contente d'un simple : casher.

Cette reconnaissance est mise en doute par la boucherie juste à côté, elle tape à l'oeil de manière très parlante au voisinage et dit d'elle-même : « emes casher », je suis véritablement casher.

A quoi cela lui sert, alors que son concurrent de l'autre côté de la rue se targue de livrer les « Schomre Hadas », les porteurs de la croyance, de telle manière que les plus orthodoxes des plus orthodoxes peuvent se procurer tranquillement ici ses moutons et, comme le panneau de l'entreprise  annonce également la vente de « volailles ojfes », ses oies.

On peut disposer encore plus d'assurance, cependant : au coin il y a un charcutier, qui se définit d'un côté comme une Maison de confiance, et de l'autre ne croit pas que ses clients aient confiance en lui, aussi a-t-il ajouté « Haschgoche du connu Row [rav, rabbin] Horaw Reb Joel Halewi, Schalito. »

Naturellement, l'affirmation apparaît comme plus strict, encore plus strict et au plus strict sur le plan du rituel, lorsqu'elle est exclusivement annoncé en lettres hébraïques; la traduction française ne dit rien de cela, et sur le même magasin à gauche de l'annonce « Adas Jisroel », le plus hautement orthodoxe, le texte français dit : « Boucherie moderne. » Comme on le voit, c'est bien de la duplicité.

C'est au restaurant Haifa dans la rue Vieille du temple auquel on peut le plus faire confiance. Car premièrement il est annoncé là-bas sur la carte des plats, jeté sur la façade : « Koscher lemhadrin min lemhadrin » - casher pour les plus stricts des stricts -, et ensuite on ne fait pas là-bas des jeux sur les traductions, comme chez le charcutier, qui veut être moderne à gauche et Adas Jisroel à droite.

Ici, à « Haifa », les traductions sont mot à mot. A la porte par exemple il est inscrit « Fermez la porte, s.v.p. », et comme on ne fait pas confiance aux hôtes quant au fait de suffisamment connaître le français, il est écrit en-dessous : « Bitte zu fermachen der Tür beim herausgehn » [fermez la porte en sortant en allemand, cependant fermer donne « fermachen » au lieu de « zumachen », tel un mot français germanisé].

Note : Le pain azyme s'appelle Mazzes en français. Aucun boulanger de Mazzes de Schepetowka [ville d'Ukraine] ou de Berditschew [ville d'Ukraine et important centre juif, liquidé physiquement par les nazis en 1941] ne s'est jamais douté, que ses descendants auraient la même activité à Paris et affirmeraient au-dessus de la cuisine de la boulangerie les mots fiers : « Fabrique du pain azyme. »

Et lorsque le vieux Moïse, il y a 3500 ans, a fait part de son ordre strict, comme souvenir de la souffrance de la marche dans le désert, de manger pendant une semaine du pain non levé, il ne se doutait pas non plus de ce qui serait fait de cet ordre.

Dans le ghetto parisien, « Le Plätzl » [la petite place], on a toute l'année des Mazzes de proposés à l'achat, d'une chose relevant de l'interdit, d'un repas de jeûne, est devenu une gâterie. »

Dans la cinquième note, Kisch constate le triomphe social de la religiosité :

« Toussent et prient avec, les votants du social-démocrate Léon Blum, toussent et prient avec, les partisans du sioniste guerrier Jabotinsky, toussent et prient avec, les voisins de Schwarzbart, qui a descendu le général pogromiste Petlioura, toussent et prient avec, les amis de l'ataman anarchiste Makhno, toussent et prient avec, les camarades de pensée du menchévik Abramovitch, toussent et prient avec, les petits commerçants du carreau du temple, et toussent et prient avec les propriétaires de « l'atelier », où l'on tresse les laptis [espadrilles tressées], effectue les tricotages, coupe les pantalons, pique les manteaux de cuir, colle les manteaux de caoutchouc, aplatit les manteaux pour dames, coud les dessous, fait des bonnets ou munit des sacs à mains avec des « Pontschkes » (des poignées).

Ne prient et ne tous pas avec, et ne sont pas du tout là : les travailleurs de ces petites entreprises. »

Et Kisch raconte par la suite :

« Les places assisses pour le temple sont, les jours de grandes fêtes, pas données ; pour les pauvres cette dépense signifie qu'il faudra également jeûner après le jour du jeûne, et même la personne aisée ne donne pas volontiers autant d'argent pour des buts non productifs.

Mais que peut-on y faire, une fois par an il faut ce sacrifice, et ce en faveur des enfants vivants, afin qu'ils soient pieux, et des parents morts, qui ont toujours été pieux, sans que cela leur ait permis d'éviter le pogrom et pour leurs descendants, la fuite à la petite place parisienne. »

Kisch raconte encore :

« 6. notice : les restaurants sont fermés le jour du jeûne et connaissent le soir une fréquentation multipliée de bouches affamées.

Les moins chers affichent « Pri figs » [prix fixes] et « Brojd a Dischkretion » [pain à volonté], les plus chers ont des serviettes de table blanches, et beaucoup de leurs clients portent le ruban de la légion d'honneur sur leur veste.

« Tous les jours spécialités de krépleches » [boulettes farcies à la viande] indiquent les cartes, plus loin il y a les « Poissons farcis », « Nüdelach avec paveau » [pâtes], « Lokczen kes » [plat au fromage], « gefilté kickzke avec Ferfel » [tripes farcies avec des petites nouilles aux oeufs] (on remarquera l'accent aigu sur le e, afin que le Français éduqué ne l'avale pas un tant soit peu), ou « Rôti de veau avec kaché. »

« Scholet » [le Cholent, mélange de viande, d'orge, de haricots et de patates] est écrit Scholet, un conservatisme déplacé, car justement ce mot est censé venir du français : on posait « le plat divin sucré » le vendredi soir dans le lit chaud (« chaud lit »), afin de l'apprécier chaude le samedi, sans chauffer le four, ce qui la religion interdit. »

Plus loin, Kisch note encore, dans une triste ironie :

« Le chiffonnier, le commerçant de haillons au sens strict, ne vit que de haillons et de vieux journaux, la vitrine de son minuscule magasin moisi est vide. Beaucoup ont, après le début de la terreur hitlérienne, collé sur sur la porte vitrée opaque de leur minuscule magasin un papier imprimé : « Les représentants des maisons allemandes ne sont pas reçus. »

Une vision grotesque : des représentant des maisons de commerce allemande, des hommes rigides en fourrure, un paquet de haillons élimés sous le bras droit, un paquet de vieux journaux sous le bras gauche, veulent négocier avec le riche commerçant dans la rue du Prévôt étroite et sale, voient alors subitement l'affiche et s'éloignent déçus de là.

Eh bien, il n'y a pas à se moquer. Les pauvres petits bourgeois lumpen ont pris au sérieux la campagne de boycott, avec laquelle ont prétendu protester les juifs nationaux et religieux contre la persécution de leurs coreligionnaires en Allemagne hitlérienne. »

Et Kisch de raconter comment inversement les grands capitalistes, eux, traitent sans souci avec l'Allemagne nazie...

« Mais sur la petite place ne vivent pas que des petits-bourgeois, sur la petite place vivent, tout comme à Belleville et Montmartre, des dizaines de milliers d'autres Juifs, qui eux savent que dans le Reich fasciste sont assassinés non seulement leurs coreligionnaires, mais également leurs camarades de classe martyrisés qui savent, qu'il n'y a pas d'union entre pauvre et riche, que la solidarité sur la base de la religion et de l'ethnie est utopique.

Ces autres Juifs savent que sont des travailleurs allemands les camarades exécutés, mis en geôle ou continuant le travail illégalement, ces autres Juifs ne collent pas d'appel au boycott, ces autres Juifs luttent de manière décidée contre la torpeur et la réaction, et pour un monde sans ghettos et sans classes. »