22 juil 2016

L'Italie fasciste et l'antifascisme - 19e partie : 1925 et la progression du Parti Communiste d'Italie

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Le grand problème posé par le fascisme au gouvernement est de savoir comment l'en sortir. Le PCI considère que pour l'extirper, il faut nécessairement changer de régime. Le PSI, basculant toujours plus à droite, pense qu'il est possible justement de s'appuyer sur le régime pour le chasser.

Il y a toutefois pire comme problématique : personne ne pense que le fascisme puisse se maintenir. Tout le monde pense que Benito Mussolini pousse dans la brutalité des chemises noires justement afin de parvenir à un compromis et de s'institutionnaliser.

Le fascisme n'aurait ainsi été qu'une vague, retombant nécessairement. La bourgeoisie n'aurait aucun intérêt au fascisme si elle n'est pas menacée, de plus la guerre civile est un processus toujours risqué pour elle à long terme.

Pour cette raison, le PCI prend comme mot d'ordre « l'anti-Parlement », tentant de développer un mouvement qui s'élance à côté des institutions.

Toutefois, le fascisme va de l'avant précisément parce qu'il compte triompher. Le gouvernement de Benito Mussolini avait profité, en novembre 1922, des pleins pouvoirs donnés par la Chambre des députés et le Sénat, et il ne compte pas reculer : il ne le peut pas. Le paradoxe apparent alors pour les observateurs est donc que loin de soumettre la violence aux institutions, le fascisme fait l'inverse.

A la réouverture de la Chambre, le 3 janvier 1925, suite à l'affaire Matteoti, Benito Mussolini tient un discours très clair :

« Je déclare ici, en présence de cette Assemblée et en présence de tout le peuple italien, que j'assume, moi seul, la responsabilité politique, morale, historique de ce qui s'est produit.
Si les phrases plus ou moins déformées suffisent à pendre un homme, sortez le gibet et sortez la corde ! Si le fascisme n'a été que huile de ricin et bastonnade et non en fait une passion superbe de la meilleure jeunesse italienne, la faute m'en revient ! Si le fascisme a été une association de criminels, je suis le chef de cette association de criminels ! »

Il précise également :

« Soyez assurés que dans les 48 heures qui suivront mon discours, la situation sera éclaircie sur toute la ligne. »

Les préfets se chargent en effet d'organiser des séries de rafles, d'intimidations, montrant que l’État agit dans l'esprit du gouvernement. 95 lieux de rencontre militante sont fermés, 25 « organisations subversives » interdites, 111 « dangereux révolutionnaires » sont emprisonnés, les chambres du travail sont fermés à Bologne, Palerme, Trieste, Bescia, Foggia, Modène.

Les fascistes interviennent naturellement également, menant de très nombreux assauts violents. L'Unité, le journal de front du PCI, est quant à lui saisi 11 fois entre le 3 et le 16 janvier. De fait, toute la presse devient la cible du régime lui-même, fusionnant toujours plus avec le fascisme.

On peut comprendre la difficulté de la lutte quand on sait que si le PCI a désormais 27 000 membres, L'Unité ayant subi la répression tire à 30 000 – 40 000 exemplaires, L'État ouvrier autour des 10 000 -14 000, Avant-Garde à 15 000, L'Ordre Nouveau à 5 000 – 6 000.

La grande majorité du Parti est composée d'ouvriers de l'industrie, avec pour le reste un quart des effectifs qui sont paysans et ouvriers agricoles, 5% étant des artisans, des employés, etc. Le Nord est toujours le centre névralgique pour le PCI, avec 15 000 membres qui y sont présents.

C'est la raison pour laquelle il parvient, en novembre, à réaliser dans plusieurs villes ouvrières de grands meetings pour célébrer la révolution d'Octobre, alors que pour le 1er mai, désormais plus férié, 50 000 ouvriers menèrent une grève à Milan, plusieurs dizaines de milliers à Turin, plusieurs milliers à Trieste (400 ouvriers y sont arrêtés), ainsi que de manière plus restreinte à Rome, Novara, Bologne, Florence.

Le PCI, au cours de l'année 1925, procède également à sa bolchevisation, avec 460 cellules d'usines (rassemblant environ 4000 membres), pour 750 cellules de quartiers (avec à peu près 7 000 membres) et 950 de villages (avec plus de 10 000 membres).

Le PCI est majoritaire à l'usine historique de Fiat Lingotto ; chez Fiat aux élections de la mutuelle interne, la liste du PCI obtient 8729 voix, contre 8741 à celle de la FIOM unissant PSI et PSU.

Le PCI dirige également la fédération des travailleurs du bois (mais celle-ci est passé de 14 000 à 5 000 membres) et celle des travailleurs des hôtels restaurants, quelques sections des fédérations de métiers, les Chambres du travail de Naples, Trieste, Bari, Trévise, Foggia, Messine ; à Turin il dirige 19 syndicats (les maximalistes du PSI et les réformistes en dirigeant huit), il est hégémonique également dans les syndicats de Padoue, Vicenza, Savona.

Dans la FIOM, le syndicat qui s'occupe de la métallurgie, les communistes représentent la moitié environ du syndicat, mais celui-ci est passé de plus de 72 000 membres à 12 000, ce qui est une tendance générale : la fédération de la chimie avait plus de 33 000 personnes, elle n'en a plus que quelques milliers, le syndicat des chemins de fer est passé de 115 000 membres à un peu plus de 6000, etc.

Quant à la CGdL, le PCI y est soutenu par quasiment 34 000 personnes, mais les maximalistes du PSI le sont par pratiquement 55 000 personnes et les réformistes par plus de 153 000.

Le PCI gagne du terrain, mais ce terrain se réduit ; il avance mais c'est cependant très loin de suffire pour faire face au régime et à sa pression toujours grandissante, surtout que le Comité des oppositions a catégoriquement refusé le PCI. Ce dernier est donc en première ligne, mais les lignes sont ténues : à Rome, sur 7000 personnes prêtes à intervenir militairement pour l'antifascisme, 4000 sont communistes.

Même au Parlement, où le PCI revient pour tenir des discours antifascistes, la situation est terriblement tendue : l'ouvrier Luigi Repossi est reçu calmement pour faire bonne figure, mais avec une pression terrible de la part des 300 députés fascistes. A l'avenir, des cassages de gueules en plein Parlement pourront avoir lieu, sauf dans le cas de la visite d'Antonio Gramsci, le 16 mai 1925.

Sa réputation était déjà grande ; Benito Mussolini l'avait qualifié, en 1921, de « nain sarde, professeur d’économie et de philosophie au cerveau indubitablement puissant ». Au Parlement, en raison de sa voix très faible due à sa santé terriblement mauvaise, Antonio Gramsci fit face à des députés fascistes faisant le symbole de tendre l'oreille pour entendre que « les forces révolutionnaires italiennes ne se laisseront pas écraser, que votre sombre rêve ne parviendra pas à se réaliser ».

Le PCI se renforçait, mais ses marges de manœuvres étaient terriblement restreintes. Il existe cependant en tant que Parti authentique, nouvellement forgé. A ce titre, il liquide le courant d'Amadeo Bordiga, ce qui n'avait pas été réalisé jusque-là.

Le PCI avait été en 1924 encore largement influencé par Amadeo Bordiga : celui-ci n'était pas exclu, mais refusait toute responsabilité, exerçant encore une vaste influence occulte. On peut comprendre l'ampleur de celle-ci lors d'une vaste réunion clandestine de la direction du PCI, ayant rassemblé alors 67 personnes, dans un refuge de montagne de la région de Côme.

Antonio Gramsci racontera de la manière suivante comment la direction du PCI se fit passer pour des employés en vacances :

« Et puis, une réunion illégale du Parti, puis une promenade touristique en montagne des employés d’une firme de Milan : toute la journée des discussions sur les tendances, sur la tactique et pendant le repas au refuge plein de randonneurs, de discours fascistes à la gloire de Benito Mussolini, une comédie générale pour ne pas éveiller les soupçons et ne pas être dérangés dans les réunions tenues dans cette belle petite vallée blanche de narcisses. »

A cette conférence de 1924, Amadeo Bordiga et ses partisans représentaient 35 secrétaires de fédération sur 45, 4 des 5 secrétaires interrégionaux, le représentant de la Fédération des Jeunes et un membre du Comité central, alors que le camp d'Antonio Gramsci, le « centre », avait avec lui 4 secrétaires fédéraux et 4 membres du Comité central (dont 3 sont absents), alors que la « droite » a 5 secrétaires fédéraux et 4 membres du Comité central, et que deux délégués s’abstiennent.

Une discussion retranscrit bien l'ambiance à ce moment-là :

« Gramsci : Il y a un début de reprise dans le mouvement ouvrier. Quel sera son déroulement ?...Ce n’est qu’à travers un lent et long travail de réorganisation politique que le prolétariat pourra devenir un facteur dominant de la situation...Il manque à notre mouvement l’adhésion de la majorité du prolétariat.

Bordiga : Nous l’aurions si nous n’avions pas changé notre tactique par rapport au Parti socialiste ! D’ailleurs nous ne sommes pas pressés....

Gramsci : Si ! Nous sommes pressés, au contraire ! Il y a des situations dans lesquelles ne pas être pressé provoque des défaites… »

En 1925, la situation n'a plus rien à voir. Le PCI s'est reconstruit avec Antonio Gramsci. Amadeo Bordiga tenta bien de lever une fraction « de gauche » pour renverser la direction, se posant comme courant de gauche parallèle à celui de Trotsky en URSS, mais il est rejeté par la quasi totalité des 72 fédérations, seules trois prenant partie en sa faveur.

Au congrès de Lyon, ville choisie pour son immigration socialiste et communiste italienne, qui se déroule du 20 au 26 janvier 1926, Amadeo Bordiga tente une dernière opération, demandant que les fractions soient autorisées dans le PCI et dans l'Internationale Communiste, refusant les cellules d'usines remplaçant les cellules territoriales car cela apporterait une mentalité qui pourrait « se prêter à la dictature commode d’un fonctionnaire bureaucratique ».

Enfin, il considère que le Parti comme un produit organique de la classe, « qui synthétise et unifie les impulsions individuelles » des éléments combatifs et qui doit par conséquent également refuser toute tactique et particulièrement la logique de front antifasciste.

Luigi Longo, un dirigeant d'importance du PCI aux côtés d'Antonio Gramsci et Palmiro Togliatti, résume cela de la manière suivante :

« Pour Bordiga, toutes les forces utiles à la révolution se trouvent déjà dans le Parti. C’est pourquoi, pour Bordiga, toute tentative de trouver des alliés en dehors du Parti représente une déviation, un compromis injustifiable.

Pour Bordiga les possibilités révolutionnaires sont toutes contenues dans le Parti communiste. Pour le léninisme, au contraire, elles sont fournies par les conflits internes du capitalisme, par les luttes contre l’impérialisme dans lesquelles sont entraînées les classes moyennes et s’étendent dans la mesure de la capacité d’action du Parti de la classe vraiment révolutionnaire, le prolétariat. »

Le Parti est avec Antonio Gramsci ; au congrès de Lyon, le courant « centriste » qu'il représente obtient 90,8 % des voix. En février, le congrès de la Jeunesse du Parti va dans le même sens ; la réunion de 32 délégués représentant 7 000 membres soutiennent la direction avec 94,6 % des voix.

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