20 mar 2014

Molière, portraitiste bourgeois - 19e partie : Les anciens sont les anciens et nous sommes les gens de maintenant

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Molière est donc une figure historique de la France ; c'est un artiste porté par tout un mouvement de fond, démocratique et bourgeois. La bourgeoisie aujourd'hui, devenue réactionnaire depuis 1848, le réduit toujours plus à la farce, niant la dimension de son œuvre, mais même son caractère puisque les comédies-ballets ont été transformés en comédies, et sa critique réduite à de la farce et aux bons mots.

Etudier Molière et connaître sa portée est donc une tâche incontournable pour saisir le caractère national français et comprendre l'histoire de la lutte des classes dans notre pays.

Que l'on songe simplement à quel point la nature démocratique en défense des droits des femmes est sous-estimé dans la présentation du travail de Molière, alors que c'est un point essentiel de la bataille anti-féodale.

Il suffit de voir comment les femmes sont vives, ingénieuses et combatives, comme cette tirade fabuleuse dans Le malade imaginaire :

« Thomas Diafoirus

Nous lisons des anciens, mademoiselle, que leur coutume était d'enlever par force, de la maison des pères, les filles qu'on menait marier, afin qu'il ne semblât pas que ce fût de leur consentement qu'elles convolaient dans les bras d'un homme.

Angélique

Les anciens, monsieur, sont les anciens ; et nous sommes les gens de maintenant. Les grimaces ne sont point nécessaires dans notre siècle ; et, quand un mariage nous plaît, nous savons fort bien y aller, sans qu'on nous y traîne. »

Molière est également un combattant du matérialisme, même si cette mise en avant du matérialisme est borné par l'alliance anti-féodale avec la cour de Louis XIV.

Il suffit de voir comment on trouve dans ses œuvres des personnages, prônant la conception selon laquelle il n'y a pas de séparation entre le corps et l'esprit, base absolue du matérialisme. On trouve ainsi dans Les femmes savantes, une pseudo reconnaissance de la division religieuse entre l'âme et le corps, pour retourner cela en matérialisme :

« CLITANDRE

Pour moi par un malheur, je m’aperçois, Madame,

Que j’ai, ne vous déplaise, un corps tout comme une âme :

Je sens qu’il y tient trop, pour le laisser à part ;

De ces détachements je ne connais point l’art ;

Le Ciel m’a dénié cette philosophie,

Et mon âme et mon corps marchent de compagnie. »

La réduction de Molière à de la « farce » nie d'ailleurs, évidemment, comment on retrouve chez Molière la mise en avant de l'Etat national, moderne, dans l'esprit de Richelieu, de Louis XIV. Molière est un applicateur zélé de l'averroïsme moderne.

Voici comment on retrouve une critique anti-féodale, de nouveau dans Les femmes savantes, avec le rejet des artistes et scientifiques qui n'ont qu'une perspective individuelle et ne se placent pas dans la démarche d'ensemble de la société en pleine modernisation.

« TRISSOTIN

Ce que je vois, Monsieur, c’est que pour la science

Rasius et Baldus font honneur à la France,

Et que tout leur mérite exposé fort au jour,

N’attire point les yeux et les dons de la Cour.

CLITANDRE

Je vois votre chagrin, et que par modestie

Vous ne vous mettez point, Monsieur, de la partie :

Et pour ne vous point mettre aussi dans le propos,

Que font-ils pour l’Etat vos habiles héros ?

Qu’est-ce que leurs écrits lui rendent de service,

Pour accuser la cour d’une horrible injustice,

Et se plaindre en tous lieux que sur leurs doctes noms

Elle manque à verser la faveur de ses dons ?

Leur savoir à la France est beaucoup nécessaire,

Et des livres qu’ils font la cour a bien affaire.

Il semble à trois gredins, dans leur petit cerveau,

Que pour être imprimés, et reliés en veau,

Les voilà dans l’État d’importantes personnes ;

Qu’avec leur plume ils font les destins des couronnes ;

Qu’au moindre petit bruit de leurs productions,

Ils doivent voir chez eux voler les pensions ;

Que sur eux l’univers a la vue attachée ;

Que partout de leur nom la gloire est épanchée,

Et qu’en science ils sont des prodiges fameux,

Pour savoir ce qu’ont dit les autres avant eux,

Pour avoir eu trente ans des yeux et des oreilles,

Pour avoir employé neuf ou dix mille veilles

À se bien barbouiller de grec et de latin,

Et se charger l’esprit d’un ténébreux butin

De tous les vieux fatras qui traînent dans les livres ;

Gens qui de leur savoir paraissent toujours ivres ;

Riches pour tout mérite, en babil importun,

Inhabiles à tout, vides de sens commun,

Et pleins d’un ridicule, et d’une impertinence

À décrier partout l’esprit et la science. »

Molière correspond à un moment clef de l'histoire de notre pays ; ne pas le connaître condamne à ne pas comprendre la réalité de notre pays.

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