12 mai 2013

Le romantisme en France (3ème partie)

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1.Le romantisme tente de masquer sa nature de classe derrière la quête d'un idéal (aristocratique), mais sa critique de la société révèle la nature de sa critique idéaliste.

Voici ce que dit Théophile Gautier dans la préface d'Albertus :

« A quoi cela sert-il ? - Cela sert à être beau. - N'est-ce pas assez ? Comme les fleurs, comme les parfums, comme les oiseaux, comme tout ce que l'homme n'a pu détourner et dépraver à son usage.

En général, dès qu'une chose devient utile, elle cesse d'être belle. »

Il n'est pas difficile de voir que ce qui est critiqué ici c'est la généralisation de la marchandise, celle-ci étant de forme « grossière » en comparaison avec l'objet artisanal, utile, mais surtout beau.

Gautier célèbre l'artiste « individuel », totalement personnel, « génie » produisant des œuvres artisanales, face à la production de masse.

Il y a là un manque de dialectique, un refus objectif (et aristocratique) de vouloir généraliser l'art à tout le peuple, de faire en sorte que les objets abandonnent également par là même leur nature de marchandise, pour devenir des objets utiles aux masses toutes entières.

On a de la même manière chez Théophile Gautier une théorie unilatéral du « reflet » ; il dit en effet dans la préface de Mademoiselle de Maupin :

« Je ne sais qui a dit je ne sais où, que la littérature et les arts influaient sur les mœurs. Qui ce que ce soit c'est indubitablement un grand sot. C'est comme si l'on disait : les petits pois font pousser le printemps. »

C'est la conséquence logique du souhait d'une société « réglée comme du papier à musique », une société aristocratique où une élite produit naturellement des œuvres (artisanales). Il n'y a aucun mouvement dialectique, aucune dynamique individu-société.

2.Cependant, si Gautier nie la dialectique, son existence elle-même obéit aux lois de la dialectique. En effet, sa critique est romantique car elle constate la naissance d'un monde, celui du monde industriel d'un côté, tout en dénonçant la destruction de la nature.

C'est cela qui a donné une image écologiste au romantisme, alors qu'en réalité la figure romantique constate passivement la destruction de la nature et n'apprécie celle-ci que comme un paysage propice à son vague-à-l'âme aristocratique.

Lorsque Gautier parle des parfums, des fleurs, des oiseaux, il ne leur accorde pas une valeur en soi, mais simplement une valeur en tant que décor.

Une preuve de cela est l'attitude résolument urbaine du romantisme. Les romantiques français s'habillaient de manière provocatrice pour leur époque ; Gautier porta lui-même, jusqu'en 1841, les cheveux longs jusqu'à la taille.

Il s'agit d'un style dandy, partagé par tout un groupe de gens, formant un « cénacle », qui vont former les bataillons de choc dans les théâtres pour soutenir chaque représentation d'une œuvre romantique, comme lors de la fameuse « bataille d'Hernani. »

Les jeunes romantiques étaient organisés minutieusement pour affronter les critiques « académiques » dans le public.

« Nous aimions tous d'ailleurs, quoique les meilleurs fils du monde, avoir l'air farouche et turbulent, ne fût-ce que pour imprimer une terreur salutaire aux bourgeois. » (Théophile Gautier, Souvenirs du romantisme).

On retrouvera exactement la même approche dans le romantisme propre au 20ème siècle, le fascisme.

Le collabo français Robert Brasillach expliquait ainsi son souvenir de l'esprit régnant à l'imprimerie du journal d'extrême-droite « Je suis partout »:

« Le sentiment de former une bande, pour le meilleur et pour le pire, et ce qu'on nommera, pour choquer le bourgeois, le sens du gang. » (Notre avant-guerre, 1941)

Cet esprit de gang provocateur, on le retrouvera jusque dans les années 1960, avec le film « Orange Mécanique » et l'idéologie « skinhead », éloge de la rupture provocatrice sur le mode « gang. »

3.Ainsi, lorsque le futurisme italien des années 1910 affirmera qu'il faut « tuer le clair de lune », il n'était pas dans une posture anti-romantique, mais dans une dynamique de rénovation du romantisme, qui devait « passer à l'action » au lieu de se contenter de produire du vague à l'âme.

Le poème « Tristesses de la lune » de Charles Baudelaire exprime cette « langueur » aristocratique, ce refus du travail social et sa célébration par le poète « obscur », refusant catégoriquement la joie, le soleil, la vie.

Ce soir, la lune rêve avec plus de paresse ;
Ainsi qu'une beauté, sur de nombreux coussins,
Qui d'une main distraite et légère caresse
Avant de s'endormir le contour de ses seins,

Sur le dos satiné des molles avalanches,
Mourante, elle se livre aux longues pâmoisons,
Et promène ses yeux sur les visions blanches
Qui montent dans l'azur comme des floraisons.

Quand parfois sur ce globe, en sa langueur oisive,
Elle laisse filer une larme furtive,
Un poète pieux, ennemi du sommeil,

Dans le creux de sa main prend cette larme pâle,
Aux reflets irisés comme un fragment d'opale,
Et la met dans son coeur loin des yeux du soleil.

4.Le romantisme est donc une véritable vision du monde. Lénine a précisé la nature du romantisme de la manière suivante :

« L’idéalisation de la petite production nous révèle un autre trait spécifique de la critique romantique et populiste: son caractère petit-bourgeois. Nous avons vu que le romantique français comme le romantique russe font de la petite-production une « organisation sociale », une « forme de production », qu’ils opposent au capitalisme.

Nous avons vu aussi que cette opposition n’implique qu’une compréhension très superficielle, qu’elle isole artificiellement et à tort une forme de l’économie marchande (le grand capital industriel) et la condamne, tout en idéalisant utopiquement une autre forme de cette même économie marchande (la petite production).

Le malheur des romantiques européens du début du XIXème siècle, comme des romantiques russes de la fin du siècle, c'est qu'ils imaginent dans l'abstrait une petite exploitation en dehors des rapports sociaux de la production, et oublient un petit détail : à savoir que la petite exploitation, celle du continent européen de la période 1820-1830 comme celle du paysan russe de la période 1890-1900, est placée en réalité dans les conditions de la production marchande.

Le petit producteur, porté aux nues par les romantiques et les populistes, n'est donc en réalité qu'un petit-bourgeois placé dans les mêmes rapports contradictoires que tout autre membre de la société capitaliste, et menant comme lui, pour assurer son existence, une lutte qui, d'une part, produit constamment une minorité de gros bourgeois, et, d'autre part, rejette la majorité dans les rangs du prolétariat.

En réalité, comme chacun le voit et le sait, il n'y a pas de petits producteurs qui ne soient placés entre ces deux classes opposées ; et cette position intermédiaire détermine nécessairement le caractère spécifique de la petite bourgeoisie, sa dualité, sa duplicité, sa sympathie pour la minorité qui sort victorieuse de la lutte, son hostilité à l'égard des « malchanceux », c'est-à-dire la majorité.

Plus l'économie marchande se développe, plus ils devient clair que l'idéalisation de la petite production ne traduit qu'un point de vue réactionnaire, petit-bourgeois. » (Pour caractériser le romantisme économique).

Telle est la nature du romantisme : le dandy se veut "créateur"... et méprise les producteurs.

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