12 mai 2013

Le romantisme en France (7ème partie) : "en opposition avec les principes des Français"

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1.Voltaire est donc l'ennemi. On lui reproche son manque de sens pour ce que nous pouvons (et devons) appeler la dignité du réel.

Herder se moque des œuvres de Voltaire, « Siècle de Louis XIV » et « Essai sur les moeurs » : « Qu'y a-t-il pour lui dans l'histoire qu'une occasion de se moquer et de badine ? » (Journal de mon voyage en 1769).

Voici ce que dit Baudelaire à ce sujet, de manière très intéressante, dans ses journaux intimes :

« Je m'ennuie en France, surtout parce que le monde y ressemble à Voltaire.

Emerson a oublié Voltaire dans ses Représentants de l'humanité. Il aurait pu faire un joli chapitre intitulé : Voltaire, ou l'anti-poète, le roi des badauds, le prince des superficiels ; l'anti-artiste, le prédicateur des concierges, le père-Gigogne des rédacteurs du Siècle. »

Baudelaire a-t-il raison de se moquer de Voltaire, pseudo philosophe qui a écrit des tragédies toute sa vie, et quelques textes caustiques sans intérêt philosophique ?

Si, bien entendu, Baudelaire rejette ici la superficialité bourgeoise, malheureusement, il assimile la république à la « populace », n'en voit pas la dimension bourgeoise, et regarde donc vers le passé.

Il y a là une erreur d'économie politique que, par exemple, William Morris en Angleterre ne fera pas, se tournant vers le socialisme.

Pourtant, William Morris valorisait le Moyen-Âge. Mais en Angleterre et en Allemagne, le Moyen-Âge était un symbole national, contre l'abstraction cosmopolite de « l'antiquité gréco-romaine » idéaliste.

Voici comment Hegel présente la chose, dans son cours sur l'esthétique :

« L'architecture gothique du Moyen Age, qui constitue le centre caractéristique du romantisme proprement dit, a été considérée pendant longtemps, surtout depuis la diffusion de la domination du goût artistique français, comme une chose grossière et barbare.

De nos jours, ce fut surtout Goethe qui, dans la fraîcheur juvénile de sa conception de la nature et du monde, en opposition avec les principes des Français, la remit en honneur, et depuis lors on a appris de plus en plus à apprécier dans ces œuvres grandioses leur adaptation au culte chrétien, ainsi que l'accord qu'elles réalisent entre la formation architectonique et l'esprit intime du christianisme. »

En opposition avec les principes des Français : voilà le sens du vrai romantisme, rébellion de l'esprit bourgeois contre le formalisme aristocratique français.

2.Quelles sont les caractéristiques centrales du formalisme français ? Voici comment ce qu'en dit notamment le philosophe allemand Frédéric Schlegel, figure du premier romantisme allemand.

Selon lui, les artistes français ne font que des manières, ne recherchent que « le piquant et le frappant. »

A cela s'ajoute le fait que « La personne française éduquée se borne le plus souvent à son domaine, elle n'éprouve d'intérêt que pour celui-ci. »

De là, l'absence d'esprit de synthèse, de recherche de la totalité – qui ici est exprimée de manière religieuse : « le caractère des Français consiste en de pures négations : pas de fantaisie, pas d'art, pas d'amour, pas de religion, aucune religion – cela signifie donc zéro de tous les côtés. »

Le romantisme allemand n'est en effet pas une économie politique prolétarienne, mais une mise en avant poétique de la nature, de la réalité des sens.

C'est pour cela que le romantisme anglais ne sera pas un mouvement, mais seulement une sensibilité : Shakespeare et Bacon ayant déjà triomphé, il n'est pas besoin du romantisme.

En Allemagne (ou plus exactement les États allemands) par contre, la lutte contre le formalisme aristocratique devait bien avoir lieu, le formalisme luthérien étant un obstacle également.

Le poète devient une sorte de prince des scientifiques, qui seul permet d'entrevoir la totalité :

« Poète et prêtre, à l'origine, ne faisaient qu'un, seules des époques tardives les ont séparés, mais le vrai poète est toujours resté prêtre, comme le vrai prêtre est toujours resté poète. L'avenir ne devrait-il pas ramener cet ancien ordre des choses ? » (Novalis, Grains de pollen)

3.Le romantisme français ne retiendra du romantisme que cet irrationalisme, et nullement la dignité du réel.

Lamartine, dans « Destinées de la poésie », donne cette définition mystique de la poésie, propre à Novalis, définition qui sera totalement assumée par la suite par le symbolisme, et qui aboutira à l'improductivité de Rimbaud :

 « La poésie sera de la raison chantée, voilà sa destinée pour longtemps; elle sera philosophique, religieuse, politique, sociale comme les époques que le genre humain va traverser; elle sera intime surtout, personnelle, méditative et grave; non plus un jeu de l'esprit, un caprice mélodieux de la pensée légère et superficielle, mais l'écho profond, réel, sincère des plus hautes conceptions de l'intelligence, des plus mystérieuses impressions de l'ame.

Ce sera l'homme lui-même et non plus son image, l'homme sincère et tout entier. Les signes avant-coureurs de cette transformation de la poésie sont visibles depuis plus d'un siècle; - ils se multiplient de nos jours.

La poésie s'est dépouillée de plus en plus de sa forme artificielle, elle n'a presque plus de forme qu'elle-même. - A mesure que tout s'est spiritualisé dans le monde, elle aussi se spiritualise; elle ne veut plus de mannequin, elle n'invente plus de machine, car la première chose que fait maintenant l'esprit du lecteur, c'est de dépouiller le mannequin, c'est de démonter la machine et de chercher la poésie seule dans l'oeuvre poétique, et de chercher aussi l'ame du poète sous sa poésie. »

Le romantisme comme pur spiritualisme, telle n'est pas la définition du romantisme allemand, mais c'est bien l'orientation française. Une orientation totalement idéaliste, qui ne pourra trouver de compensations que dans les drogues finalement, dans le dandysme, puis dans le fascisme.

C'est précisément le cul-de-sac qui a amené à l'improductivité de Rimbaud, dont la capacité productive s'est affrontée à peine passé vingt ans, et qui a fait s'exploser en vol un talent littéraire comme Drieu La Rochelle.

 

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