2 juin 2013

La social-démocratie (1883-1917) - 3ème partie : Karl Kautsky et Lénine sur le rôle central de la théorie

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Quel est le point principal de la social-démocratie, ce qui fait sa valeur historique? Ce ne sont pas seulement les syndicats, la lutte sociale, l'affirmation du marxisme. C'est précisément l'idée que l'idéologie doit être synthétisée par des individus.

Ce que nous avons ici est la base permettant la notion de « Pensée » qui sera affirmée par Mao Zedong et Gonzalo dans la seconde partie du 20e siècle.

Pour comprendre cela, nous devons porter un regard à Que faire ?, publié en 1902. Dans cet ouvrage classique du marxisme, Lénine parle de la conception de Kautsky, en expliquant qu'elle est correct:

« Pour compléter ce que nous avons dit plus haut, rapportons encore les paroles profondément justes et significatives de Kautsky à propos du projet du nouveau programme du parti social-démocrate autrichien :

"Beaucoup de nos critiques révisionnistes imputent à Marx cette affirmation que le développement économique et la lutte de classe, non seulement créent les conditions de la production socialiste, mais engendrent directement la conscience (soulignée par Karl Kautksy) de sa nécessité.

Et voilà que ces critiques objectent que l'Angleterre, pays au développement capitaliste le plus avancé, est la plus étrangère à cette science. Le projet de programme donne à croire que la commission qui a élaboré le programme autrichien partage aussi ce point de vue soi-disant marxiste orthodoxe, que réfute l'exemple de l'Angleterre. Le projet porte: "Plus le prolétariat augmente en conséquence du développement capitaliste, plus il est contraint et a la possibilité de lutter contre le capitalisme.

Le prolétariat vient à la conscience de la possibilité et de la nécessité du socialisme". Par suite, la conscience socialiste serait le résultat nécessaire, direct, de la lutte de classe prolétarienne.

Et cela est entièrement faux. Comme doctrine, le socialisme a évidemment ses racines dans les rapports économiques actuels au même degré que la lutte de classe du prolétariat; autant que cette dernière, il procède de la lutte contre la pauvreté et la misère masses, engendrées par le capitalisme.

Mais le socialisme et la lutte de classe surgissent parallèlement et ne s'engendrent pas l'un l'autre; ils surgissent de prémisses différentes. La conscience socialiste d'aujourd'hui ne peut surgir que sur la base d'une profonde connaissance scientifique.

En effet, la science économique contemporaine est autant une condition de la production socialiste que, par exemple, la technique moderne, et malgré tout son désir, le prolétariat ne peut créer ni l'une ni l'autre; toutes deux surgissent du processus social contemporain.

Or, le porteur de la science n'est pas le prolétariat, mais les intellectuels bourgeois (souligné par Karl Kautsky) : c'est en effet dans le cerveau de certains individus de cette catégorie qu'est né le socialisme contemporain, et c'est par eux qu'il a été communiqué aux prolétaires intellectuellement les plus développés, qui l'introduisent ensuite dans la lutte de classe du prolétariat là où les conditions le permettent.

Ainsi donc, la conscience socialiste est un élément importé du dehors (Von Aussen Hineingetragenes) dans la lutte de classe du prolétariat, et non quelque chose qui en surgit spontanément (urwüchsig).

Aussi le vieux programme de Hainfeld disait-il très justement que la tâche de la social-démocratie est d'introduire dans le prolétariat (littéralement: de remplir le prolétariat) la conscience de sa situation et la conscience de sa mission.

Point ne serait besoin de le faire si cette conscience émanait naturellement de la lutte de classe. Or le nouveau projet a emprunté cette thèse à l'ancien programme et l'a accolée à la thèse citée plus haut. Ce qui a complètement interrompu le cours de la pensée..."

Du moment qu'il ne saurait être question d'une idéologie indépendante, élaborée par les masses ouvrières elles-mêmes au cours de leur mouvement, le problème se pose uniquement ainsi : idéologie bourgeoise ou idéologie socialiste.

Il n'y a pas de milieu (car l'humanité n a pas élaboré une "troisième" idéologie; et puis d'ailleurs, dans une société déchirée par les antagonismes de classes, il ne saurait jamais exister d'idéologie en dehors ou au dessus des classes).

C'est pourquoi tout rapetissement de l'idéologie socialiste, tout éloignement vis-à-vis de cette dernière implique un renforcement de l'idéologie bourgeoise.

On parle de spontanéité. Mais le développement spontané du mouvement ouvrier aboutit justement à le subordonner à l'idéologie bourgeoise, il s'effectue justement selon le programme du Credo, car le mouvement ouvrier spontané, c'est le trade-unionisme, la Nur-Gewerkschaftlerei ; or le trade-unionisme, c'est justement l'asservissement idéologique des ouvriers par la bourgeoisie.

C'est pourquoi notre tâche, celle de la social-démocratie est de combattre la spontanéité, de détourner le mouvement ouvrier de cette tendance spontanée qu'a le trade-unionisme à se réfugier sous l'aile de la bourgeoisie, et de l'attirer sous l'aile de la social-démocratie révolutionnaire. »

Il s'agit de la leçon totalement fondamentale de la social-démocratie, que Lénine défendra et développera.