28 mai 2015

Jean Calvin et l'avènement de l'individu - 12e partie : l'interprétation grotesque de Max Weber

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On comprend tout à fait pourquoi Jean Calvin a souligné l'importance de ce qui est pour les chrétiens l'Ancien Testament. En effet, s'il entendait mettre en avant une morale économique, il avait besoin d'un modèle de société, et inversement.

On ne trouve pas cela dans le Nouveau Testament, mais l'Ancien est parfaitement utile puisqu'on y trouve de représenté une communauté organisée sur de nouvelles règles. Il suffisait seulement de les interpréter de manière conforme aux exigences de sa propre époque.

Jean Calvin est ici quelqu'un qui produit une vision du monde, maniant de manière dialectique la forme idéologique et les exigences matérielles propres à la petite production s'élançant dans le capitalisme génétalisé.

Il faut ici par conséquent raisonner en mode de production. Ce n'est pas ce que fait Max Weber, dans son œuvre très connue L'Éthique protestante et l'esprit du capitalisme. Elle est aujourd'hui très décriée, et pour cause : Max Weber raisonne uniquement sur le plan individuel, conformément à la sociologie bourgeoise, ce qui aboutit à des contradictions complètes pour quiconque connaît réellement le calvinisme. 

Son raisonnement est simple : le protestantisme promeut l'ascétisme, et cela a permis l'accumulation de capital, donc de lancer le capitalisme, chaque capitaliste s'imaginant élu de Dieu s'il parvient à triompher économiquement.

Voici ce que dit Max Weber, de manière correcte en apparence et grotesque dans ses conclusions : 

« Le calvinisme est la foi au nom de laquelle aux XVIe et XVIIe siècles ont été menées de grandes luttes politiques et culturelles dans les pays Capitalistes les plus développes : Pays-Bas, Angleterre, France. C'est pourquoi nous commence­rons par lui. A cette époque - voire de nos jours encore - le dogme calviniste considéré comme le plus caractéristique est la doctrine de la prédestination (…).

Dieu n'existe pas pour l'homme, c'est l'homme qui existe pour Dieu; et toute la création - même si pour Jean Calvin il est hors de doute que seule une petite fraction de l'humanité est appelée au salut éternel - ne prend son sens qu'en tant que moyen de cette fin qu'est la glorification de la majesté de Dieu.

Appliquer les normes de la « justice » terrestre à ses décrets souverains est dépourvu de sens et insulte à sa majesté, car lui, et lui seul, est libre, c'est-à-dire n'est subordonné à aucune loi. Nous ne pouvons comprendre ses décrets, ou même en prendre simplement connaissance, que dans la mesure où il lui plaît de nous les communiquer.

Force nous est de nous en tenir à ces seuls fragments de la vérité éternelle; tout le reste - le sens de notre destin individuel - est entouré de mystères qu'il est impossible de percer et présomptueux de vouloir approfondir.

Si, d'aventure, les réprouvés s'avisaient de se plaindre d'un sort immérité, ils se comporteraient comme des animaux qui déploreraient de ne pas être nés hommes. Car toute créature est séparée de Dieu par un abîme infranchissable et ne mérite que la mort éternelle, dans la mesure où Dieu, pour la glorification de sa majesté, n'en a pas décidé autrement.

Nous savons seulement qu'une partie de l'humanité sera sauvée, l'autre damnée. Admettre que le mérite ou la culpabilité des humains ait une part quelconque dans la détermination de leur destin reviendrait à considérer que les décrets absolument libres de Dieu, et pris de toute éternité, puissent être modifiés sous l'influence humaine - pensée qu'il n'est pas possible de concevoir.

Le « Père qui est aux cieux », le Père du Nouveau Testament, le Père humain et compréhensif qui se réjouit du retour du pécheur, comme le ferait une femme de la pièce d'argent retrouvée, se transforme ici en un être transcendant, par-delà tout entendement humain, qui, de toute éternité, a attribué à chacun son destin et a pourvu aux moindres détails de l'univers. Il en est ainsi en vertu d'arrêts insondables, irrévocables, au point que la grâce de Dieu est aussi impossible à perdre pour ceux à qui elle a été accordée, qu'impossible à gagner pour ceux à qui elle a été refusée (…).

Le monde existe pour servir la gloire de Dieu, et cela seulement. L'élu chrétien est ici-bas pour augmenter, dans la mesure de ses moyens, la gloire de Dieu dans le monde en accomplissant les commandements divins, et pour cela seul.

Mais Dieu veut l'efficacité sociale du chrétien, car il entend que la vie sociale soit conforme à ses commandements et qu'elle soit organisée à cette fin. L'activité sociale du calviniste se déroule purement in majorem Dei gloriam. D'où il suit que l'activité professionnelle, laquelle est au service de la vie terrestre de la communauté, participe aussi de ce caractère (…).

Que l'activité temporelle soit capable de donner cette certitude, qu'elle puisse être, pour ainsi dire, considérée comme le moyen approprié pour réagir contre les sentiments d'angoisse religieuse, on en trouve la raison dans les particularités profondes des sentiments religieux professés dans l'Église réformée (…).

Si nous en venons à poser la question : quels sont les fruits auxquels le réformé peut reconnaître indubitablement la vraie foi? une réponse s'imposera : la vraie foi se reconnaît à un type de conduite qui permet au chrétien d'augmenter la gloire de Dieu.

Quant à l'utilité de cette conduite, elle se déduit de la volonté divine révélée directement par la Bible ou indirectement par l'ordre prémédité du monde qu'elle a créé (lex naturae). On était à même de contrôler son propre état de grâce, spécialement en comparant l'état de son âme avec celui des élus de la Bible, par exemple celui des patriarches.

Seul un élu possède réellement la fides efficax, seul il est capable - en vertu de sa nouvelle naissance (regeneratio) et de la sanctification (sanctificatio) de sa vie tout entière qui en découle - d'augmenter la gloire de Dieu par des œuvres réellement, et non pas seulement apparemment. bonnes.

Conscient que sa conduite - du moins en son caractère fondamental et son idéal constant (propositum oboedientiae) - repose sur une force qui œuvre en lui à l'augmentation de la gloire de Dieu, donc qu'une telle conduite est non seulement voulue, mais surtout agie par Dieu, il atteint au bien suprême auquel aspirait cette religion: la certitude de la grâce (…).

Autant les bonnes œuvres sont absolument impropres comme moyen pour obtenir le salut - l'élu lui-même restant une créature, tout ce qu'il fait est infiniment éloigné de ce que Dieu exige -, autant elles demeurent indispensables comme signes d'élection. Moyen technique, non pas sans doute d'acheter le salut, mais de se délivrer de l'angoisse du salut. »

Selon Max Weber, le protestant disciple de Jean Calvin chercherait une satisfaction à son angoisse : comment combler le doute quant à son élection divine ? Sera-t-il sauvé ? Il mettrait alors tout de côté, vivant une vie ascétique, pour se sacrifier dans une seule cause : la réussite matérielle.

Cette dernière serait le témoignage qu'il sera sauvé. De cette attitude découlerait une bataille incessante pour l'accumulation de capital, permettant des investissements plus grands, donc un capitalisme plus grand, plus fort, etc.

C'est là bien sûr ne rien comprendre à la question de l'accumulation primitive. Les attitudes dont parle Max Weber découlent du capitalisme, elles ne peuvent pas en être l'origine. En effet, Max Weber pense expliquer comment sont les protestants calvinistes… Mais il n'explique pas, et pour cause, pourquoi des gens ont choisi d'être protestants calvinistes.

Pourquoi des gens iraient-ils abandonner le catholicisme pour un protestantisme marqué par la prédestination ? Pourquoi n'auraient-ils pas, s'il le fallait, privilégié le protestantisme de Martin Luther ?

C'est qu'en réalité la prédestination ne concerne pas l'accumulation du capital ou le capitaliste individuel en particulier, mais les conditions propres au mode de production capitaliste en général.

Jean Calvin a été le théoricien de toute une vision du monde, conforme dialectiquement au capitaliste individuel et au travailleur libre, dans le rapport dialectique entre la base économique et la superstructure idéologique.

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