14 sep 2015

Émigration et immigration - 11e partie : la position historique du mouvement ouvrier

Submitted by Anonyme (non vérifié)

Les migrations en tant que phénomène propre au capitalisme au stade impérialiste ont bien sûr été remarquées, comprises et analysées par la social-démocratie, puis le mouvement communiste international.

Les migrants étaient considérés, à juste titre alors, comme des éléments nouveaux s'ajoutant à la classe ouvrière d'un pays, s'assimilant nécessairement. Staline, dans Le marxisme et la question nationale, constate ainsi en 1913 :

« Il n’est pas douteux qu’aux premiers stades du capitalisme, les nations tendent à se grouper.

Mais il n’est pas douteux non plus qu’aux stades supérieurs du capitalisme commence le processus de dispersion des nations. le processus de séparation d’avec les nations, de toute une série de groupes qui s’en vont à la recherche d’un gagne-pain et qui, ensuite, émigrent définitivement vers d’autres régions de l'Etat ; ce faisant, les émigrants perdant leurs anciennes relations, en acquièrent de nouvelles dans les lieux nouveaux, s’assimilent, de génération en génération, des mœurs et goûts nouveaux, et peut-être aussi une langue nouvelle. »

L’assimilation était ainsi considérée comme allant de soi ; toutefois, la question se posait de savoir comment évaluer le rythme de celle-ci. Ce débat eut lieu dans le mouvement ouvrier, dans le cadre d'une analyse effectuée par la social-démocratie, et exposée lors du congrès socialiste de Stuttgart, en Allemagne, qui s'est déroulé du 17 au 26 août 1907.

Y participèrent 884 délégués de 25 pays ; parmi eux, on trouva Lénine, Jean Jaurès, Edouard Vaillant, Emile Vandervelde, Victor Adler, August Bebel, Eduard Bernstein, Rosa Luxembourg, Karl Kautsky, Karl Liebknecht, Rosa Luxemburg, Franz Mehring, Clara Zetkine...

60 000 personnes participèrent à l'initiative ; les thèmes du congrès furent le militarisme et les conflits internationaux, les rapports entre les partis et les syndicats, la question coloniale, le droit de vote des femmes, et donc également l'émigration et l'immigration.

Les débats, de fait, furent âpres. L'utilisation de l'immigration comme arme contre les organisations ouvrières était notamment considérée par certains comme une terrible menace. Le délégué allemand, en particulier, exposa qu'il était impossible d'accepter qu'un haut degré d'organisation ouvrière et une tradition de lutte de plusieurs décennies soient rendues « illusoires d'un seul coup par une immigration de masse de travailleurs aux besoins réduits à pratiquement rien ».

Si l'organisation ouvrière allemande, extrêmement puissante, tentait de défendre ses acquis en termes de structure de grande ampleur, la même ligne fut défendue par des organisations ouvrières plus réduites, plus embryonnaires, à ce titre très inquiètes.

Le délégué argentin souligna ainsi qu'il fallait à la fois éviter le racisme, empêcher les capitalistes d'importer des travailleurs selon leurs exigences, tout en accordant les mêmes droits à tous dans le pays, pays devant rester ouvert aux travailleurs des autres pays.

Une telle problématique fut exposée de la même manière par le délégué australien, ou encore le délégué sud-africain, qui exposaient de plus un problème bien précis et très polémique : à l'opposé de l'immigration italienne par exemple en France, l'immigration asiatique dans leur pays était inorganisée et idéologiquement arriérée, servant directement les plans capitalistes pour abaisser les salaires et briser les grèves. Le délégué américain se prononça en pratique suivant la même perspective.

Les délégués hongrois et français considéraient que cette position était pessimiste, voire franchement compromise avec la bourgeoisie et sa volonté de diviser, et qu'une immigration inorganisée aujourd'hui serait organisée à moyen terme, et qu'il fallait donc refuser une ligne anti-immigration, tout en refusant les initiatives des capitalistes.

Le délégué français, rejoint par le délégué polonais, affirma même qu'il fallait une libéralisation totale de l'immigration et de l'émigration. On a ici une perspective libérale française absolument typique.

Le délégué anglais, de son côté, dans la tradition économiste du mouvement ouvrier de son pays, se prononça contre les débats idéologiques et demanda des positions concrètes.

Le délégué japonais attaqua de son côté de manière véhémente la position américaine qui n'aboutit qu'à sélectionner les immigrés, comme lorsque les travailleurs japonais et seulement eux furent chassés de Californie, renforçant l'idéologie bourgeoise, divisant les ouvriers, promouvant le thème raciste du « péril jaune ».

Comme on le voit, la question de l'émigration et de l'immigration était très complexe. Deux interventions permirent de sortir de l'impasse.

Le délégué autrichien Wilhelm Ellenbogen affirma qu'il fallait que la résolution combine les deux aspects, la défense de l'organisation ouvrière d'un pays, celle des droits des émigrants. La solution proposée était le renforcement syndical et l'unité syndicale internationale.

Le délégué russe se prononça également dans cette direction, mais expliqua qu'on ne pourrait de toutes façons jamais avoir un réel impact sur l'émigration et l'immigration dans la mesure où le capitalisme contournerait les réglements et les lois. Il était par contre possible d'agir contre les entreprises de transport et les conditions de vie à bord des bateaux, et de réclamer dans tous les cas des hausses de salaire.

La résolution sur l'émigration et l'immigration qui en découla fut saluée par Lénine dans son compte-rendu en octobre 1920 dans le « Prolétaire » ; il y dit brièvement que les exigences de la social-démocratie révolutionnaires étaient satisfaites.

La raison en est que l'esprit « aristocratique » propre à ce qu'on a justement appelé « l'aristocratie ouvrière », visant à sélectionner les migrants suivant leur origine ou leur appartenance ethnique, a été rejeté. La logique impérialiste de diviser les travailleurs au moyen du racisme face au phénomène de l'immigration était réfutée.

L'esprit de l'internationalisme prolétarien a été maintenu, avec la solidarité ouvrière, sans nullement pour autant nier les problèmes, à savoir le fait que des gens doivent abandonner leur pays, tout comme que l'immigration soit utilisée par les capitalistes pour réduire les salaires, abaisser les conditions de vie, casser les traditions de lutte de la classe ouvrière.