16 déc 2013

Kautilya, Machiavel, Richelieu et Mazarin - 6e partie : la manutention des esprits

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Tant les fortifications de Vauban que la ville créée par Richelieu, et bien sûr Versailles, témoignent de la façon dont les comportements sont façonnés par des exigences culturelles.

On est ici dans la « manutention des esprits », dans le développement d'une opinion publique civilisée, mais encadrée. Le philosophe post-moderne Michel Foucault a développé ici toute une argumentation idéaliste comme quoi la société aurait réprimé les individus et leurs libertés.

En réalité, il s'agit ici d'une affirmation de civilisation, ce qui ne va pas sans contrôle afin de rationaliser les faits et les actes, pour dépasser les arriérations. C'est en ce sens que sont organisés à Lyon un Hôpital de la Charité et à Paris un Hôpital général, sorte de pénitenciers pour personnes mendiantes, visant à les réintégrer socialement.

Selon la même stratégie de socialisation, et toujours à Lyon et à Paris, à la fin du 16e siècle, l’État généralisa les aumônes générales qui dépendaient des autorités municipales, concurrençant par conséquent l’Église dont l'impact auprès des masses passait notamment par la « charité ».

Et dès 1607, Henri IV ouvrit un Hôpital dénommé Saint-Louis, face à l'épidémie de peste, qui servira par la suite pour les victimes de maladies contagieuses.

Cependant, rien ne serait plus faux que d'y voir une politique de restriction et de répression : ce serait un contre-sens formidable. En réalité, il s'agit d'un développement général de la société.

Au 17e siècle, il y avait ainsi un lieu très important à Paris, un véritable centre névralgique pour la monarchie absolue : l'île de la Cité. Cette petite île sur la Seine avait été le lieu de résidence des rois de France du 10e au 14e siècle, par la suite c'est le Palais de justice qui s'y installa.

Or, ce Palais de Justice abritait une galerie marchande. Les membres les plus éminents du régime, nobles comme fonctionnaires de l'appareil d’État, pouvaient se procurer des biens auprès de gantiers, de merciers, de libraires, de chapeliers, d'orfèvres, etc.

Corneille, dans sa pièce La Galerie du palais, place quelques scènes justement dans le cadre de cette galerie, incontournable pour l'époque. Il va de soi que cela joue nécessairement positivement sur l'accumulation du capital afin de généraliser le capitalisme.

Cependant, on y trouve une dimension directement politique, relevant parfaitement de l'averroïsme politique, puisque la religion n'était pas présente. La galerie marchande hébergeait, en effet, également des libraires.

Cela signifie qu'il existait un lieu où l'appareil d'Etat trouvait à sa disposition Cicéron, Plutarque, Sénèque, Boccace, Vésale, Rabelais ou bien sûr Machiavel. C'est un élément clef dans l'affirmation de l'idéologie étatique allant dans un sens non religieux.

Une version « populaire » de cette galerie existait ailleurs au même moment : le Pont-Neuf, non loin, abritait également des marchands, mais dans une dynamique populaire voire plébéienne et, par conséquent, et c'est ce qui compte ici, avec principalement une dimension urbaine.

Il faut cependant relativiser cette dimension urbaine : elle n'avait pas la force idéologique et la vigueur insurrectionnelle de ce qu'on trouvait dans la Prague du début du 15e siècle, elle n'avait pas non plus de prolongement dans les campagnes, et elle faisait face à une administration étatique solide.

C'est-à-dire qu'en France, l'urbanisation a été intégrée dans le projet de la monarchie absolue, d'où justement la reconnaissance du théâtre comique de Molière, aux côtés de la Tragédie comme genre aristocratique et supérieur.

Un élément clef de ce processus historique, que seul met en lumière le matérialisme historique, est la constitution de la Gazette, fondée en 1631 par le protestant Théophraste Renaudot (1586-1653), qui intégra par la suite les Nouvelles ordinaires de divers endroits, fondées par le calviniste Jean Epstein.

Cet organe de presse fut, ni plus ni moins, la voix du régime, la voix de Richelieu, puis de Mazarin.

Toutes les personnes liées à l’État trouvaient à leur disposition les informations sur le régime ; la Gazette tirait à 8000 exemplaires et disposait de 35 éditions, plus ou moins pirates, en province.

C'est avec cela en arrière-plan que l'on peut comprendre la fondation par Richelieu de « l'Académie française », en 1635, qui a comme tâche de normaliser la langue française. L’État a besoin d'une solide administration, s'appuyant sur un langage précis, avec des termes techniques à maîtriser.

De la même manière fut fondée par Louis XIV, en 1667, l'Académie royale des sciences qui siégeait au Louvre.

Un tableau connu représente Colbert qui présente à Louis XIV les membres de l'Académie Royale des Sciences. Ce tableau est de Henri Testelin (1616-1695), lui-même un des fondateurs de l’Académie royale de peinture et de sculpture en 1648.

Il faut également mentionner Allégorie à Louis XIV, protecteur des Arts et des Sciences, de  Jean Garnier (1632-1705).

La société est portée en avant par la superstructure organisée en monarchie absolue, dépassant le féodalisme, au grand dam de la noblesse.