Kautilya, Machiavel, Richelieu et Mazarin - 8e partie : une vision pragmatique-machiavélique
Submitted by Anonyme (non vérifié)Le régime de la monarchie absolue était donc autoritaire, en rupture avec la noblesse et la féodalité, et cela non pas dans le sens d'aller en direction d'une sorte de « dictature individuelle » historiquement impossible, mais bien en direction de l'intérêt général.
Un épisode connu est ici l'arrestation, réalisée par d'Artagnan, de Nicolas Fouquet, marquis de Belle-Île, vicomte de Melun et Vaux (1615-1680), à la suite d'une grande fête donnée au château de Vaux-le-Vicomte.
Nicolas Fouquet était le surintendant des finances, et la magnificence de sa fête et de son château témoignait de sa fonction de parasite de l’État ; Nicolas Fouquet se servait de manière disproportionnée par rapport à sa fonction. Sa mise à l'écart, violente, était inévitable.
Le cardinal de Richelieu était bien entendu tout à fait conscient des apparences, mais il justifie précisément la répression au nom de l'histoire. Dans ses Maximes, on lit ainsi :
« Le succès qui a suivi les bonnes intentions qu'il a plu à Dieu me donner, pour le règlement de l’État, justifiera aux siècles à venir la fermeté avec la quelle j'ai constamment poursuivi mon dessein. »
Comme on le voit, sa position est matérialiste ; elle ne repose ni sur la morale ni sur la religion. Il s'agit de renforcer l’État et si cela a fonctionné, alors c'était juste. L’État est le critère de vérité, et cela à travers le processus historique.
On a ainsi, pour la première fois, une tentative d'élaborer une vision à long terme de l'histoire. L'origine de cette réflexion est justement l'efficacité. Dans les Maximes, on peut ainsi lire :
« En toute affaire, avant d'y entrer, il faut considérer comment on en pourra sortir.
Aux choses de gouvernement, la difficulté ne gît pas à connaître le mal, mais à y trouver un remède moins dangereux que la maladie. »
Comme cependant le sens de l'histoire n'était pas compris, la lutte des classes n'est pas vue, on a une vision pragmatique-machiavélique. Il faut savoir être souple, s'adapter à toutes les situations, ne jamais considérer que l'histoire se répète, etc.
C'est une vision typique de la monarchie absolue, que l'on retrouvera par la suite affirmée par de nombreux théoriciens courants politiques, y compris prétendument marxiste. La vision pragmatique – machiavélique d'un Clausewitz n'est pas éloignée de la conception de guerre populaire par en haut du général vietnamien Giap, ou encore des traditions marxistes-léninistes indienne et philippine.
Voici comment le cardinal de Richelieu formule cette vision pragmatique-machiavélique :
« La capacité des conseillers ne requiert pas une suffisance pédantesque ; il n'y a rien de plus dangereux, pour l’État, que ceux qui veulent gouverner les royaumes par les maximes qu'ils tirent de leurs livres ; ils les ruinent souvent tout à fait par ce moyen, parce que le passé ne se rapporte pas au présent, et que la constitution des temps, des lieux, et des personnes est différente.
Elle requiert seulement bonté et fermeté d'esprit, solidité de jugement, vraie source de la prudence, teinture raisonnable des lettres, connaissance générale de l'histoire et de la constitution présente de tous les États du monde et particulièrement de celui auquel on est. »
La monarchie absolue porte donc la science vers l'avant, en rejetant l'idéalisme de l'ancienne forme de domination et en assumant le critère de l'efficacité, dont la figure du roi dominant « personnellement » n'est qu'un masque.
Ce que représente le roi c'est, et cela pour la première fois historiquement, un intérêt général « lointain », non immédiat, calculé. Gouverner ce n'est pas gérer, mais établir une compréhension s'étalant sur des années, avec une évaluation systématique des phénomènes en cours.
Richelieu explique ainsi :
« Les plus petits manquements produisent de grands inconvénients ; il faut, en matière d’État, exécuter ce qui est commandé avec une exacte diligence, et les maux, pour légers qu'ils soient en leur commencement, ne doivent pas être méprisés. Les plus grands fleuves ne sont pas plus considérables en leur source que les moindres ruisseaux. »
Prévoir et agir conformément à cela est le devoir de « celui qui tient le timon de l’État », et par là il ne faut pas comprendre simplement le roi : il y a aussi le ministre suprême. Richelieu l'exprime de la manière suivante :
« Quand les affaires de l’État se trouvent en une fâcheuse extrémité, il a toujours été jugé absolument nécessaire que le prince, qui n'agit pas immédiatement par lui-même, se remette entièrement de toutes choses à un seul, se confiant en lui totalement. »
L'unité de la direction, voilà ce que présuppose la monarchie absolue, ce qui est un progrès historique par rapport à une société divisée en forces centrifuges, empêchant l'utilisation générale des forces sociales.
Il est facile de voir que dans les années 1930, face à la brillante Union Soviétique de Staline, les régime fascistes ont justement utilisé les apparences de la monarchie absolue pour prétendre « guider » la société, alors que la base du régime étaient les forces monopolistes du capital. Le concept de « führer » et de « duce » était une caricature complète de ce qu'a été le roi dans la monarchie absolue.
Il est de ce fait aberrant que l'interprétation de la monarchie absolue ait basculé, de manière erronée et décadente, dans l'interprétation d'une dictature « personnelle » du roi.