12 mai 2013

La révolution française (1789-1871) - 2ème partie : à l'aube de 1789

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La révolution française commencée en 1789 n'a pas triomphé du féodalisme dans une version médiévale, mais d'une version extrêmement avancée, la monarchie absolue. Sous Louis XIV, la bourgeoisie avait commencé à avoir un droit de cité, et un savant équilibre était organisé par la royauté pour maintenir sa toute-puissance, aux dépens de la noblesse et du clergé et en intégrant relativement la bourgeoisie. 

La révolution française n'aurait, ainsi et paradoxalement, pas pu avoir lieu sans la constitution par la monarchie absolue d'un État centralisé. La monarchie absolue avait triomphé des anciennes forces féodales qui faisaient obstacle au développement social et culturel, à l'apparition d'un État moderne et à la constitution d'un marché le plus large possible et d'une bourgeoisie, ces commerçants des « bourgs » qui deviendront les villes.

La bourgeoisie n'aurait pas pu se développer et s'enrichir si le féodalisme étranglait tout développement social, et c'est une grande différence entre la France et, par exemple, l'Espagne ou l'Autriche-Hongrie, empires qui en restent à un féodalisme puissant empêchant l'émergence de la monarchie absolue comme phase de la construction de l’État national.

Les forces centrifuges de ces empires resteront donc extrêmement puissantes, maintenant la féodalité, bloquant le développement du capitalisme et de la bourgeoisie, provoquant une crise prolongée dans la construction nationale.

La monarchie absolue française a, quant à elle, réussi à unifier administrativement la France. Une conséquence sera sa capacité à contrebalancer le pouvoir de l’Église et des féodaux, faisant que l'idéologie baroque n'a pas pu se diffuser en France alors qu'elle précipitait les sociétés d'Espagne ou d'Autriche-Hongrie dans l'obscurantisme.

Cela a été un apport d'une importance capitale pour l'avancée dans le progrès historique. Alors qu'au niveau local, les seigneurs maintenaient le féodalisme autant qu'il le pouvait, s'appropriant les terres non cultivées pendant dix ans et celles des condamnés à mort, exigeant de nombreuses corvées annuelles, forçant à ce que ses terres soient labourées, qu'il y soit semé, qu'elles soient moissonnées, exigeant de multiples redevances, taxes et droits.

Il y avait, dans ce chaos féodal, de grandes disparités régionales quant au degré d'exploitation des couches paysannes, celles-ci étant taxés grosso modo entre 10 et 57 %, selon les zones, et, par conséquent, démotivées pour développer leurs activités.

Chaos féodal et mode de production dépassé, tel est le panorama alors que les classes dominantes disposent de la majorité des terres, mais aussi de la richesse, puisqu'elles possèdent des nombreuses bâtisses, des palais, des châteaux, des couvents, des cathédrales, du mobilier de grande valeur, des objets d'art...

La bourgeoisie, elle, se montre la classe la plus entreprenante, la plus intelligente, la plus cultivée bientôt aussi. Le XVIIIème siècle devient le siècle des Lumières, le siècle de sa prise de conscience, de son affirmation, parallèlement à son renforcement économique, avec le capitalisme qui se développe, notamment avec les manufactures qui se développent, avec comme horizon triomphant l'industrie et le commerce.

Karl Marx parle de la manière suivante de l'éclosion du capitalisme suite à une période d'accumulation :

« Les différentes méthodes d'accumulation primitive que l'ère capitaliste fait éclore se partagent d'abord, par ordre plus ou moins chronologique, le Portugal, l'Espagne, la Hollande, la France et l'Angleterre, jusqu'à ce que celle-ci les combine toutes, au dernier tiers du XVIIème siècle, dans un ensemble systématique, embrassant à la fois le régime colonial, le crédit public, la finance moderne et le système protectionniste.

Quelques-unes de ces méthodes reposent sur l'emploi de la force brutale, mais toutes sans exeption exploitent le pouvoir de l'Étt, la force concentrée et organisée de la société, afin de précipiter violemment le passage de l'ordre économique féodal à l'ordre économique capitaliste et d'abréger les phases de transition. Et, en affet, la force est l'accoucheuse de toute vieille société en travail. La force est un agent économique. » 
(
Le Capital, I)

A l'aube de 1789, la bourgeoisie française n'a pas réussi à arracher ce que la bourgeoisie anglaise a pu se procurer : un cadre facilité avec une monarchie constitutionnelle née du compromis entre aristocratie et bourgeoisie. Son objectif est donc de réaliser le modèle anglais. C'est ce qu'expriment, par exemple, Montesquieu, Voltaire et nombre de penseurs des Lumières.

Pourtant, en raison de la situation historique différente, la révolution ira jusqu'au bout de la destruction de l'Etat féodal, et la philosophie révolutionnaire passera de Montesquieu à Rousseau, de la monarchie constitutionnelle à la République.

Comme l'a expliqué Karl Marx :

« L'ordre économique capitaliste est sorti des entrailles de l'ordre économique féodal. La dissolution de l'un a dégagé les éléments constitutifs de l'autre. »
(Le Capital, I)

La révolution française naît de la dissolution de l'ordre féodal, dans une dissolution bien plus forte qu'en Angleterre politiquement, mais, pourtant, de moindre degré sur le plan économique, principalement dans les campagnes.

La révolution française a pu être considérée ainsi comme un « modèle » de l'affirmation bourgeoise contre le féodalisme, de la même manière que la révolution américaine qui aboutit à la même période à la formation des États-Unis d'Amérique a pu être considéré comme le modèle de l'affirmation bourgeoise en toute autonomie par rapport au féodalisme, notamment dans les campagnes (puisqu'il s'agissait alors de colonisation, sans féodaux ni bourgeoisie foncière existant au préalable).

De fait, la bourgeoisie n'avait pas d'autres choix que de se confronter complètement à l'aristocratie. A l'aube de 1789, la monarchie absolue était déjà rentrée dans une période de déclin complet. Le statu quo régnait sur le plan institutionnel, tous les efforts visaient à préserver l'ordre établi.

A l'aube de la révolution française, le sol était divisé en cinq parties égales : une appartenait au clergé, une à la noblesse, une à la couronne et aux communes, une au peuple des campagnes, une au tiers état, c'est-à-dire la sphère sociale des « bourgs », des villes, de la bourgeoisie.

La royauté vivotait sur les acquis du passé, ayant basculé dans le camp de la noblesse et de la religion devant la progression de la bourgeoisie et de ses exigences. C'en était fini du savant équilibre organisé par Louis XIV  avec l'idéologie aristocratique de la tragédie avec Racine et Corneille d'un côté et l'idéologie bourgeoise de la comédie avec Molière de l'autre .

Une telle quête d'équilibre n'avait plus lieu d'être historiquement puisque la monarchie absolue disposait de son État, alors que Louis XIV entendait encore l'affirmer, le structurer, le rendre le plus solide possible. Une fois passée l'étape de l'affirmation de la monarchie absolue, plus rien ne devait changer ou progresser.

L'ensemble de la richesse accumulée au fil des siècles était donc dans les mains des classes dominantes, totalement parasitaires et plus du tout dans une démarche d'affirmation de civilisation comme sous François Ier et Louis XIV.

La cour n'était plus un lieu de supervision pour la monarchie absolue conquérante mais une grande célébration réactionnaire qui, lors de ses déplacements, entraînait avec elle des apothicaires, des armuriers, des boulangers, des bouchers, des épiciers-confituriers, des cuisiniers, des cordonniers, des lingers, des marchands de vin, des merciers-joailliers-grossiers, des selliers, des carreleurs de souliers, des ceinturiers, des quincailliers, des verduriers-fruitiers, des proviseurs de foin, des chirurgiens, des bonnetiers-vendeurs de bas de soie et de laine, des horlogers, etc. etc.

L'organisation de la cour supposait elle-même des centaines de postes plus ou moins inutiles, allant des chambellans aux dames d'a tour, des chapelains aux dames d'honneur, des pages aux dames pour accompagner, etc.

L'identité même de la monarchie absolue était le parasitisme. Le clergé était également à l'image de cela : autoritaire et encadrant toute la société qui subissait le pillage. A la veille de la révolution, il y avait 23 000 moines, 37 000 nonnes, 60 000 curés de campagne, 135 évêques. 6 % du territoire et des établissements dans les villes appartenait au clergé, sans compter les revenus des biens ecclésiastiques et la dîme. De plus, le clergé était exempt d'impôts.

La direction du clergé, dans le prolongement de la situation à l'âge roman, provenait de l'aristocratie qui vivait richement, s'appropriant la plupart des biens et ne laissant aux curés de campagne que des miettes de leur parasitage.

 

Et ces curés de campagne étaient directement soumis aux seigneurs locaux qui avaient leur banc et leur droit de sépulture dans le chœur, les tentures portant leurs armoiries et le curé étant lui-même directement choisi par eux.

En portant un contenu démocratique, la bourgeoisie allait faire exploser ce cadre réactionnaire.

Engels, dans Socialisme utopique et socialisme scientifique, souligne l'importance de la révolution bourgeoise commencée en 1789 :

« La Révolution française fut le troisième soulèvement de la bourgeoisie ; mais elle fut le premier qui rejeta totalement l'accoutrement religieux et livra toutes ses batailles sur le terrain ouvertemet politique ; elle fut aussi le premier qui poussa la lutte jusqu'à l'anéantissement de l'un des combattants, l'aristocratie, et jusqu'au complet triomphe de l'autre, de la bourgeoisie.

En Angleterre, la continuité des institutions pré-révolutionnaires et post-révolutionnaires et le compromis entre les grands propriétaires fonciers et les capitalistes trouvèrent leur expression dans la continuité des précédents juridiques et dans le maintien religieux des formes féodales de la loi.

La Révolution française opéra une rupture complète avec les traditions du passé, elle balaya les derniers vestiges du féodalisme et créa, avec le Code civil, une magistrale adaptation de l'ancien droit romain aux conditions du capitalisme moderne ; il est l'expression presque parfaite des relations juridiques correspondant au stade de développement économique que Marx appelle la production marchande ; si magistrale, que ce code de la France révolutionnaire sert aujourd'hui encore de modèle pour la réforme du droit de propriété dans tous les pays, sans en excepter l'Angleterre. »