La révolution française (1789-1871) - 3ème partie : la prise de la Bastille et la Constitution
Submitted by Anonyme (non vérifié)A la veille de la révolution française, il y a deux forces principales en présence : la noblesse, qui tente de revenir sur le devant de la scène aux dépens de la monarchie absolue, et la bourgeoisie qui, quant à elle, tente de voir son existence reconnue afin de se développer socialement.
Le problème est que dans les États Généraux, institution royale, si ces deux « états » ont le même nombre de représentants, il y a un troisième « état », le clergé, qui soutenait toujours la noblesse.
La bourgeoisie s'était cependant largement développée tout au long du XVIIème siècle, avec toute une armada d'intellectuels façonnant ce qu'on appellera le « siècle des Lumières ». La bourgeoisie est une classe consciente d'elle-même et de sa force – il ne manquait plus que son rôle historique.
Lénine exprimera ainsi ce rôle historique, de portée d'ailleurs internationale, que joue la révolution française en tant que contenu bourgeois :
« Prenez la grande Révolution française. Ce n'est pas sans raison qu'on la qualifie de « grande ».
Pour la classe qu'elle a servi, la bourgeoisie, elle a fait tant que tout le XIXème, ce siècle qui a donné la civilisation et la culture à toute l'humanité, s'est écoulé sous le signe de la Révolution française.
Dans tous les coins du monde, ce siècle n'a fait que mettre son œuvre, réaliser par parties, parachever ce qu'avaient créé les grands révolutionnaires de la bourgeoisie française dont ils servaient les intérêts sans avoir conscience, sous le couvert, de phrases sur la liberté, l'égalité et la fraternité. »
(Lénine, Deux discours au 1er Congrès de l'enseignement extrascolaire de Russie)
La bataille pour la liberté, l'égalité et la fraternité est celle de la bourgeoisie française en tant que classe, qui a besoin de la liberté d'entreprendre, de conquérir le droit à la propriété privée, d'un marché de producteurs capitalistes égaux.
S'affirmant en tant que classe, elle ne peut plus cautionner la division en « états » qui lui est défavorable. C'est la raison de la bataille qui a lieu suite aux États généraux ouverts le 5 mai 1789 : les représentants du « tiers-état », le troisième état après la noblesse et le clergé, refusent de quitter la salle de réunion alors que le roi, Louis XVI, a demandé aux trois sortes de représentants qu'ils se réunissent de manière séparée.
Mirabeau lança alors sa fameuse phrase face au rappel de la dispersion exigée par le roi :
« Allez dire à votre maître que nous sommes là par la volonté du peuple, et que nous n'en sortirons que par la force des baïonnettes ! »
Cette rébellion, qui a lieu le 23 mai, était dans le droit prolongement du « serment du Jeu de Paume », fait le 20 juin par les représentants jurant fidélité dans la bataille pour l'établissement d'une constitution en France.
Les représentants du tiers-état avaient dû trouver une salle, celle du Jeu de Paume donc, afin de pouvoir se réunir, le roi ayant fait fermer militairement leur salle en raison de la prise de l'expression « assemblée nationale » pour se désigner.
On a là un processus idéologique issu de la fermentation des idées des Lumières, avec l'exigence démocratique de la représentation nationale – la nation étant le cadre du marché où la bourgeoisie est active.
Staline avait ainsi enseigné, dans Le marxisme et la question nationale, que :
« La nation est une communauté humaine stable, historiquement constituée, née sur la base d'une communauté de langue, de territoire, de vie économique et de formation psychique, qui se traduit en une communauté de culture. »
Lorsque le roi avait ouvert les États-Généraux le 5 mai 1789, il n'avait rien proposé, aucun changement n'était en vue. Pourtant, de par les changements sociaux et par la compréhension de ceux-ci par la bourgeoisie, inévitablement les rapports de force devaient avoir une expression différente.
Cependant, l'absolutisme qui avait permis à la bourgeoisie de gagner son existence, même partielle, au sein de la société française, se retournait en son contraire une fois que la bourgeoisie avait gagné en force.
La bourgeoisie portait en effet en elle la dissolution des rapports féodaux, de tous les rapports féodaux, et le roi ne pouvait plus tolérer aucun développement de la bourgeoisie, à moins de se remettre lui-même en cause.
C'est pourquoi l'Assemblée, le 9 juillet, se proclame « Assemblée nationale constituante ». En tant qu'expression de la bourgeoisie, elle ne pouvait exister que comme expression politique-idéologique et donc, par l'intermédiaire de la revendication politique du pouvoir, c'est-à-dire la Constitution. C'est pourquoi l'Assemblée nationale constituante affirme qu'elle représente non pas des individus, mais la nation ayant trouvé son expression unifiée.
C'est le principe de la souveraineté nationale, c'est-à-dire de la nation, portée par la bourgeoisie. Il ne s'agit pas d'une « idée », mais d'une expression politique de la lutte des classes. Lorsque le roi tente le rapport de forces en envoyant des milliers de soldats dans Paris afin de militariser la situation, il provoque l'effervescence populaire dans une ville marquée par les pénuries alimentaires provoquées par la mauvaise situation économique et les mauvaises récoltes de 1788.
Le matin du 14 juillet 1789, cela tourne à l'émeute, avec une prise d'armes par le peuple à l'arsenal de l’Hôtel des Invalides et l'attaque de la prison de la Bastille. Celle-ci ne contenait que quelques prisonniers (et aucun pour motif politique), mais la tête de son responsable terminera au bout d'une pique, ainsi que celle du prévôt des marchands de Paris (qui jouait le rôle de maire), Jacques de Flesselles.
Le roi recule devant l'offensive, au blanc royal s'ajoute les couleurs de Paris : le bleu et le rouge, alors que la bourgeoisie s'organise ouvertement avec des comités permanents et la constitution d'une Garde nationale. A cela s'ajoute la prise du pouvoir municipal et la conquête de citadelles (ainsi à Bordeaux, Marseille, Nantes).
Dans les campagnes se produit alors la « Grande peur », mouvement de panique quant à une répression royale ou à des attaques de brigands, culminant dans des coups de force et la destruction des titres seigneuriaux.
La conséquence du mouvement, ouvert par le 14 juillet, est la nuit du 4 août 1789, où l'Assemblée abolit les privilèges et les droits féodaux. Les terres ne sont par contre pas redistribuées, il faut pouvoir les racheter, ce qui est une manière de privilégier les couches supérieures de la bourgeoisie et de ménager les grands propriétaires terriens féodaux.
L'instruction votée par l'Assemblée Constituante le 15 juin 1791 précise bien :
« Ni la nation française, ni ses représentants, n'ont eu la pensée d'enfreindre par là les droits sacrés et inviolables de la propriété. Aussi, en même temps qu'elle a reconnu avec le plus grand éclat qu'un homme n'avait jamais pu devenir propriétaire d'un autre homme et, qu'en conséquence, les droits que l'un s'était arrogé sur la personne de l'autre n'avaiet jamais pu devenir une propriété pour le premier, l'Assemblée natioanle a maintenu, de la mnière la plus précise, tous les droits et devoirs utiles auxquels des concessions avaient donné l'être, et elle a seulement permis de les racheter. »
La bourgeoisie assoit alors le nouveau rapport de force le 26 août 1789, avec la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen, qui sacralise la propriété privée.
Les journées des 5 et 6 octobre 1789, avec une marche de la faim sur Versailles composée principalement de femmes, aboutissent à faire de Paris la capitale, anéantissant la tradition versaillaise.
Avec la prise de la Bastille et la naissance d'une monarchie constitutionnelle où la bourgeoisie a les mains libres sur le plan de la propriété, elle peut organiser une grande fête, dite fête de la Fédération, qui a lieu le 14 juillet 1790 au Champ-de-Mars.
Un serment y est fait :
« Nous, députés des détachements des différentes gardes natioanles rassemblées sous les murs de Lyon, pénétrés de l'importance de la mission sacrée qui nous a été confiée par nos commettants,
Jurons sur l'autel de la patrie, et en présence de l'Être suprême, de maintenir de tout notre pouvoir la Constitution du royaume, d'être fidèles à la nation, à la loi et au roi, d'exécuter les décrets de l'Assemblée nationale, sanctionnés ou acceptés par le roi.
Nous jurons d'être inviolablement attachés à ce grand principe de la liberté individuelle, de protéger les propriétés particulières et les propriétés déclarées nationales, d'assurer la perception de tous les impôts ordonnés pour le maintien de la force publique, d'entretenir la libre circulation des subsistances dans toute l'étendue du royaume, de maintenir, partout où nous serons appelés, l'ordre et l'harmonie, sans lesquels les sociétés se détruisent au lieu de se perpétuer. »
Le culte de l'être suprême, c'est-à-dire le déisme de la bourgeoisie, s'explique alors par son incapacité à être matérialiste de bout en bout ; l'esprit de conciliation avec l'aristocratie et l'incapacité à avoir porté le protestantisme l'amènent sur un terrain qui est celui de la franc-maçonnerie, de la construction idéologique semi-religieuse d'un monde propice aux activités bourgeoises. C'est là également qu'on voit que Jean-Jacques Rousseau est le véritable coeur idéologique, en fin de compte, de la révolution française.
La première étape de la révolution française est ainsi marquée par le succès de la grande bourgeoisie, qui arrache la monarchie constitutionnelle. C'est donc la grande bourgeoisie qui a véritablement les mains libres.
Elle a rendu les choses très claires avec le vote de la loi Le Chapelier le 14 juin 1791, qui interdit toute coalition ouvrière, avec la peine de mort comme menace.
Elle a également modifié le paysage politique français avec la naissance des départements, districts, cantons, dont les responsables doivent faire partie des « citoyens actifs », c'est-à-dire les plus riches, qui déjà s'étaient arrogés le droit d'élire les chefs de la Garde nationale lors de la naissance de celle-ci.
Avec la loi électorale adoptée par la Constituante le 4 décembre 1789, les citoyens actifs rassemblaient 4,3 millions de personnes, sur une population de 24 millions de personnes. Et ce n'est pas tout puisque les élections possédaient un second degré, 50 000 électeurs étant choisi parmi les plus riches des citoyens actifs, pour le vote des députés, des conseillers généraux et de district, des juges.
De la même manière, la Constitution civile du clergé mettait un terme au rôle politique direct de celui-ci ; les membres du clergé devinrent des fonctionnaires salariés par l’État, pour ceux qui acceptèrent, puisqu'une grande vague de refus se développa, les « réfractaires » rejoignant le camp de la contre-révolution.
Et c'est précisément la contre-révolution, la tentative de restauration, qui va provoquer l’effervescence dans la camp de la révolution.